En lice pour le Grand Prix RTL-LiRE magazine 2025
En deux mots
Des années d’après-guerre à 1969 et à 2004, en trois périodes on suit trois générations de femmes, toutes victimes de mensonges, de trahisons, de vengeance. Les secrets de famille s’accumulent dans un suspense haletant jusqu’aux révélations successives.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Quand les secrets de famille s’accumulent
Quel formidable roman ! En suivant trois générations de femmes, du sortir de la Guerre à nos jours, Sophie de Baere raconte, autour du traitement réservé aux enfants placés et aux filles-mères, une sombre histoire de vengeance, de trahison et d’amour. Somptueux !
C’est avec Colette que s’ouvre ce roman. Nous sommes en août 2004, au moment où elle revient dans son Morvan natal pour accompagner sa mère dans son dernier voyage. Une épreuve qu’elle a bien du mal à affronter.
Puis on découvre Marthe. Nous sommes en janvier 1953 et la fillette se lie d’amitié avec Lucien, le gamin de l’assistance que son père a bien voulu accueillir sous son toit. Malgré le dur labeur et les conditions spartiates d’hébergement, Lucien peut s’estimer heureux de son traitement. Auprès de Serge et Augustine, il avait même trouvé un semblant d’affection. Tout le contraire d’Étienne, le frère de Marthe, qui jalousait le garçon et n’avait jamais accepté sa présence au sein de « sa » famille.
On va le retrouver en 1961, à seize ans. Au fil des ans, il s’est pris d’affection pour Marthe, a réussi son CAP et décidé de fêter son succès avec elle. Mais cette dernière s’est tournée vers Louis, le fils de l’épicier et rejette Lucien. « Une fois de plus, elle était méchante avec lui et elle le savait. Et c’était une sorte de vertige. Cette vérité laide, immonde qui la submergeait et la guidait, elle pouvait bien se l’avouer, en somme ce n’était rien de plus que ça : elle avait honte devant Louis, honte de ce que Lucien représentait. »
L’enfant placé décide alors de fuir et se fait embaucher par un marchand de bestiaux.
Un jour de foire, il tiendra sa revanche. Marthe s’est rendue compte de son erreur et va se jeter dans ses bras, ceux du seul homme qui la fait vibrer. Suivront des rendez-vous aussi brûlants que secrets qui vont finir par mettre Marthe enceinte. Quand elle s’en rendra compte, Lucien sera pourtant déjà loin, ignorant jusqu’à l’existence de cet enfant. À la ferme, pour ne pas voir le déshonneur sur la famille, on va chercher à forcer Louis à réparer son erreur, car Marthe l’a désigné comme le père de l’enfant. Un mensonge qui volera en éclat après la publication des bans. Augustine décidera alors son mari de placer Joséphine dans une maison maternelle, établissement qui accueillait les filles-mères et s’occupait du placement des enfants.
Aux côtés de ses compagnes d’infortune, Marthe rêve secrètement qu’elle pourra garder son enfant, que Lucien viendra la sauver.
Sophie de Baere a remarquablement bien construit son roman, nous offrant des révélations successives au fur et à mesure que les secrets de famille volent en éclats. Autour des questions de maternité, d’enfants placés, d’arrangements avec l’état-civil, elle explore l’histoire et les traumatismes de la famille Legendre sur trois générations. À la fois bien documenté et maintenant un suspense grandissant, la romancière de La Dérobée (2018), Les Corps conjugaux (2020) et Les Ailes collées (2022), prouve avec ce quatrième roman qu’elle est comme un grand vin, elle se bonifie au fil des ans.
Utilisant à merveille les armes du roman, elle montre combien la place des femmes aura – trop longtemps – été subalterne, voire dégradante. Quand l’émotion nous étreint face à l’injustice et au mensonge, on comprend mieux qu’avec toutes les études sur le sujet combien il était alors difficile pour une femme d’exister à part entière. Entre les lignes, on comprend aussi que le combat est loin d’être gagné.
Le secret des mères
Sophie de Baere
Éditions JC Lattès
Roman
414 p., 21,50 €
EAN 9782709674805
Paru le 5/02/2025
Où ?
Le roman est situé principalement en France, dans la région d’Aix-en-Provence et dans le Morvan, à Dijon et Nevers. On y évoque aussi l’Italie et notamment Rome, la Grèce, Valenciennes et Gand ainsi qu’Oslo en Norvège.
Quand ?
L’action se déroule de 1953 à 2004.
Ce qu’en dit l’éditeur
Colette est de retour dans son Morvan natal, après de longues années d’absence, pour y veiller sa mère mourante. Confrontée une fois de plus au mutisme familial, elle décide de faire la lumière sur l’événement qui, un soir de juillet 1969, a tout fait basculer. De découverte en découverte, elle obtiendra des réponses qui iront bien au-delà de sa quête et feront voler en éclat ses certitudes.
Après Les Ailes collées, Sophie de Baere poursuit son exploration de l’intime et nous offre une plongée saisissante dans la France rurale, de l’après-guerre jusqu’à la fin des années 60. Des amours empêchées aux maisons maternelles pour « filles-mères », l’auteure ranime avec sa plume sensible une époque où les femmes avaient bien peu de droits mais ne manquaient ni de passion, ni de révolte.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« Colette
Jour 1
5 août 2004
À mesure que le train se rapproche, les phrases policées que j’avais préparées au cours du voyage s’échappent. La peur empourpre mes joues, brûle mes yeux. Mon cœur se met à frapper plus fort dans ma poitrine. On dirait qu’il s’étonne de ma langueur et veut me ranimer. On n’a plus le temps, maintenant. Plus vite, Colette. Plus vite. Il n’a pas tort. La vérité, c’est que je n’ai pas encore l’ombre d’un commencement. Rien. Du vent. Pas la moindre phrase d’accroche. Je voudrais pourtant en tenir une entre mes lèvres, l’apprendre par cœur, m’essayer à la souffler, en dresser les mots pour ne pas déraper face à leurs visages, pour ne pas laisser les autres, les mauvais, les vilains, engloutir ma bonne volonté. Parce qu’en réalité, des mots, des phrases, j’en ai à revendre, ce n’est pas le problème et ce n’est pas leur parler qui me terrifie. Absolument pas. Ce qui me terrifie, ce serait de le faire sans retenue. Tout un vocabulaire qui viendrait là, sans crier gare, rouvrant soudain la plaie de ces longues années qui nous séparent. Non, impossible. Je dois faire un effort, trouver les mots justes, les premiers après la longue absence. C’est important, les premiers mots. Ça donne le ton, ça augure de la suite. Il faut que je sache, que je comprenne enfin. Poignarder le silence et connaître l’histoire. La vraie.
Marthe
8 janvier 1953
— Je l’ai encore fait.
Il se tenait là, dans le chambranle de la porte, petit soldat de misère, sa mine lourde et coupable. Marthe replia l’édredon par-dessus la brique encore tiède et, lui offrant sa main, le rejoignit sans dire un mot. Il ne fallait pas faire de bruit.
Leurs paumes serrées l’une contre l’autre, les deux enfants gagnèrent le chemin qui séparait la maison de la dépendance. Ils passèrent au travers de la pluie bleue que léchait une lune gibbeuse. Fondue dans l’ombre épaisse de la minuscule chambre de Lucien, Marthe tira une boîte d’allumettes de sa poche et la frotta. La flammèche chancelant au bord de ses cils, la petite observa alentour. Sur la table : des épluchures, des coquilles de noix et une lampe à pétrole. Tout doucement, elle souleva la cheminée en verre, brûla la mèche avec une autre allumette et tendit la lampe au garçon qui la fixait de ses yeux inquiets. Le sourire de Marthe s’élargit.
Elle s’approcha du lit défait et en ôta les draps humides pour les apporter en face, dans la cuisine de la ferme. Après les avoir plongés dans la lessiveuse encore tiède du jour, elle les laissa tremper quelques minutes, les essora, posa à nouveau ses chaussons sur la terre givrée du chemin puis ramena le petit tas propre à Lucien. Sous la lueur de la vieille lampe, les enfants accrochèrent le linge sur une corde tendue là, entre les poutres. C’était la troisième fois cette semaine. Augustine allait se fâcher tout rouge, c’est sûr. Et puis elle obligerait encore Lucien à dormir sans drap ni couverture, comme un chien sur sa paillasse.
— Suis-moi, murmura Marthe
— J’ai la trouille. Pour sûr qu’elle va m’tuer.
— Suis-moi, j’te dis. Ça va aller, Lulu. J’te promets.
Lucien et Marthe quittèrent la dépendance pour la cuisine chaude et ouatée de cette ferme isolée qu’on appelait encore le hameau du Maudit. Il y a longtemps, ses habitations et les terres autour avaient appartenu à une famille de paysans mais le père et le fils aîné avaient succombé à la Grande Guerre. Il n’était plus resté que la mère et son dernier fils. Quelque temps après, le garçon y mourut, dit-on, sous les sabots de sa jument. On racontait aussi que la vieille sombra dans l’alcool et laissa les bâtiments dans un piteux état, qu’elle acheva sa triste existence lors d’une mauvaise chute. Devenus propriétaires du Maudit pour une bouchée de pain, les parents de Marthe consolidèrent ce qui pouvait être sauvé, c’est-à-dire pas grand-chose. Une étable, une dépendance, une grange et une seule des quatre maisons d’origine.
Un reste de braises finissait de se consumer dans le poêle et les deux enfants s’avancèrent vers lui pour y faire dorer leurs petits corps glacés. Excepté la musique des gouttes éparses contre les vitres, la maison semblait silencieuse. Au bout d’un moment, Marthe tira Lucien par la manche et le poussa dans le long couloir. Contrairement à son grand frère, à Augustine et à Serge qui dormaient à l’étage, la petite fille couchait au rez-de-chaussée. Pour une raison que Marthe ignorait, quand elle était toute petite, ses parents lui avaient aménagé une chambre en bas, dans ce qui jusque-là avait servi de débarras.
Tandis que la cloche sonnait dans le soir lointain, Marthe fit signe à Lucien. Tapi dans le noir du couloir, le pauvre garçon tremblait comme un pénitent.
— Viens avec moi, Lulu. C’est pas grave.
Lucien avança à pas timides jusqu’au lit gigogne de Marthe et s’y faufila. La petite fille rapprocha l’édredon de leurs mentons et Lucien eut le sentiment de se glisser dans une pâte molle et rassurante. Marthe éteignit la lampe à pétrole qui patientait dans l’angle et se lova entre les bras maigres du garçon. Leurs paupières d’anges se fermèrent.
Une fois de plus, elle était en retard. Aussi, lorsqu’elle entra dans la cuisine, ses parents, son frère et Lucien se trouvaient déjà assis autour de la grande table. Serge, son père, trempait ses tartines beurrées dans une tasse de café au lait qui recrachait une fumée blanchâtre. Marthe prit place à côté de lui et Augustine se lamenta. Sa fille lui donnait tellement de fil à retordre. Une vraie tête brûlée. Le visage fermé, la mère fit couler un peu de lait chaud dans un bol et le lui tendit. Marthe le but à toute vitesse. La comtoise carillonna les 7 heures et le maître ouvrait le portail à 8 h 30. Il fallait se hâter. Depuis le hameau, la route était longue et pentue.
Sur le chemin, Marthe glissa sa main dans celle de Lucien et, dans les vents mutinés du matin, tous deux coururent avant d’enfourcher leurs vélos, loin devant l’aîné qui avançait moins vite et refusait surtout qu’on le voie avec le Parigot. C’est comme ça qu’on appelait les enfants de l’Assistance publique envoyés au village. Les familles qui les accueillaient recevaient une pension de l’État français jusqu’aux treize ans des orphelins qui, dans la plupart des cas, aidaient aux travaux de la ferme. Certains les surnommaient les Petits Paris. Lucien était l’un d’entre d’eux. Il y avait deux ans déjà que le petit gars avait atterri ici, sur cet îlot avalé tantôt par le brouillard et la neige, tantôt par les tisons de l’été. Deux ans que pour la première fois, Lucien avait pénétré dans ce Morvan aux herbes grasses, aux basses montagnes granitiques, aux étangs endormis et aux forêts épineuses et touffues.
Ce jour-là, de la fenêtre du train, il avait regardé les sources vaillantes et les vallées profondes qui ressemblaient à des coutures craquées dans la roche. Il s’était figuré la vie qu’il aurait sur ce sol. Les marches dans les bois, les animaux. Des renardeaux, une laie avec ses marcassins. Un loup peut-être, comme ceux qu’il dessinait à partir des albums rangés par ordre alphabétique sur l’étagère de son ancienne salle de classe. Cette image lui avait rappelé l’orphelinat. Son odeur de bondieuseries et d’encrier. Son chapelet de solitudes, de chairs d’enfants prêtes à la bagarre, de jeux sans liesse. La cour d’une récréation qui n’en avait que le nom.
À travers la vitre, le gosse avait esquissé les traits de sa nouvelle famille, de la mère et du père qui le nourriraient, qui se réchaufferaient avec lui devant la cheminée en lui racontant des histoires. Et puis il avait imaginé son frère et sa sœur. Deux enfants du terroir qui lui apprendraient les fleurs et les bêtes, les paysages, les raccourcis et les coins secrets. Pisser sur le même arbre, faire des potions de bouillasse et de bave d’escargot. Rire à s’en décrocher la mâchoire. Le long du trajet, Lucien avait mâché avec délice cette espérance.
Mais quand il avait posé ses petites jambes cotonneuses sur la terre des Legendre, il n’avait trouvé que les yeux fendus d’Augustine, ses mains abîmées et sa blouse tâchée du sang d’un lapin qu’elle venait de déshabiller. En quelques heures de voyage, Lucien était passé des clameurs d’une gare parisienne au silence et à la rudesse des gens du pays. Il ignorait encore qu’à demi cachée derrière le feuillage d’un jeune coudrier, une petite fille de son âge l’attendait, le cœur et le sourire battants. »
Extraits
« Une fois de plus, elle était méchante avec lui et elle le savait. Et c’était une sorte de vertige. Cette vérité laide, immonde qui la submergeait et la guidait, Elle pouvait bien se l’avouer, en somme ce n’était rien de plus que ça : elle avait honte devant Louis, honte de ce que Lucien représentait.
Le garçon ne répliqua pas. Les mots de Marthe avaient déjà tout emporté de sa voix et de leur belle histoire. Il n’en restait plus que la peau et les os. »
« Je ne sais pas vraiment ce qui m’a poussée à venir dans cette chambre qui pue la javel et les derniers soupirs. Peut-être un certain sens du devoir, Depuis mon départ de la ferme, nous ne nous sommes presque plus parlé, maman et moi. Quelques coups de téléphone, des cartes postales de mes vacances et des endroits où j’ai vécu. Une visite éclair pour Noël ou pour Pâques, Si peu de choses. Au fil du temps, je crois que je m’étais presque fabriqué un monde sans mère et aujourd’hui, ma mémoire ne sait plus charrier que des petits bouts de vie ensemble. Ou, disons plutôt, d’une vie passée côte à côte. » p. 93
« Je ne serais qu’un paquet d’angoisses et de colères sans lui. Avec son calme olympien, sa générosité et son rire communicatif, il me fait du bien et m’apaise. On dirait qu’il a été fabriqué pour le bonheur. En vérité Simon est ma première vraie histoire d’amour, et ‘e crois bien que, malgré tous mes travers, je suis aussi la sienne. Qu’il me paraît loin le temps où je pensais que seules les douleurs faisaient l’amour. » p. 129
« Lorsqu’il l’avait rencontrée fin 1943, Serge faisait le colporteur. Un jour qu’il était venu présenter son catalogue de quincaillerie à une bourgeoise du village, Augustine était entrée dans la maison pour y rapporter une veste. Sa mère venant tout juste de mourir, la jeune orpheline tentait comme elle le pouvait d’effectuer quelques travaux de raccommodage pour survivre. Augustine était si jolie et perdue que le jeune marchand avait tout de suite eu envie de l’aimer. Et il avait accepté de vivre cette vie-là, avec elle. Il avait renoncé à tout. Serge Legendre avait aimé Augustine Boyer comme on aime un sacrifice magnifique. » p. 148
À propos de l’autriceSophie de Baere © Photo DR
Sophie de Baere est enseignante près de Nice. Elle est l’auteure de trois romans dont Les Corps conjugaux et Les Ailes collées, Prix Maison de la presse 2022, en cours d’adaptation audiovisuelle. (Source : Éditions JC Lattès)
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