Il coule en nous, discret et essentiel, transportant la vie à chaque battement de cœur. Il est le témoin silencieux de nos angoisses et de nos exaltations, le messager des fièvres et des frissons, le fil rouge qui relie l’humanité depuis la nuit des temps. Le sang, plus qu’un fluide, est une énigme, un mythe, un symbole protéiforme. Jean-François Schved, dans son Dictionnaire du sang, en dresse un portrait foisonnant, une cartographie érudite où la science s’entrelace à la poésie, où l’histoire se mêle aux légendes, où l’anatomie dialogue avec l’art. Publié aux éditions L’Harmattan, ce livre, à la fois rigoureux et romanesque, est une véritable célébration du sang dans toutes ses dimensions.
Une odyssée scientifique et poétique
Ouvrir ce dictionnaire, c’est franchir le seuil d’un cabinet de curiosités où chaque article est une porte dérobée menant à une nouvelle contrée. Ici, l’on scrute le sang sous le prisme de la médecine, décrivant sa danse microscopique au sein des vaisseaux, la mécanique implacable des globules et des plaquettes, la chimie subtile de l’hémoglobine. Là, l’auteur nous entraîne sur les pas de William Harvey, dont la découverte du système circulatoire révolutionna la médecine, ou nous révèle les mystères des greffes de moelle osseuse, ce miracle moderne où un sang neuf renaît d’un autre.
Mais Le Dictionnaire du sang ne se contente pas d’ausculter le corps humain. Il est une traversée des âges et des cultures. Schved nous parle du sang des sacrifices antiques, ce flot vermeil versé en offrande aux dieux. Il nous raconte comment le sang des rois se voulait divin, scellant des lignées où s’entremêlaient pouvoir et malédiction. Il nous fait frissonner avec les mythes vampiriques, où le sang devient élixir d’immortalité, pacte maudit entre la vie et la mort.
Une matière qui s’écrit et se peint
Ce qui captive dans cet ouvrage, c’est la manière dont l’auteur fait du sang un langage. Il est dans les mots que nous employons sans y penser – "avoir le sang bouillant", "ne faire qu’un même sang", "se vider de son sang" – autant d’expressions imprégnées d’un imaginaire où le rouge symbolise la fièvre et la passion, la lignée et l’abandon.
Le sang est aussi une couleur qui hante les arts. Schved le suit dans les toiles de David, où il tache la baignoire de Marat assassiné. Il le retrouve dans les cris figés d’Edvard Munch, où le rouge n’est plus celui du corps, mais celui du ciel et de la folie. Il s’infiltre dans les pages de Baudelaire, où il se fait parfum et caresse amère :
"En me penchant vers toi, reine des adorées,Je croyais respirer le parfum de ton sang."
Et que dire du cinéma, où le sang est à la fois spectaculaire et tabou ? Du noir et blanc d’Hitchcock aux flots visqueux de Tarantino, il incarne la terreur, la rédemption ou la révolte. Dans Dracula, il est désir insatiable, tandis que dans les tragédies shakespeariennes, il scelle le destin des rois et des parricides.
Un voyage érudit et envoûtant
Le Dictionnaire du sang se lit comme un conte anatomique où chaque article est une fable. Jean-François Schved ne se contente pas d’aligner des connaissances ; il les enrobe d’une prose élégante, où la rigueur du médecin s’allie à la sensibilité du conteur. À travers ses pages, le sang cesse d’être un simple liquide pour devenir un acteur fondamental du grand théâtre de l’humanité.
C’est un livre qui se picore autant qu’il se dévore, où l’on flâne entre médecine et histoire, entre anecdotes et réflexions. Une œuvre qui ne se résume pas, tant elle déborde, coule et infuse en nous. Il y a dans ces pages le souffle de la curiosité, l’éclat du savoir, et cette certitude que tant qu’il battra en nous, le sang continuera de nourrir les récits et d’inspirer les imaginaires.