En lice pour le Prix de L’Instant 2025
En lice pour le prix Eugène Dabit du roman populiste 2025
En deux mots
La vie de la narratrice est à l’image de sa Lorraine natale, sinistrée. Deux heures quotidiennes de TER, un fils baptisé Tarzan qui vient d’entrer dans l’adolescence, une mère centenaire qui survit dans sa cité ouvrière, un ex-mari qu’elle retrouve quelquefois lorsqu’elle joue avec son groupe dans des endroits improbables. Aux côtés des marginaux, elle tente de s’en sortir et cherche à se détendre en faisant des longueurs de piscine.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Plongeon dans le bassin lorrain
La narratrice imaginée par Jeanne Rivière dans ce premier roman passe deux heures par jour dans le TER Metz-Nancy, s’occupe de Tarzan, son fils de douze ans, de ses deux cochons d’Inde malades et d’amies tout aussi éprouvées par la vie. Elle joue aussi dans un groupe trash et s’astreint à faire des longueurs dans les piscines lorraines. Le tout sur un rythme de No Future ?
Hagondange, Hayange, Sérémange… La vallée des anges ressemble davantage à un purgatoire post-industriel qu’à un paradis. Pour en avoir fait le théâtre de ses errances, la narratrice le sait bien. Pourtant, ses souvenirs d’enfance ne sont pas si sombres : elle se souvient des copines de l’école et du club de gymnastique, des slows maladroits et des premiers baisers échangés dans l’ombre des cités ouvrières. « Rien ne demeure immobile, pas même les souvenirs. » Mais aujourd’hui, sa réalité est bien différente : séparée de son mari, elle vit avec Tarzan et ses rongeurs en sursis, dans un quotidien marqué par l’urgence et la précarité émotionnelle. Chaque matin, elle quitte Metz pour Nancy, à bord d’un TER bringuebalant la transportant vers son poste de travail, où l’attendent des tableaux Excel et une routine grise. « Les promesses du matin n’étaient pas toujours tenues, mais elles avaient le mérite d’exister. »
Sa vie s’apparente à une course effrénée, une tentative d’équilibre entre obligations maternelles et désirs de liberté. Son échappatoire ? L’eau chlorée des piscines lorraines, où elle s’efforce de nager à contre-courant. « Dans le miroir tremblant du courant, elle retrouvait des fragments d’elle-même, échappés du temps. » Mais aussi les week-ends passés à côtoyer son ex-mari, musicien punk officiant dans des squats et autres lieux interlopes. Entourée d’anarchistes, de queers, d’artistes en marge et de junkies, elle trouve dans ce chaos une énergie paradoxale, une pulsion de vie née du désespoir. Là, les tabous s’effacent, notamment lors de soirées BDSM où la société et ses conventions s’effritent, laissant place à une liberté brute, exploratoire, viscérale.
Dans Lorraine brûle, Jeanne Rivière dresse le portrait d’une région sinistrée, rongée par la désindustrialisation et la précarité, mais aussi étonnamment vibrante, créative, indocile. La Lorraine devient un personnage à part entière, tiraillé entre solitude, ennui et effervescence souterraine.
« Le vent s’engouffrait entre les branches nues, sifflant un air que seuls les anciens semblaient reconnaître », à l’image de sa mère centenaire dans son petit chez soi à Jœuf.
Le style de Jeanne Rivière, à la fois acéré et lyrique, oscille entre réalisme brut et fulgurances poétiques. Lorraine brûle n’est pas seulement un roman social, c’est une ode à la résilience, un cri de révolte contre l’uniformité, une plongée sans concession dans les marges où se réinventent d’autres façons d’exister. À travers les errances et les combats de son héroïne, le roman nous rappelle que la liberté naît souvent là où on ne l’attend pas. Mélange de rage et de tendresse, de mélancolie et de fureur, ce texte incandescent rend hommage à celles et ceux qui, même en périphérie du monde, continuent de brûler de vie.
La primo-romancière, originaire de Lorraine, s’inspire de ses racines et de son vécu pour nourrir son écriture. Passionnée par les trajectoires en marge et les univers où se mêlent brutalité et poésie, elle explore dans son œuvre les failles de l’existence et la quête de liberté. Ce texte coup de poing nous fait découvrir une plume singulière et engagée, inscrite dans la lignée des écrivains qui donnent voix aux oubliés, à l’instar d’Annie Ernaux ou d’Édouard Louis. Ou encore une version trash de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu.
Lorraine brûle
Jeanne Rivière
Éditions Gallimard, coll. Sygne
Roman
192 p., 19 €
EAN 9782073084705
Paru le 16/01/2025
Où ?
Le roman est situé en Lorraine, principalement sur l’axe Nancy-Hagondange.
Quand ?
L’action se déroule des années 1990 à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Je suis née à Metz en même temps que le sida et l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les années 90 ont laissé leur empreinte sur moi : j’aime danser des slows et rouler des pelles. » La narratrice prend le TER aux aurores pour aller travailler au bureau 48, elle s’occupe de son fils, Tarzan, et rend visite à sa grand-mère dans une cité ouvrière où demeurent ses plus beaux souvenirs d’enfance. La nuit, elle joue de la batterie dans des groupes nommés Tranchée, Salo ou Catacombes, écume les clubs underground de Lorraine et d’ailleurs. Les gens qui l’entourent sont anarchistes ou queers, impriment des fanzines sur des boîtes d’emballage de méthadone, ont toutes sortes de pratiques sexuelles atypiques… Elle se demande comment tenir d’un seul bloc dans une vie aussi éparse. Dans un premier roman tour à tour trash et poétique, intime et politique, Jeanne Rivière raconte la Lorraine sinistrée, la vie de celles qui cherchent dans les marges une autre façon d’être au monde.
Les critiques
Babelio
France Inter (Nouvelles têtes)
La cause littéraire (Guy Donikian)
L’Anticapitaliste (Catherine S.)
Page des libraires (Margot Bonvallet, Librairie Passages à Lyon)
Fondu au noir (Caroline de Benedetti)
Blog Lily lit
Blog Encres vagabondes ( Sylvie Lansade)
Les premières pages du livre
« LA ROULADE ARRIÈRE
Petite, j’avais un hamster qui changeait régulièrement, mais nommé Lili pour l’éternité. Je rêvais d’être majorette sauf que mon père trouvait ça ridicule. J’avais quand même récupéré le bâton de Rebecca, la fille de la voisine de ma grand-mère, et c’était pas loin d’être mon objet préféré. Le caoutchouc blanc était un peu abîmé à une extrémité et l’acier était piqué de rouille. Il était trop grand pour moi et je ne savais rien en faire mais je lui donnais l’importance d’une relique.
Pendant les mois d’été, mes parents laissaient la caravane pliante dans l’allée de notre garage. Des rideaux à franges marron nous protégeaient de l’extérieur et la table pouvait se décrocher du mur et se placer entre les deux banquettes pour faire un lit presque deux places. Avec Mandy, ma voisine, on y dormait parfois les week-ends pour faire vacances. On avait 12 ans. C’est l’âge qu’a mon fils, Tarzan, aujourd’hui.
Tarzan a déserté sa chambre ce soir, il lit à côté de moi. Il va s’endormir une fois de plus dans mon pieu même si je sais qu’il faudrait pas. Pour limiter les dégâts, j’irai, moi, dormir dans le sien. J’ose pas dire aux autres que mon gamin est infoutu de s’endormir seul dans son lit. Pis le coin supérieur gauche de ce drap housse, là, qui laisse le matelas apparent, ça me rend dingue ! Dieu sait pourtant que je suis pas maniaque, mais faut croire que je suis toquée. J’ai décidé de commencer à écrire cette foutue histoire ce soir, mais Tarzan n’arrête pas de me parler. Des flocons d’avoine de demain matin, de l’interro d’espagnol, des matchs de la NBA. Et tout ça avec l’angle du matelas apparent. Ce vieux matelas dégueulasse que je dois changer depuis au moins six ans. Mais l’idée qu’un matelas coûte un mois de loyer me fige. Presque autant que ce matelas dégueulasse qui jaillit de ce drap housse pourpre. Tarzan dit Maman. C’est fou ce qu’il peut répéter Maman. Parfois je compte le nombre d’occurrences dans la journée et je pense Mais c’est pas possible. Il me dit Tu fais quoi ? Tu écris quoi ? Regarde le dessin ! T’as pas froid toi ? Ouais, malgré les 200 balles de chauffage mensuels, fait jamais plus de 16° dans cet appartement. C’est beau comme une cathédrale ces verrières et ces plafonds à 4 mètres mais c’est pas le confort moderne. Il dit J’ai pas envie de faire sport à 8 h demain matin, je sais pas faire la roulade arrière et ça me fout la honte. Alors je m’énerve, C’est pas compliqué Tarzan, viens on va essayer.
On monte deux étages au-dessus dans ce qui est censé être sa chambre, mais où je dors, moi, une nuit sur deux. Je sors les matelas planqués sous son lit et je lui montre comment faire la roulade. J’étais championne de poutre de Lorraine à son âge, alors évidemment ça m’énerve qu’il sache pas rouler en arrière. Depuis qu’il est tout petit, il coince au moment où le corps doit passer de l’autre côté de la tête. À l’instant pivot. Celui où les mains se posent à côté de la nuque, où les bras se replient et où on pousse. Il donne pas assez d’élan à ses jambes et il coince, la tête en bas, les jambes en l’air, dans un ridicule roulé-boulé sur le côté. Il me dit que ça lui fait mal au cou, au haut du dos, au bas du dos. Je lui montre encore, je roule en arrière, encore et encore, au ralenti, à vitesse normale. Avec et sans élan. Je répète les consignes, j’illustre, je guide. Mais il coince. Après, il dit qu’il s’est fait mal, il pleure. Il se tasse au fond de son lit entre les doudous de son enfance et sa couette Franklin la tortue.
C’est ce moment que choisit mon père pour débarquer chez moi. Il sonne, résonne. On entend jamais rien dans cet appartement sans fond. Je dévale l’escalier en courant et j’ouvre la porte. Elle donne sur la rue puisque je vis dans une ancienne épicerie.
Il vient pour me donner les papiers de l’assurance de la Fiat Panda de ma mère. Elle s’en sert plus depuis son accident de vélo d’il y a un, deux, trois ans qui en semblent mille. Refus de priorité d’une voiture sans permis. Traumatisme crânien. Multiples fractures.
Je lui demande la boule au ventre comment ça va à la maison. Mal, il me répond. De plus en plus mal. Alors l’angoisse sourde que je passe mon temps à essayer de faire taire explose dans ma poitrine. Je dis Ah ben merde, on partait déjà de très bas. Je dis avec une voix étouffée Faut tenir le cap. On se serre dans les bras et il repart déçu de ne pas voir l’enfant, qui fait semblant de dormir pour cacher ses larmes.
Nous sommes en janvier. Je suis une petite fourmi dans une poix noire gluante de résine et de goudron. Mon cœur bat dans ma tête et l’intérieur de mes joues est acide.
Le lendemain matin, je suis à l’ouverture de la piscine Lothaire. Je me jette à l’eau. Je brasse le plus doucement possible pendant 1 kilomètre.
LYNN
Je regrette brièvement d’avoir arrêté cette foutue psychanalyse il y a quelques mois, mais samedi prochain je vais chez Lynn et je sais que sa présence et son accent me feront du bien. Lynn vient de Caroline du Sud. Dans sa famille, on porte des Stetson ou des casquettes Trump et on croit fermement en Dieu. On apprend à l’école que c’est lui qui a créé le monde en six jours. Et on apprend aussi qu’il te regarde en permanence, même quand tu te masturbes.
Lynn a pris des chemins de traverse, non surveillés par Dieu. Du féminisme aux groupuscules gothiques, des corps modifiés au punk, du strip-tease au BDSM, elle a fini par se barrer en France.
Ses cheveux sont noirs, son corps longiligne et tatoué, et elle vit maintenant dans un lotissement à Hagondange, une ville mosellane de 10 000 habitants sur la route départementale 953, ou Voie de la Liberté, à proximité de l’échangeur entre les autoroutes A31 et A4 nommé croix d’Hauconcourt.
C’est là que j’étais au collège Paul-Langevin entre 10 et 14 ans.
Quand Lynn a acheté sa maison, il y avait dans son jardin une statue en stuc. Une danaïde qui portait une jarre de laquelle coulait de l’eau. Elle l’a vendue sur leboncoin.
Elle a commencé le strip-tease au Goldclub, un club chic de Caroline du Sud tout en or et velours rouge avec une balançoire en fausse fourrure et une champagne room. À l’époque où elle vivait dans une crackhouse, elle avait postulé comme serveuse de cocktails, mais ils l’ont embauchée comme strip-teaseuse. Au Goldclub, les filles se faisaient appeler par leur deuxième prénom et devaient porter la tenue réglementaire : string T-bar et platform shoes de douze centimètres de haut.
Chaque lap dance durait deux minutes, t’avais le cheap à 30 dollars dans la grande salle ou le privé à 50 dollars dans la salle VIP. Lynn, c’était la seule à pas avoir de faux seins et elle est convaincue qu’elle a été embauchée pour satisfaire les pédophiles parce qu’un jour un client lui a dit Meuf t’as le cul d’un gamin de 10 ans.
Elle est partie du Goldclub pour fuir un homme qui la forçait à coucher avec elle et s’est fait embaucher chez les concurrents, une petite maison en bois sans fenêtre avec une enseigne Girls, Girls, Girls qui clignote en rose. Un long couloir couvert de miroirs. Une petite scène surélevée. De la moquette zébrée au sol et aux murs. Un distributeur de cigarettes. Un paravent rose pour cacher les danses privées. C’est devenu chez elle, les autres danseuses sont devenues ses meilleures amies et elle est tombée amoureuse de l’agent de sécurité. Finalement le DJ l’a violée et elle a mis un point final au strip-tease.
Pour Lynn, le BDSM représente une pratique émancipatrice, un monde utopique où le consentement est formellement explicité, où une femme peut tout négocier, subvertir les rapports de pouvoir et les normes de genre.
Je regarde des peintures préraphaélites de Marie Spartali Stillman et je finis par lire sa biographie. Je fais toujours ça pour savoir comment font les gens au quotidien pour dealer avec la putain de question de l’existence. C’est ça l’intrigue de cette histoire. Ça a l’air tellement simple pour ceux qu’on croise dans le bus ou même qui marchent dans la rue. Pour Marie Spartali Stillman, je retiens qu’elle faisait 1 mètre 90, qu’elle a épousé contre l’avis de ses parents un mec dont la première femme s’était suicidée. Une qui n’a pas réussi à dealer au quotidien avec la question de l’existence.
Je fais 1 000 mètres de brasse coulée à la piscine Belletanche en regardant les carreaux défiler au fond du bassin.
LA MAISON DU CHASSEUR
Le cœur lourd, je pars en week-end avec sept copines pour l’anniversaire de Zoé .
J’observe les autres filles. Elles aussi elles ont des emmerdes, des enfants, des enfants chiants. Des mecs qui rentrent bourrés, ou qui parfois ne rentrent pas. Des boulots bien payés ou des boulots de merde. Mais miraculeusement tout tient. Et avec le sourire. Alors que moi, entre la vie domestique, affective, administrative, désirante, familiale et professionnelle j’ai l’impression de toujours faire tomber une des assiettes chinoises avec lesquelles je jongle. Emma me dit que c’est pas vrai et que je suis moins gauche que je pense.
La maison est en pleine forêt allemande, dans le land Rhénanie-Palatinat. Des bois de cerfs et un portail en bois sculpté nous accueillent, la lourde porte s’ouvre sur un camaïeu orange et marron. De la moquette au mur, des moulures foncées, des motifs géométriques et d’inquiétants canevas. Ne manquent que le tricycle et les portes d’ascenseur qui dégueulent du sang.
À midi, on va déjeuner dans une auberge sans âge, comme sa patronne. On entre directement dans une salle de réception où mange silencieusement une bande d’Allemands blonds clonés aux cheveux lisses et à la tenue soignée. Je mise sur une communion ou un anniversaire de mariage. On nous envoie à l’étage du dessous.
On commande des schnitzels, des spaetzeles et un apfelstrudel chaud avec de la glace à la vanille. Sur le lavabo des toilettes sont posés un flacon d’eau de Cologne et une bombe de laque. Les deux sont du même vert que le carrelage mural.
Dans la voiture qui nous ramène dans la forêt, on parle de contraception masculine. De scrotum. J’aime bien le mot mais je sais pas vraiment où le situer. Jeannine nous raconte qu’avec ses collègues ils ont parlé d’anneau chauffant, qu’ils ont regardé des photos et que le scrotum vidé de ses bourses ressemble à une queue de castor. Emma s’interroge sur le plaisir des testicules et Jeannine lui répond que ça ne se porte que quinze heures par jour, tu peux l’enlever quand tu baises. Sultane se demande comment on fait au début d’une relation quand on baise quinze heures par jour.
Je passe l’après-midi à traîner dans une solitude boisée, à fumer et lire dans cette pièce vitrée qui ressemble à un wagon de l’Orient-Express.
Le soir, on se retrouve dans la cuisine sous une crédence en céramique imprimée de portraits animaliers et on se serre les coudes de nos vies. Un bouc marron, une tête de lapin et un cochon ornent respectivement les carrelages au-dessus de nos têtes. Oops I did it again ! La copine au bouc nous avoue qu’elle a encore trompé Marc avec Bonny. Alors celle au lapin lui dit Ui normal, faut raviver la flamme avec Marc. On dit « ui » en Lorraine, mais on s’en rend même pas compte. Moi je leur dis Larguez toutes vos mecs et faites un béguinage avec moi. On jouerait à la scopa, on se lirait des tragédies grecques et on ferait des chants en canon.
Le week-end coule comme une petite rivière. On boit on mange on nage. Certaines pleurent mais pas moi pour une fois. Je joue à merveille le rôle de fille écervelée et superficielle.
Le dernier jour, je me réveille d’une humeur de chienne, on quitte la maison et ses tapis muraux.
Sur le trajet du retour on s’arrête à Trèves, qui n’a pas le charme d’un cessez-le-feu. Les bâtiments ont des formes de tartes à la crème, le froid est saisissant, l’orgue de la cathédrale monumental. Les tilleuls sont taillés en tête de chat, comme un Monsieur Patate avec les cheveux dressés vers le ciel gris.
En rentrant à Metz, je retourne directement chez le père de Tarzan pour essuyer de nouvelles larmes et reprendre le cours de roulade arrière.
Dans le dos crawlé il faut éviter de se cambrer. Le buste est hors de l’eau, les hanches positionnées à la surface et les pieds légèrement immergés pour effectuer des battements efficaces.
NORA
Je vois de ma rue que la lumière de mon appartement est allumée, ça veut dire que Nora, ma voisine, m’attend chez moi. Nora est belle surtout quand elle est en mouvement. Ses dents sont légèrement tordues et sa peau est duveteuse. Elle a débarqué chez moi il y a peut-être quatre ou cinq ans, j’ai jamais été très forte en dates. Après quelques années en Picardie, elle revenait vivre en Lorraine, elle connaissait pas grand monde à Metz et avait pas envie de passer la soirée seule. Elle a sonné, l’air penaud et une bière à la main, et m’a dit Je suis la nouvelle voisine.
Aujourd’hui, elle a mes clés et m’attend chez moi. Je suis contente de la voir car souvent le soir je suis seule.
Quand je ne vais pas bien, Nora me brosse les cheveux ou me lit le tarot. Elle manque de fric, je manque de sang-froid. On manque toujours d’un truc.
Elle fait des dessins moches d’animaux, mais je lui dis pas parce que c’est mon amie. Elle bosse maintenant chez Action, avant elle était serveuse. Elle ne boit que pour se saouler sévère et mieux vaut pas être dans les parages quand ça arrive.
Elle a une fille qui s’appelle Apolline avec deux ailes. Elle m’a expliqué ça pour que je retienne mieux, je mettais un l et deux p. Elle la prend facilement sous le bras et la confie sans difficulté, c’est le cas ce soir, elle est chez je sais pas qui.
Elle vient de Behren-lès-Forbach, petit bourg au cœur des Houillères. Une ville-champignon de 10 000 habitants. Comme dans les Schtroumpfs mais version Bassin de Lorraine. Vingt-trois nationalités, avec surtout des travailleurs du Maghreb et d’Italie. Le père de Nora vient du sud du Maroc.
Donc elle avait quitté Les Charbonnages de France et le paternalisme ouvrier pour changer de vie en Picardie. Y a la mer pas loin, ça attire tu comprends. Elle est partie comme une grande et elle a bossé dans un PMU où elle a rencontré Azur. C’était le seul client de moins de 50 ans, elle dit. Elle est tombée enceinte et il s’est fait choper pour une histoire de deal.
Le père d’Apolline était sous bracelet électronique pendant les deux premières années de sa fille et quand il en a été délivré, Nora a quitté Doullens, pour revenir ici. Elle l’a largué en même temps que les briques picardes. Il était pénible à la suivre partout, elle préférait finalement quand il était assigné à la maison.
Elle s’est occupée de son oncle handicapé qui l’a logée un an, puis elle a pris l’appartement à côté de chez moi. L’autre immeuble, pas le beau où je suis, celui à gauche quand t’es dos à l’église, celui du marchand de sommeil. C’est provisoire, elle dit. Nora, elle ne fait que traverser.
Le père de Nora veut plus la voir parce qu’elle a des mœurs dissolues comme de la purée Mousline alors qu’il imagine pas le quart de la moitié. Sa mère est morte quand elle était petite. Comme ça, je suis libre, elle dit. Elle voit toujours la lueur, Nora. »
À propos de l’autrice
Jeanne Rivière (pseudonyme) vit à Metz et joue dans des groupes punk. Lorraine brûle est son premier roman. (Source : Éditions Gallimard)
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