Départs de feu

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En deux mots

La perte de sa sœur va hanter le narrateur. En esquissant des débuts de romans, des pages de journal intime et de poésies, il va chercher à 38 reprises à nous transmettre son état d’esprit. Cette petite musique expérimentale résonne bien.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Trente-huit débuts de roman

Olivier Cadiot a inventé un nouveau genre littéraire, assez déconcertant. Dans cet hybride entre poésie, journal intime et roman, il évoque la perte de sa sœur. Un traumatisme fort qu’il tente d’exorciser.

Si vous vous attendez à lire un roman, vous allez être décontenancés. Si vous êtes amateurs de poésie, vous le serez tout autant. Enfin si le journal a votre faveur, ne pensez pas être comblés. En fait, Olivier Cadiot se lance dans une manœuvre expérimentale. D’abord au niveau de la forme, en nous proposant de courts chapitres qui ne sont pas forcément liés entre eux – surtout pas chronologiquement – avec des retours à la ligne très fréquents, comme pour de la poésie ou de la prose poétique. Comme dans un journal intime, il note des dates et des impressions, essaie de trouver du sens à sa vie. On peut résumer cet ouvrage hybride entre roman, journal et recueil de poésie, en disant qu’il nous propose un large panorama de possibilités pour dire les émotions, à commencer par le mal de l’absence, la peine que peut engendrer la solitude.
On peut aussi essayer d’en dégager quelques thèmes.
En tête de liste figure le deuil. La sœur du narrateur est morte. Un décès dont il a énormément de peine à se remettre et qu’il essaie, à plusieurs moments d’ordonnancer, envahi par un maelstrom de sentiments. Mais il ne peut nous livrer que des esquisses, des débuts de textes.
Le climat et la nature y jouent également un grand rôle. De ces départs de feu qui provoquent de gigantesques incendies aux ressources naturelles pillées. Les jardiniers, en particulier, trouveront ici des pages réconfortantes.
Enfin les rêves ont aussi toute leur place dans ce recueil, à la fois comme espace de création et comme soupape permettant d’échapper à une trop dure réalité.
« Ça nous en fait des chapitres possibles.
On a tout bon pour la saga de mille pages.
Mais c’est une histoire que je ne raconterai pas. »

Départs de feu
Olivier Cadiot
Éditions P.O.L
Roman
130 p., 16 €
EAN 9782818062685
Paru le 2/01/2025

Ce qu’en dit l’éditeur
« Seules les vies quotidiennes sont intéressantes. J’aurais dû écrire un journal. Trois lignes par jour, c’est pas la mer à boire. Mais très jeune, j’avais pensé qu’il était déjà trop tard pour commencer. J’avais d’emblée abandonné – comme certaines personnes qui pensent que tout est déjà trop tard. »
Sous la forme d’un journal qui croise et traverse les époques, le livre d’Olivier Cadiot fait se télescoper saisons, révélations et sensations. On passe de la météo en 1775 à une représentation d’opéra en 1981, tout en évoquant l’entretien d’un jardin avant-guerre. D’un siècle ou d’une année à l’autre, le narrateur est en train de faire le tri des choses et des idées, de faire les comptes d’une existence imaginaire. Chaque chapitre de cet étrange journal ouvre une fenêtre sur un début de roman ou de nouvelles, comme autant de départs de feu. Mais cette diversité de points de vue finit par faire apparaître le foyer obscur du livre : la mort de la sœur de l’auteur. C’est la première fois qu’Olivier Cadiot a la possibilité d’évoquer plus profondément l’expérience de cette perte, moins pour faire tardivement son deuil que pour tenter de rentrer en communication avec les disparus. Cela se fera par l’intermédiaire de la nature et la bienveillance des arbres. « Mon père, se souvient le narrateur, parlait aux arbres pour communiquer avec ses morts ».

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Culture (Les midis de culture)
En Attendant Nadeau (Pierre Senges)
Sitaudis (Jacques Barbaut)


Olivier Cadiot présente « Départs de feu » © Production Jean-Paul Hirsch

Les premières pages du livre
« 16 mars 2023
Il faudrait aller à la rencontre de nombreuses personnes pour confronter leurs expériences aux miennes. N’oublions pas qu’à force d’isolement les choses finissent par devenir moins véridiques. On finit par ne plus pouvoir penser qu’à des choses fausses.
Des fantasmagories.
Des choses forgées de toutes pièces.
Le plus souvent par des dingues.
Ce n’est pas si grave, et puis vivre vraiment seul n’arrive qu’en rêve — comme débarquer sur une île déserte, on le sait. Je me souviens d’un livre puissant et poétique qui s’appelle en anglais How to Survive in the Woods.
Sauf que ce livre a été édité pour répondre de manière pragmatique à des situations réelles extrêmes.
Un vade-mecum.
Le livre qui vient avec moi.
Ça sonne très romain : le centurion fidèle qui traverse la Gaule à pied en suivant le cheval de son proconsul.
Bref, même si je sais désormais dans ma chair que le danger vient de l’explication, on va essayer avec cet ouvrage de démêler le vrai du faux sur cette fameuse histoire de solitude.
Ô Solitude.
Je dévoile mes batteries.
Je ne suis pourtant pas un bleu — je sais qu’excepté les manuels de développement personnel, on n’a pas intérêt à dévoiler le sujet du livre dès la première page.
Et le même thème tout au long du truc.
C’est rasant.
Un livre à thèse ?
Pitié !
Sujet : Est-ce que la solitude, volontaire ou subie, enferme ou ouvre sur les autres ?
Je prends mon exemple.
Tout nu.
C’est plus pratique.
Je passe des journées à essayer de me comprendre en serrant les dents, en espérant que c’est le bon moyen de réfléchir à l’humanité en général — programme ambitieux. Beaucoup trop ambitieux, en fait, pour quelqu’un qui décrit seulement ce qui se passe dans un tout petit espace fermé.
Sans air.
Une sorte de petite enfance cloîtrée.
Le quartier d’une ville dont on ne sortira jamais.
C’est le journal d’un vrai Robinson.
On apprendra mieux qui il est, d’où il est, et où il va.
Son présent m’électrise.
Il ressemble, disons, à un vase entier mais fêlé de l’intérieur.
Comme moi — mais je ne suis pas le bon cobaye de cette expérience ; une enquête quotidienne, fouillée, prouvera que je ne suis pas le bon personnage.
Il y a aussi que je suis fragile.
Les fêlures imperceptibles, même les plus belles, sont les plus désespérées.
Crack-up.
Ça fait un bruit comme ça.
Je suis comme un vase en miettes depuis l’éternité.
Quelle formule grandiloquente — on dit ça des rois et reines.
Un vase ?
Oui.
Un colosse aux pieds d’argile.
Un portrait vraiment chinois.
Toute ma vie j’ai voulu devenir un saint, un roi, un prince.
C’est une situation enviable.
Accéder à une sorte d’éternité.
Si je disais tout aux autres, je ferais le vide autour de moi.
Pas de confession.
Je n’en parlerai à personne. Des drames, etc. Il faut que je reste intact aux yeux des autres.
Calme, calme en moi, calme inconnu.
Moi qui n’avais jamais eu de corps.

15 juillet 1765
Nous sommes en juillet, le 15 — il fait anormalement chaud. Je reste cloîtré dans la maison principale qui garde la fraîcheur.
Pour combien de temps ? J’ai l’impression qu’il fait de plus en plus chaud — avec les risques permanents d’incendies spontanés.
Une tabatière en argent dirigée par hasard en plein soleil ; une étincelle d’un bosquet à la lisière d’une forêt ; une expérience de chimie ratée en extérieur ; un diamant égaré dans le noir.
Il faut boire l’eau du puits conservée en bouteille dans la glacière de la cave.
Je ne bois pas assez d’eau.
Je profite de ce moment pour consulter dans le Traité de la vie rustique le mode d’emploi des petits canaux d’irrigation. On actionne des roues qui font bien marcher les machines. Je projette de créer de toutes pièces un bras nouveau dans la rivière qui viendra rejoindre le cours d’eau principal en aval.
Ici on est moderne.
J’ai fait construire cette maison au centre d’une exploitation agricole modèle. Pourtant, je suis resté simple — même si j’ai trop de projets complexes à exécuter. Disons les choses simplement : une graine semée produit plusieurs graines. Tout le reste en découle. C’est l’avenir.
J’ai confiance.
Ce que je lis dans les livres qui conseillent les gens qui veulent mener à bien une entreprise agricole, je l’applique à la lettre et en général ça marche. Sauf les petits pois que j’ai plantés sans attendre les saints de glace — résultat zéro. On vous le serine pourtant dans un ouvrage comme ce Traité de la vie domestique et des petits jardins (que je tiens de mon père, jardinier émérite) — mais je n’avais pas encore lu ce qui concerne les potagers.
Tout a été gelé.
Donc pas de petits pois cet été. On ne m’y reprendra plus. Et Dieu sait si je les aime — comme Louis XIV.
Le reste : bestiaux, blé, vignes, pêcherie d’anguilles, chasse à courre fonctionnent à plein.
Pas de découragement dans l’air.
Je suis un peu architecte dans l’âme. Souvent dans un demi-sommeil j’entrevois des constructions futures : un petit bureau suspendu dans la grange, des coursives qui se déploient à la vitesse de mon imagination. On pourrait étaler de la paille au sol, ça étouffe un peu les bruits de pas. Et c’est agréable aux pieds.
On finit par avoir une sorte de coque, comme un bateau vide dont on a seulement la forme. On voit à quoi il ressemble, mais seulement de l’extérieur.
Ensuite, par couches successives, on établit des cloisons, puis on lisse, on peint et on termine en disposant sur les meubles des choses précieuses à des endroits choisis.
Certaines se font des signes de reconnaissance.
Comme on sait mieux maintenant que les arbres communiquent sans se toucher. »

Extraits
« La nuit, raconte un vétéran, mon avion était peint en noir. Nous naviguions dans l’obscurité absolue. » p. 107

« Ça nous en fait des chapitres possibles.
On a tout bon pour la saga de mille pages.
Mais c’est une histoire que je ne raconterai pas. »

« J’écris dans la langue la plus simple possible les choses les plus claires possibles. » p. 114

À propos de l’auteur
CADIOT_Olivier_DROlivier Cadiot © Photo DR

Olivier Cadiot est né en 1956 à Paris. Olivier Cadiot est l’auteur d’une œuvre protéiforme : poésie, nouvelles, romans, pièces de théâtre, livrets d’opéra et traduction de textes bibliques. (Source : Éditions P.O.L / Wikipédia)

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