En deux mots
Clara Koskas, 17 ans, a été victime d’un grave accident. Après des mois de coma, elle n’est plus la même et se découvre des dons de voyance. Ce drame a aussi changé son père Alexis, qui s’est inscrit à un atelier d’écriture. Une expérience aux multiples répercussions.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
La seconde vie de Clara
Dans son nouveau roman David Foenkinos raconte les suites d’une expérience traumatique. En sortant d’un long coma, Clara n’est plus la même. Ses parents et son entourage non plus. L’ésotérisme, l’art et la littérature accompagnent leurs mues respectives dans un tourbillon d’émotions.
Ce vingtième roman de David Foenkinos est sans aucun doute l’un de ses meilleurs. Il met en scène la famille Koskas au moment où elle tente de surmonter une très douloureuse épreuve. Clara, dix-sept ans, vient d’être victime d’un grave accident. En se rendant à son chevet, Alexis, son père, se sent coupable. Au dernier moment, il a renoncé à accompagner sa fille au concert de Björk pour satisfaire son patron qui lui a demandé d’accepter l’invitation à dîner d’une riche cliente, désireuse d’en savoir plus sur son conseiller financier. Il a alors confié sa fille au père d’une amie. En revenant du spectacle, sa voiture a été violemment heurtée par une camionnette, laissant Clara dans le coma. Un traumatisme dont les médecins sont incapables de prédire l’issue. Alexis et Marie, son ex-femme, vont alors se succéder au chevet de leur fille. Et se rapprocher à nouveau au fil des semaines, essayant d’oublier leur rupture et leurs aventures respectives. « Ils étaient deux acteurs retrouvant les dialogues d’une pièce jouée longtemps auparavant. L’amour finit mal, comme il est souvent dit, et le leur n’avait pas échappé à cette règle. Le saccage avait emporté sur son passage les meilleurs souvenirs, dans une sorte d’épuration affective. Avec le temps, ils n’avaient pas réussi à revisiter la belle partie de leur histoire, laissant à l’amertume son hégémonie. Ce matin-là, avec une certaine stupéfaction, ils renouaient avec ce qui avait été doux. On ne pouvait pas clairement parler d’un renouveau sentimental, mais d’une reconnexion à la simplicité. Ils avaient tant aimé être ensemble. Chacun pouvait avouer qu’aucune histoire, après la leur, n’avait été aussi épanouissante. »
Mais ce n’est là qu’un premier effet de cet événement dramatique. Alexis éprouve le besoin de s’ouvrir à de nouveaux horizons et s’inscrit à un atelier d’écriture. S’il ne sait pas trop où cette nouvelle activité va le mener, il est avide de découvrir ce qu’Éric Ruprez va lui apprendre. Cet écrivain, qui n’a publié qu’un seul roman intitulé La Peur des secondes en 1982, est très vite retombé dans l’anonymat et personne ne savait pourquoi son œuvre s’était arrêtée là. C’est du reste ce parfum de mystère qui a poussé Alexis à poursuivre l’expérience, car il s’est très vite rendu compte qu’il n’était guère doué pour la littérature. Et puis, il y avait une autre raison. Parmi les trois femmes qui suivaient l’atelier à ses côtés, il y avait Amélie, avec laquelle il a pris l’habitude d’échanger après chaque séance. Un rendez-vous qu’il appréciait de plus en plus, car il pouvait parler librement du bouleversement de sa vie et de celle de Clara lorsqu’elle était sortie du coma. Très vite la jeune fille s’est rendu compte qu’elle voyait des choses, pressentait les événements. « Elle entrait en connexion, notamment, avec certaines blessures enfouies (…) C’était son secret, c’était sa souffrance. »
Si David Foenkinos nous entraîne vers l’ésotérisme, il n’en reste pas moins fidèle à ses thèmes de prédilection, l’art et la littérature, nous faisant découvrir L’Ange du chagrin dans un cimetière de Rome,
nous racontant les affres de l’écrivain qui va jusqu’à détruire un manuscrit avant de retrouver l’inspiration.
Les fidèles de l’auteur de La Délicatesse, du Mystère Henri Pick et de Charlotte – autant de romans dont on retrouve ici et là quelques éléments, allant jusqu’à nous offrir avec l’amie de Clara un clin d’œil à Numéro deux – se souviendront peut-être que l’auteur a lui aussi passé de longs mois à l’hôpital dans sa jeunesse et que sa vocation d’écrivain vient de cette expérience qui nourrit les pages de cet exaltant nouvel opus. Précipitez-vous chez votre libraire !
Tout le monde aime Clara
David Foenkinos
Éditions Gallimard
Roman
208 p., 00 €
EAN 9782073100412
Paru le 6/02/2024
Où ?
Le roman est situé principalement en France, à Paris. On y évoque aussi Rome, Berlin et Madrid.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Clara voit au-delà des apparences. Ceux qui la connaissent la redoutent autant qu’ils l’admirent. Car elle ne prédit pas seulement l’avenir, elle l’éveille.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
David Foenkinos présente « Tout le monde aime Clara » © Production Éditions Gallimard
Les premières pages du livre
« Première partie
1
Alexis Koskas est probablement un homme de cinquante ans. Il lui arrive de se sentir vieux, il lui arrive de se sentir jeune. L’hésitation est le slogan de ses jours. Il a une fille de dix-sept ans qui s’appelle Clara. Avec sa femme, ils ont décidé de la prénommer ainsi par passion pour Clara et les chics types, un film qui ressemble à l’époque de son tournage : 1980. C’est une année de désinvolture sensuelle. Il y a quelques mois, l’adolescente a été victime d’un grave accident. Rien n’est plus pareil pour Alexis. Certains de ses mardis sont devenus des jeudis. C’est dans ce contexte qu’il s’est inscrit à un atelier d’écriture. Jusqu’à présent, écrire lui paraissait une activité improbable, réservée aux dépressifs et aux illuminés. Il aimait plutôt son travail, au sein d’une banque privée. Alexis était l’un de ces conseillers financiers dont on loue les qualités de gestionnaire et même les prouesses. Le drame a réveillé sa part artistique. En chacun de nous, paraît-il, sommeille l’inspiration. Dans un premier temps, il a songé à s’orienter vers la musique. Il se voyait avec une guitare, jouant ses airs préférés, accompagnant les fins de dîner au moment où plus personne n’a envie de parler. Mais cela lui a semblé manquer d’intensité ; c’était une bifurcation trop sage, et qui ne demandait pas assez d’efforts. Il avait ensuite pensé à la peinture. Selon lui, c’est l’art suprême. Il s’est vu devant une toile vierge, l’air pénétré, et le tablier moucheté de taches de couleur. Encore une fois, il s’est ravisé, se sentant quasi physiquement incapable de tenir un pinceau, comme si son corps désapprouvait cette nouvelle ambition, y voyant une arrogance déplacée. Restait l’écriture : il s’agissait de mettre des mots sur des émotions, d’offrir à son imagination une sorte de vêtement concret. Il s’enthousiasma : « Oui, c’est ça : je vais écrire. » Telle était l’adresse de son nouveau désir.
2
Autant le dire tout de suite : il n’allait pas vraiment écrire. Mais cela n’a pas d’importance. Pour le moment, il est assis sur une chaise dans le salon d’un écrivain, un carnet à spirale entre les mains. Cette première scène se déroule un samedi en début d’après-midi. Quelques jours auparavant, en tapant « atelier d’écriture » sur un moteur de recherche, Alexis est tombé sur de nombreux sites. Après avoir passé quelques appels, il s’est rendu compte que les délais étaient trop longs. Il fallait parfois attendre plus d’un an pour des séances d’une heure hebdomadaire avec un auteur renommé ou un guide littéraire de bonne réputation. Cela lui paraissait absurde. Son envie d’écrire était urgente. Il finit par tomber sur le site personnel d’Éric Ruprez, un écrivain qui avait publié un seul roman en 1982 aux Éditions de Minuit : La Peur des secondes. Cet homme n’avait donc plus rien partagé avec le public depuis plus de quarante ans. Pouvait-on apprendre avec quelqu’un qui avait cessé d’écrire ou qui avait suscité le rejet ? À vrai dire, c’était le seul qui avait de la place immédiatement. Ce n’était pas bon signe, mais cela plaisait à Alexis. Il était du genre à entrer dans le premier restaurant vide, et non celui à la mode et bondé. Dans la même logique, il n’allait jamais voir de rétrospectives de Van Gogh ou le Caravage par horreur de n’apercevoir qu’un bout de toile derrière une masse de têtes humaines. Ainsi, tout était cohérent. Il était préférable d’admirer des artistes inconnus, de manger dans des restaurants désertés, et de choisir un écrivain n’éveillant pas le moindre intérêt. Alexis trouvait même plutôt plaisante l’idée d’être accompagné dans ses premiers pas littéraires par quelqu’un qui n’écrivait plus.
Dans le salon, il n’y avait que trois autres élèves. Uniquement des femmes : Aurore, Anaïs, Amélie. Ruprez dévisagea un long moment le nouveau venu, avant de lui demander de se présenter. Alexis évoqua son enfance un peu banale, son métier qu’il trouvait maintenant gris, et l’accident de sa fille. Sans le vouloir, il avait résumé sa vie par le versant triste. Chacun le regarda avec compréhension, comme si ceux qui veulent écrire avaient cette sorte de rapport intime à la mélancolie. On enchaîna avec un exercice qui consistait à déposer des dizaines de mots dans un chapeau. On se laisserait ainsi guider par le hasard pour définir le texte à écrire. « C’est une option à la fois joyeuse et lâche ! » s’enthousiasma Ruprez, mais son enthousiasme était factice, bon marché. Il parlait d’une voix grave qui ne correspondait pas à son physique frêle. On sentait qu’il était du genre à mettre des écharpes de septembre à mai. L’hiver devait durer bien plus longtemps pour lui. Les élèves piochèrent « mauve », « voiture » et « fromage ». Qui pouvait rédiger quelque chose à partir de ces mots-là ? À la fin de la séance, Alexis avait péniblement extirpé deux phrases de son cerveau. On le rassura : c’est normal au début. L’inspiration aime s’annoncer lentement, tel un caprice. Elle peut parfois demander tant de sacrifices pour un simple paragraphe. Les trois femmes lurent leurs textes plutôt improbables, et le professeur ne fit aucun commentaire, comme s’il enseignait la littérature par le silence.
On se salua rapidement, en se souhaitant une bonne semaine. Dehors, Alexis resta un instant avec Amélie. Cette femme fuyait à l’évidence les échanges un peu trop personnels. Elle semblait appréhender cet atelier tout comme elle aurait eu un amant. Cela dit, on pouvait parfois considérer l’écriture comme une forme d’infidélité à sa vie. Après quelques hésitations, Alexis trouva une question à lui poser : « Est-ce qu’on sait pourquoi Ruprez n’écrit plus ?
— Pas vraiment. C’est un mystère.
— Tu lui as déjà demandé ?
— Oui. Il m’a répondu par une citation d’Aristote.
— Laquelle ? »
Amélie regarda son téléphone, où elle avait noté la phrase suivante :
« “Contempler est l’acte le plus noble de l’homme.”
— …
— Voilà ce qu’il m’a dit. Sûrement pour justifier son désir de délaisser l’action au profit de l’observation.
— Tu penses que c’est un choix ? interrogea Alexis.
— Peut-être.
— Je crois que son livre, à l’époque, n’a pas du tout marché. Cela peut donner envie de tout arrêter.
— C’est possible. Un jour, il a fait une allusion à son roman. Il a dit qu’en le lisant on comprendrait pourquoi il avait arrêté d’écrire.
— Ah bon ?
— Oui. Il a plus ou moins dit ça.
— Et tu l’as lu ?
— Non. Il n’est plus dans le commerce. J’ai essayé de le trouver il y a quelques mois, et j’ai fini par laisser tomber…
— Sa réponse me paraît bien énigmatique. Qu’y a-t-il dans ce livre, à ton avis ?
— Aucune idée. Tu sais, j’ai arrêté d’essayer de le comprendre. Je viens à ses cours, ça me fait du bien de changer d’air, et c’est tout.
— Juste changer d’air… Tu ne comptes pas publier un roman un jour ?
— Non. J’écris pour moi. »
Alexis estima qu’elle mentait ; ou elle se mentait à elle-même. Personne n’écrit pour soi. Amélie annonça subitement devoir partir, alors qu’elle ne paraissait pas pressée quelques secondes plus tôt. Elle se mit à marcher d’un pas vif. Avait-il été maladroit, intrusif ? À vrai dire, elle agissait comme elle écrivait. À la fin du cours, elle avait lu son texte. Si Alexis avait admiré sa qualité littéraire, il avait trouvé abruptes les transitions entre les phrases. Il y avait chez elle comme une insoumission à la virgule. Ainsi, il n’était pas improbable qu’elle puisse s’extraire d’un coup d’une conversation, par goût esthétique pour la rupture.
3
Intrigué, Alexis se mit en quête de La Peur des secondes. Il explora plusieurs librairies, en vain. On lui conseilla d’appeler l’éditeur, ce qu’il fit à de nombreuses reprises. Personne ne répondait aux Éditions de Minuit. Il finit par tomber sur
un jeune homme qui parlait d’une manière incroyablement lente, comme s’il ne devait pas dépasser un quota de mots par minute. L’employé tapa le titre sur son ordinateur, avant
de répondre laconiquement : « Épuisé. » Alexis s’arrêta sur ce mot, qu’il trouva beau. Un livre épuisé. Quand le corps est épuisé, c’est qu’il n’est plus en mesure d’agir. Pour un livre, c’est qu’on ne peut plus se le procurer. Il tenta de le trouver d’occasion sur les sites de vente en ligne ; tout comme dans la vie réelle, pas la moindre trace de l’ouvrage. Il fallait croire que les détenteurs de ce roman ne l’avaient jamais revendu.
Ils formaient peut-être une communauté littéraire discrète, souterraine. Il aurait pu passer une annonce sur un portail spécialisé : « Recherche le roman La Peur des secondes paru en 1982, et introuvable », mais il ne le fit pas. Après tout, pourquoi ne pas directement demander à l’auteur ? Il devait bien lui en rester quelques exemplaires. Le samedi suivant, à la fin du cours, Alexis s’approcha d’Éric Ruprez. Il avait eu de nombreux rendez-vous importants dans sa vie, mais il s’était rarement senti aussi décontenancé que face à cet homme. Il balbutia qu’il aurait aimé lire son unique roman. L’écrivain le coupa aussitôt : « C’est inutile. Et je n’en ai plus la moindre copie. » Certaines phrases sont prononcées à la manière d’une sentence. Clairement, il était préférable de ne pas chercher à en savoir davantage. Un peu plus tard dans la soirée, Alexis en convint : il y a quelque chose de culte à l’idée de ne plus écrire. Certes, personne ne semblait attendre un nouveau roman de Ruprez. Il n’était pas J. D. Salinger ; on ne le traquait pas. Mais l’abandon de son ambition littéraire lui conférait une indéniable aura, un
mystère aussi. Qu’était-il arrivé ? Ruprez avait peut-être trop souffert d’écrire. Tant d’artistes finissent par arrêter de créer pour ne pas crever leur cœur. Écrire, c’était chercher au fond de soi une intimité, une vérité, et la quête pouvait se transformer en désespoir. Autre possibilité : il estimait avoir tout écrit. C’était un Rimbaud qui était resté à Paris. Au lieu de chasser l’éléphant en Afrique, il affrontait des apprentis écrivains. Ou alors avait-il estimé maîtriser son art, tout comme Michel Butor abandonna un jour la forme romanesque pour se consacrer aux seuls essais ? Ou bien se rapprochait-il de Philip
Roth, qui avait tout arrêté à quatre-vingts ans pour ne plus être soumis à la tyrannie de l’écriture ? Quel âge pouvait avoir Ruprez en 1982 ? Un peu moins de trente ans ; cela paraissait jeune pour renoncer. Alexis se sentait de plus en plus obsédé par cette histoire. Dès le deuxième cours, il avait compris qu’il n’était pas fait pour écrire. Il avait comme peur des mots. Et
il n’éprouvait pas vraiment de plaisir à les aligner. Pourtant, il ne voulait pas arrêter de participer à cet atelier. D’abord, il appréciait l’ambiance et la compagnie des trois femmes en A, mais il y avait autre chose, de plus particulier : il se sentait aimanté par cet écrivain qui n’écrivait plus. Il lui semblait qu’il avait quelque chose à faire ici : c’était son intuition. S’il n’allait pas écrire de roman, peut-être en vivrait-il un.
La semaine suivante, le cours avait été étrange. Cela avait peut-être un lien avec la récente demande d’Alexis de lire La Peur des secondes. Ruprez n’avait pas proposé d’exercice mais s’était lancé dans un long monologue : « Personne n’est jamais devenu écrivain après son passage ici. Personne n’a publié le moindre livre, la moindre nouvelle. Je fais des ateliers, mais je ne crois pas qu’on puisse apprendre à écrire… »
Il s’était arrêté avant de reprendre : « À la limite, on peut apprendre à lire. Adolescent, je suis tombé sur un roman que j’ai adoré plus que tout. J’ai éprouvé le sentiment un peu fou que ce livre parlait de moi. Mon cœur battait tandis que je tournais les pages. Je n’ai jamais oublié cette sensation.
Personne ne m’avait si bien compris. Personne n’avait ainsi lu en moi. Comment cet auteur pouvait-il mettre des mots sur ce que je ressentais ? Mes secrets les plus enfouis. C’est
un pouvoir qui m’a illuminé. On m’avait toujours considéré comme quelqu’un de différent. Pour mes parents, j’étais une équation indéchiffrable. J’ai lu plusieurs fois ce livre, et c’est à ce moment-là que je me suis mis à écrire. J’ai trouvé cela difficile, laborieux, mais excitant. Enfin ma vie valait la peine d’être vécue. Jusque-là, je n’avais été qu’un brouillon de moi-même. Une errance. J’avais trouvé une destination : la littérature. J’étais jeune, mais je sentais l’évidence d’une vieille âme en moi. J’ai fini un roman, je l’ai envoyé aux maisons d’édition, et puis j’ai été publié… Tout avait été vécu dans
l’éclat d’une simplicité déconcertante. Et puis… » Ruprez s’était arrêté. Pourquoi se confiait-il subitement ? Sans doute convenait- il de considérer son témoignage comme une leçon d’écriture. Alexis était suspendu à ses mots. Le silence continuait de savourer l’espace. Ruprez allait-il expliquer pourquoi il avait arrêté d’écrire ? Non. C’était la fin de la séance.
On lui demanda quel était le livre qu’il avait évoqué, celui qui avait visiblement changé sa vie. Il refusa d’en donner le titre. « Je n’ai pas envie que d’autres le lisent. C’est le mien. Cherchez plutôt le vôtre. Nous devons tous trouver le roman qui va changer notre vie… » Et, sur ce précepte, il congédia le groupe.
Alors qu’il descendait l’escalier, Alexis songea : « l’échec va si bien à cet homme ». Certaines personnes parent leur déclin d’une telle aura qu’elles en deviennent éblouissantes.
Il y avait là comme un art du renoncement. Il aurait voulu partager son sentiment avec Amélie, mais elle ne resta pas discuter avec lui cette fois-ci. Il la regarda partir au loin sur le boulevard, jusqu’à devenir un point dans son horizon. C’était
une chose infime maintenant, une ombre au loin, et pourtant il ressentait encore fortement sa présence.
4
En apprenant qu’Alexis s’était inscrit à un atelier d’écriture, Marie avait souri : « Je suis restée dix ans avec toi, et je ne t’ai jamais vu ouvrir un livre…
— Ce n’est pas vrai.
— Ah bon ?
— Nous sommes restés onze ans ensemble, pas dix. »
Après leur séparation, ils ne s’étaient plus adressé la parole pendant de nombreuses années. Tout était apaisé à présent.
Les circonstances douloureuses avaient permis ce rapprochement. Ils reparlaient même du passé avec légèreté. Certes, ils n’étaient jamais d’accord au sujet de leurs souvenirs. Chacun
possédait sa version de l’histoire, et la vérité devait être perdue quelque part entre les deux. Par exemple, le scénario de leur rencontre était soumis à différentes hypothèses.
Selon Marie, Alexis était venu l’aborder lors d’une soirée de la fin de l’été 1997. Pour lui, c’était le contraire. Ce samedi-là, il avait entretenu une sorte de relation exclusive avec
le canapé, quand cette jeune fille était venue s’asseoir à côté de lui. Elle avait donc fait le premier pas. « Oui, mais c’est toi qui m’as parlé ! » disait-elle. Au fond, tout cela importait peu. Les couples adorent décortiquer les premiers gestes, les premières paroles, les premiers éléments de ce qui sera décisif. On trouve dans cette obsession narrative la petite tragédie suivante : la rencontre ne peut se vivre qu’une fois. On revisite avec les mots le bonheur qui s’épuise.
Il y avait une chose sur laquelle ils étaient tous deux d’accord : à un moment de la soirée, on avait entendu retentir de nombreuses sirènes. Un véritable chaos sonore. La fête avait lieu au début de l’avenue Marceau, chez un ami en commun dont les parents étaient aussi riches qu’absents. Pour pallier cette solitude, il organisait souvent des soirées. Par la suite, Marie et Alexis s’étaient interrogés : « Je me demande ce qu’est devenu Thierry.
— Il s’appelait Thibault.
— Ah non, ça ne va pas recommencer… »
Extraits
« Clara estimait que son père aimait encore sa mère ; son incapacité à lui parler en était la preuve. Le silence est toujours éloquent. Florence avait deux fils et esquissait parfois l’idée d’emménager avec Alexis dans un élan de famille recomposée. Ils s’étaient organisés pour avoir en même temps leur semaine sans enfants. Ils appréciaient leurs moments ensemble, mais il semblait difficile de construire une histoire sur un rythme bancal. Tous deux blessés par leur passé sentimental, Ils vivaient leur couple comme une sorte de convalescence partagée. Il y a des tendresses transitoires, de celles qui consolent, avant d’apparaître finalement un peu dérisoires. Alexis pouvait se l’avouer : il préférait les semaines qu’il passait avec sa fille. » p. 37
« Ils étaient deux acteurs retrouvant les dialogues d’une pièce jouée longtemps auparavant. L’amour finit mal, comme il est souvent dit, et le leur n’avait pas échappé à cette règle. Le saccage avait emporté sur son passage les meilleurs souvenirs, dans une sorte d’épuration affective. Avec le temps, ils n’avaient pas réussi à revisiter la belle partie de leur histoire, laissant à l’amertume son hégémonie. Ce matin-là, avec une certaine stupéfaction, ils renouaient avec ce qui avait été doux.
On ne pouvait pas clairement parler d’un renouveau sentimental, mais d’une reconnexion à la simplicité. Ils avaient tant aimé être ensemble. Chacun pouvait avouer qu’aucune histoire, après la leur, n’avait été aussi épanouissante. Marie s’en était voulu d’avoir tout gâché, même si elle ne pouvait rien regretter. Pourtant, elle avait été humiliée par un homme, tout en délaissant celui qui s’était toujours montré bienveillant. » p. 81
« Elle entrait en connexion, notamment, avec certaines blessures enfouies. Effrayée par ce qui lui arrivait, elle avait préféré se taire. Elle craignait qu’on ne la juge folle. Naturellement, Clara se sentait de plus en plus incomprise. C’était l’une des raisons pour lesquelles elle passait tant de temps dans sa chambre, perdue dans la contemplation d’un ailleurs, et ne se voyait pas retourner à l’école. La foule l’oppressait, le bruit aussi. Plus elle captait ces énergies inquiétantes, plus elle avait besoin de se protéger. Ses parents avaient bien sûr remarqué qu’elle était différente, mais comment s’en étonner après l’épreuve qu’elle avait traversée. Elle avait voyagé parmi les ombres, il en restait forcément des traces. Clara estimait que cette forme de dédoublement avait commencé pendant le coma, quand il lui arrivait de quitter son propre corps. À présent, elle pleurait parfois, seule dans sa chambre, effrayée par ce que son esprit lui imposait. Il lui semblait qu’elle ne pourrait plus jamais avoir une vie normale. Toujours, on la jugerait différente, bizarre. Elle avait essayé de se confier à Lola, mais aucun mot n’avait osé s’échapper de sa bouche. C’était son secret, c’était sa souffrance. » p. 122
« Lola, son amie de toujours, se mit à développer une jalousie puissante à son égard : « Il n’y en a que pour toi ! » C’était devenu son refrain, jusqu’au jour où elle avait ajouté cette phrase pleine de désarroi : « C’est moi qui aurais dû être dans le coma à ta place. J’aurais dû avoir ton don… » Clara avait été immensément blessée. Lola savait la part de souffrance qui accompagnait ses visions. Rien n’y faisait, elle ne voyait que la popularité de son amie. Elle se sentait irrémédiablement numéro deux, au point de ne plus pouvoir la voir. Aussi Clara perdait-elle celle qu’elle considérait comme sa sœur ; ce fut une terrible désillusion. » p. 136
« Dans toute création, la part absente de la raison est toujours la plus active. Il s’agit parfois d’une simple intuition ; le plus souvent, ce sont les sensations qui permettent d’éclairer le long chemin de la confusion. D’ailleurs, il n’est pas rare qu’un écrivain comprenne la dimension intime de son livre après l’avoir écrit, L’inconscient s’épanouit pleinement entre les virgules. En arrêtant d’écrire, Ruprez avait négligé tout ce qu’on ne voyait pas. Le message d’une jeune inconnue le plongeait dans un grand désarroi, mais, paradoxalement, il lui semblait avoir toujours attendu ce moment. » p. 143-144
À propos de l’auteurDavid Foenkinos © Photo SIPA
David Foenkinos est l’auteur de nombreux romans, dont La délicatesse, Les souvenirs ou Le mystère Henri Pick, tous trois adaptés au cinéma. Ses livres sont traduits en plus de quarante langues. Son roman Charlotte a reçu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens 2014. (Source : Éditions Gallimard)
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