
En deux mots
Bruche et Tiam sont deux flaques nées au bord d’un trottoir parisien, au pied d’un micocoulier. Deux flaques qui décident de partir à la découverte du vaste monde. Une exploration poétique qui est aussi une mise en garde sur la gestion des ressources.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Histoire d’eau
Dans cette courte fable, toute la poésie de Nathalie Léger-Cresson s’épanouit. La romancière nous propose de suivre deux flaques au bord d’un trottoir parisien au fil de leurs métamorphoses.
Ce sont deux petites flaques d’eau, nées au bord d’un trottoir parisien, au pied d’un micocoulier. Deux flaques que la pluie va gonfler réjouir. « Dans l’ivresse des ondes qui en nous se déployaient, à chaque goutte nous étions reconnaissance et tremblement, tremblement et reconnaissance jusqu’à déborder, ah ! Puis à nous réunir, et nous unir à toutes les eaux qui coulaient dans cette rue plutôt pentue et, ainsi dévalant, nous n’étions plus deux, mais mille, dix mille, ou plutôt une ! Qui emportait lueurs et paroles, chansons, cris et pleurs, déchets de la ville, étoiles du ciel vers l’océan. »
Cet océan dont se souvient Itzel en voyant l’eau dévaler, glisser jusque dans le métro. Elle qui arrive du Mexique sait combien l’eau peut devenir forte, combien elle peut se transformer en raz-de-marée.
Mais finis les souvenirs, il faut descendre à Saint-Lazare.
Les flaques en profitent pour se baptiser Bruche et Tiam, découvrir la bipédie et partir explorer le monde, mettre des mots colorés sur leurs découvertes. Leur imaginatoire semble sans limites, jouant avec la nature, parant le monde de beauté.
Mais là encore, leur félicité n’a qu’un temps et l’imaginatoire humaine est devenue toxique et va mettre la planète en danger. Les larmes heureuses deviennent des larmes amères…
On l’aura compris, c’est dans le registre poétique que Nathalie Léger-Cresson a choisi de nous conter cette fable écologique. Sous l’égide de Francis Ponge et d’Arthur Rimbaud, sa petite musique se pare de couleurs et de douceur avant de devenir torrent furieux, puissance ravageuse.
Entrecoupé de trois plongées comme celle-ci
« Le monde est petit
il tient au creux d’une main
Fiévreux, affolé, dévasté
Mais pour tes beaux yeux
mon enfant
il se déplie et toujours
se déploie »,
l’odyssée de Bruche et Tiam doit nous conduire à une prise de conscience du caractère fragile et limité de nos ressources. Du besoin de les protéger, de les sauver. Ajoutons que l’humour n’est pas absent de ce recueil joliment troussé.
Flaques
Nathalie Léger-Cresson
Éditions Des femmes
Roman
88 p., 13 €
EAN 9782721013705
Paru le 23/01/2025
Ce qu’en dit l’éditeur
Une fable écologique d’une grande poésie.
Quand deux flaques d’eau s’infiltrent parmi les humains, il en découle quelques aventures amoureuses, philosophiques et même fatidiques… Petite Flaque et Petite Flaque Aussi – la narratrice – n’ont pas toujours le même point de vue sur les hums. Elles sont deux, elles sont aussi Toute l’eau.
Qui mieux que l’eau pour parler de la vie qui court à travers les plantes, les animaux, les humains ? L’eau les lie. Ils sont le lieu de l’eau.
Évoquer le ravage écologique avec un peu d’humour et de tendresse est possible. Et ravive notre courage.
« Ils oublient qu’ils sont chacun un, unique et précieux, mais aussi tous les humains
et tous les animaux, et même tous les vivants. Comme nous sommes goutte, flaque, rivière, nuage, pluie, océan, eau des corps et des plantes – et Toute, toute l’eau de la terre en même temps. » N. L.-C.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
Les premières pages du livre
« 1. Deux flaques, trottoir, micocoulier.
Si je recommençais je serais plus sérieuse. Plus exactement, serait plus sérieuse cette part de nous deux qui était moi, puisqu’on était deux. Bien qu’aussi Toute, mais deux, ce n’est pas faux
Vous dites ? D’accord, je vais reprendre à un début, à leur façon, comme si un début était discernable, tel évènement, à ce moment plutôt qu’un autre, ici et pas ailleurs : une origine ! C’est une de leurs manières, ou tournures, comme nous avons choisi de nommer ces feux dans la nuit noire vers lesquels toujours ils reviennent.
Nommer est une autre de leurs tournures. Donc, nous arrivâmes, celle que je nommerais… disons, Petite Flaque, et moi-même, Petite Flaque Aussi, par une averse brutale, dans une ville qu’ils appellent Paris.
Oui, en pleine ville, intrépides ! Enfin, je ne crois pas que nous l’ayons décidé. Nous étions arrivées là, emportées par une attirance irrépressible et le hasard des vents, ces derniers temps fort agités. Je n’aurais rien de plus à dire s’il me fallait trouver une explication à notre présence en ce lieu précis des rivages de la Seine, explication qu’ils souhaiteraient ardemment – à tout mystère partant résolument chercher réponse dans les ténèbres, une torche à la main, tous les sens en alerte, avec au creux de la poitrine une inquiétude qui n’était pas sans joie alors que
Pardon, je reprends le cours, le flux. On a des échappées, que voulez-vous, ceux des eaux ne s’en étonneront pas – bonjour poissons, cnidaires, nautiles, loutres, otaries, castors, j’arrête ici mais vous salue tous !
Nous étions donc deux flaques sur un trottoir, de part et d’autre d’une grosse racine qui gonflait furieusement le bitume. Une grosse racine colérique du micocoulier, quant à lui pourtant l’air dégagé dans son jeté de branches, presque frivole dans le friselis de ses feuilles au vent du soir, que nous reflétions, gentiment étalées, discrètement miroitantes.
D’où venez-vous ? demanderaient-ils. D’où venez-vous, Petite Flaque et toi, Petite Flaque Aussi ? Si vous répondez de l’humidité d’une forêt ou de la mer, ils voudront savoir quelle forêt, quelle mer, et pourquoi et par quel itinéraire, et en combien de temps. Ça n’arrête jamais !
Ne les intéresserait pas du tout de savoir, par exemple, si vraiment le micocoulier était tranquille, absorbait calmement l’air et la lumière, aspirait, transpirait, diffusait eau et sève en bon équilibre, malgré des racines furibardes. Ou peut-être joyeuses, grisées par leur vigueur, lancées vers l’eau, haha, tel un fauve bondissant sur sa proie, haha, tel un torrent dévalant la pente, une avalanche, une vague puissante rebondissante sur un rocher et jaillissant au
Pardonnez-moi. Le flux, oui le flux…
D’où venez-vous, Petite Flaque et Petite flaque Aussi, d’où, pourquoi, quand et combien, voilà les questions qu’ils auraient posées. Combien étions-nous, je me le demandais moi-même, à cette heure où en ville nous étions donc arrivées en flaques. Nous y avons réfléchi ensemble, dans les reflets mouvants du feuillage frémissant, de l’arbre apparemment confiant, nos miroirs multipliant ses feuilles dans la brise du soir, à faire tourner la tête.
Si on a une tête.
Je regarde. J’observe votre Assemblée dans sa fascinante variété. Je contemple la profusion prodigieuse de vos apparences. Un constat s’impose : quelques-uns n’ont pas de tête, des animaux exclusivement marins il me semble, mais aucun d’entre vous n’en a plusieurs — alors que le nombre de pattes est assez fluctuant, et toujours pair, sauf accident qui
Pardon.
Sommes tombées d’accord sur le fait qu’en ces heures nous étions deux, oui, deux êtres, j’ose l’affirmer.
Dénombrer, pour nous c’était nouveau et comme une figure imposée dans notre mouvement involontaire mais puissant vers eux, même si on ignorait quelle force nous poussait ainsi. Cette force agit parfois sur vous, je pense ici aux insectes — salut à vous, des libellules aux scolopendres ! Par la dévoration de textes en papier et monuments de pierre, certains insectes croient approcher les humains au plus près – nouzy sommes nouzy sommes ! entendons-nous parfois, Nos amis sont emportés par leurs mandibules mais limités par leurs corps qui ne peuvent s’immiscer plus avant. La constitution et le fonctionnement des molécules, et des organes quand il y en a, influe sur les capacités et le tempérament, Notre intuition consubstantielle, maintenant que nous étions parmi eux, était d’avancer vaillamment dans les flux et détours de leurs paroles, marées de leurs images, brumes et ressacs de leurs pensées.
Ce n’est pas parce que nous sommes petites que nous manquons d’ambition ! Ce n’est pas parce que nous sommes immenses que nous manquons de finesse ! Ce qui nous fait défaut serait plutôt la concentration, sauf par grands froid.
2. Petite Flaque et pied de Poulet, puis la pluie.
Une absence. Avec cette évocation des grands froids, excusez-moi, des souvenirs remontaient qui obstruaient mon récit.
Merci, je préfère sur moi cette lumière dorée, flamboyante, de l’aube. Si vous pouviez la laisser haute mais moins écrasante, elle m’éblouit…
Justement, lors de ce qu’ils auraient désigné comme notre arrivée, quelqu’un nous a surplombées ainsi. Un enfant, un garçon qui tirait sur le bras gauche ou droit de sa mère immobile qui parlait avec son téléphone collé à l’oreille droite ou gauche. Cet enfant regardait le feuillage à l’envers et les nuages qui passaient derrière ou dessous, alors que nous on attendait on attendait, vas-y mets ta main dans l’eau, allez, vas-y ! Sa main, sa peau, ça aurait été le premier contact, on espérait, on attendait. Mais il se trifouillait le nez avec un doigt et l’autre main était dans celle de sa mère, il n’y pouvait rien s’il n’avait que deux mains, ils sont tous comme ça, deux mains maximum, et presque tout par deux. C’est pour ça qu’être deux nous semblait approprié, et que nous étions deux flaques pleines de confiance, d’entrain, et même d’enthousiasme !
Cet enfant a mis un pied, le droit ou le gauche, dans Petite Flaque qui aussitôt entreprit d’entrer dans sa basket. Je n’aurais jamais osé mais elle était plus audacieuse, peut-être parce qu’elle était plus profonde – la profondeur confère de l’assurance. Elle franchit le bord de la chaussure, traversa une région de la chaussette au risque de se perdre, et enfin, enfin : le contact ! Trop contraint, trop ténu, mais enfin quand même la peau, leur peau, à nulle autre pareille ! Le garçon remuait doucement Petite Flaque autour de sa chaussure, pour faire bouger l’arbre et onduler le ciel, mais ensuite il a tapé du pied et l’a projetée partout en mille éclats ! Heureusement la mère a entendu Petite Flaque exploser de peur et de rire. Elle a tiré le garçon par le bras droit ou gauche en disant arrête ça, mon Poulet ! Et les voilà partis pour toujours et à jamais. Quel amour, quel amour ! répétait Petite Flaque un peu éparpillée mais la plupart toujours en Petite Flaque – une chance, notre souplesse avant dislocation a ses limites.
La nuit tombée, elle continuait à répéter Quel amour, quel amour ! Sans me laisser distraire ni l’interroger sur l’amour dont elle s’extasiait, en remuant des lumières paresseuses ou fugaces, je réfléchissais encore à cette première rencontre. Me demandais si l’évènement méritait ce titre de rencontre, de premier contact. M’interrogeais aussi sur ce nom de Poulet qui désignait ce garçon. Comme je devais l’apprendre plus tard, ils donnent souvent des noms d’animaux aux êtres aimés, n’est-ce pas la preuve qu’ils vous chérissent ?
Quel amour, quel amour ! Petite Flaque continuait sa litanie, de cette voix dont j’use aujourd’hui pour vous, parce que nous sommes dans un espace d’ondes très subtiles où nous pouvons nous entendre, bien loin des bruits de la rue où poussait notre arbre.
Bruits de la nuit moins forts que ceux du jour parce que, pendant la nuit, les voitures, les motos, les moteurs et les humains s’apaisent. Sauf ceux qui justement se mettent à beugler pour combler le silence, ou plutôt le halètement résiduel de la ville. Mais quel amour ? Celui qui liait la mère et Poulet ?
Quel amour, quel amour ! Celui que Petite Flaque aurait contracté pour le garçon en touchant sa peau dans sa basket ?
Quel amour, quel amour ! Ou bien, était-ce son sentiment pour l’arbre ? Ou, inversement, s’émerveillait-elle de l’amour que nous aurait porté le micocoulier ? Plutôt, sans doute, d’un amour mutuel bien naturel. Tout nous attire chez les végétaux et eux nous tendent passionnément feuilles et racines. Mais Petite Flaque évoquait peut-être un autre amour, par elle discerné entre deux ou trois, quatre, mille entités qui nous entouraient. Comme les fenêtres, les lumières, les feuilles, les neuf étoiles visibles ou les milliards de milliards qu’on ne discernait pas, le son des pas d’un passant qui s’approchait puis s’éloignait, jouant son propre tempo, puis faisant écho aux pas d’un autre ou au contraire
Pardon, magnifique et précieuse Assemblée, le flux, oui.
Quel amour, quel amour ! Maintenant il pleuvait et je comprenais que cet amour était la pluie qui tombait. Une pluie déterminée mais douce, à l’ancienne, loin des trombes de plus en plus fréquentes. Petite Flaque avait pressenti cette fine tambourinade des gouttes qui, chacune et toutes, nous emplissaient de joie ! Dans l’ivresse des ondes qui en nous se déployaient, à chaque goutte nous étions reconnaissance et tremblement, tremblement et reconnaissance jusqu’à déborder, ah ! Puis à nous réunir, et nous unir à toutes les eaux qui coulaient dans cette rue plutôt pentue et, ainsi dévalant, nous n’étions plus deux, mais mille, dix mille, ou plutôt une ! Qui emportait lueurs et paroles, chansons, cris et pleurs, déchets de la ville, étoiles du ciel vers l’océan.
3. Dans la mémoire d’Itzel et dans le métro.
Quand la pluie cessa, le calme s’étendit de nouveau dans la nuit jusqu’à l’aube acclamée par les oiseaux du coin – même en ville ils s’égosillent à chaque lever du jour comme si c’était le premier soleil de leur vie. Et nous on scintillait. Emportées par la pluie, on était parties vers la Seine puis l’océan mais pour nous partir c’est rester aussi. Les creux que nous avions choisis au pied du micocoulier étaient toujours remplis de nous, qui en partie étions parties, c’est ainsi et c’est la loi de l’eau. Un rose doré un peu plus soutenu, c’est possible ? Merci, parfait, on est sensibles à la lumière ! Nous, l’eau, on pourrait dire qu’on est la lumière solide, enfin, liquide. Maintenant, je me sens miroitante et belle ! Ça donne confiance et j’en ai besoin. Pas facile de laisser décanter le superflu pour ne vous raconter que l’essentiel. Et puis vous m’impressionnez, vous voir tous en même temps est
Bien sûr au fait, j’y viens au fait : au vrai premier contact. Avec le garçon de la basket, ce fut une rencontre très succincte et seulement pour Petite Flaque. Je n’irais donc pas jusqu’à lui attribuer la dimension d’un évènement inaugurant une nouvelle ère – de ceux qu’ils aiment distinguer plus tard pour les proclamer Premier Contact ou Grande Découverte, arbitrairement mais avec aplomb et tout est là.
Le vrai premier contact pourrait désigner notre rencontre avec Itzel. Une fille grandie à la ferme et au cul des vaches d’un patelin de l’autre côté de l’océan, au Mexique, qui était passée par des hauts et des bas avant d’ouvrir sa fenêtre qui donnait sur le micocoulier à Paris, plusieurs décennies après sa dernière vache, meuglant vers le ciel à s’en retourner les estomacs. En ce matin, donc, qui suivit la basket puis la pluie qui donne une si bonne odeur à la terre – savez-vous que c’est à cause d’une bactérie de rien du tout qui ainsi attire
Pardon, il m’arrive d’accélérer dans les rapides, on n’est pas toujours une flaque tranquille ! Ou une rivière bien bordée par ses rives et paisiblement coulant son cours dans son lit, j’espère que vous me suivez.
Itzel, donc, ouvrit sa fenêtre. Comme toujours après la pluie, même en ville, montait vers elle la senteur suave de la terre humide, celle du pot où les pétales d’un géranium portaient le rouge à quasi-incandescence. Elle regarda plus loin et laissa son regard errer dans le feuillage ensoleillé et murmurant du micocoulier. Ce qui ramena ses pensées de l’autre côté de l’océan, jusqu’aux terres où elle avait grandi, et cette traversée lui fit un peu monter du cœur une eau salée, et nous décidâmes de nous lever, de nous élever jusqu’à elle, et de rester là un moment, chacune dans un œil, à la jonction des rêves et des regrets qui embuaient ses yeux.
Nous avons tendance à nous insinuer par tout interstice, à nous précipiter fougueusement, ou à patiemment nous infiltrer à travers les substances, mais toujours progresser ! Voilà comment on a glissé dans les puits profonds de la mémoire d’Itzel. Nous jetant dans des rigoles d’irrigation façonnées à la pelle dans une terre sablonneuse, dès l’instant où on pouvait s’y lancer ! Paressant dans des creux où des zinsectes et des têtards pullulaient dans une eau croupie, marinant dans un verre où rosissait le dentier de sa grand-mère, jaillissant des vessies des douze vaches de la ferme, qui pissaient en rond autour de l’abreuvoir où goulûment elles nous aspiraient, les yeux mi-clos. Ensuite, nous fûmes la première averse torrentielle de la saison des pluies, nous déversant en crevant le ciel lourd qui nous retenait depuis des semaines, pour arroser les petits enfants nus qui dansaient ! Et quand le soleil revint, nous alourdissions l’air, diffusant arcs-en-ciel et arômes de la terre, des cailloux et des feuilles, des fleurs immenses et rouges.
On se perd là-dedans, comment s’y retrouver, on se demandait, pendant qu’Itzel refermait la fenêtre, s’agitait en tous sens, sortait, puis s’incrustait au milieu d’un agglomérat humain dans un wagon de métro. Ainsi voyagent-ils souvent, unissant leurs chaleurs corporelles au seuil de la journée et de la nuit. Mais pour nous, là c’était trop, trop d’images et de mots, tournoyant, qui chantaient aussi à l’intérieur des têtes, passant par des appareils dans leurs oreilles. Itzel, que faire ?
Une bonne suée, adiós amiga, et nous voilà flottant au-dessus de cette foule chaudement serrée ensemble au coude-à-coude et fesse à fesse, inspirant l’air par eux tous expiré, mais toujours proches d’Itzel.
Pressée entre ses contemporains, elle se rappelle l’histoire du raz-de-marée qui avait épargné de justesse son village. À l’époque, Itzel n’était pas née, c’était un village tranquille – aujourd’hui c’est une ville laide et polluée, tenue par des gangs. Elle s’en désole et peut-être parce qu’elle se sent oppressée dans la foule, se souvient du raz-de-marée avant sa naissance. Itzel n’existait pas encore, Itzel manquait-elle au monde ?
Oui, bon, un raz-de-marée. Il nous arrive de tout péter, engloutir, renverser, envahir, submerger, noyer. Une personne. Plusieurs. Une vallée, une ville. Mais c’est rare au regard de notre présence si multiple, généralisée et surtout étendue dans le temps. Merci de nous l’accorder ! On n’en fait pas toute une histoire, mais nous étions quand même ici bien avant tout le monde ! Et je rappelle, humblement, que sans nous pas de vie, pas de vous ! Alors évidemment il peut nous arriver et de plus en plus
Oui, je reviens à cette hum, Itzel.Ce qu’elle sait du raz-de-marée précédant de quelques décennies sa naissance, c’est que la vierge de l’église, c’est-à-dire une statue, s’était transportée vers le rivage, à huit kilomètres de là. La vierge était entrée dans l’eau jusqu’aux genoux, tendant la paume de sa petite main, face à la vague énorme qui enflait là-bas, pour lui dire arrête, arrête-toi, ne détruis pas cette côte avec ses humains qui croient en moi ! Elle dit, et le raz-de-marée attendri fit ce qu’il pouvait pour contenir sa gigantesque masse en mouvement, la ravaler vers le ventre de l’océan Pacifique – c’est le nom qu’ils lui donnent, Pacifique ! Les dégâts furent limités. Et la preuve que cette intervention divine est véridique, disait la grand-mère à Itzel enfant, le dentier étincelant dans son large sourire, c’est que sur les dalles de l’église on découvrit ce soir-là, entre le porche et la statue de la Vierge plus jolie que jamais, les traces de ses pas encore humides.
Par la suite – mais aujourd’hui c’est fini –, ses petits pieds posés sur des épaules viriles, entraînant le village en procession, la vierge avait gagné une fois l’an le rivage. Itzel se souvient des arbres au bord de la route, éblouissants dans leur robe de fleurs roses, en grappes lourdes.
Mais vite ! Elle doit se frayer un chemin à travers la foule compacte pour descendre à Saint-Lazare. Et nous, on l’a perdue ! »
Extraits
« La tonalité chromatique majeure d’une phrase lui est donnée par certains mots plus hauts en couleur. La teinte unique ou multicolore d’un mot lui est donnée par les sons qui le composent, et qui se réduisent à peu près aux lettres, avant tout aux voyelles. Les consonnes sont ternes. Les voyelles sont de couleurs variables selon les personnes et les saisons, mais plutôt vives et joyeuses, puisqu’elles sont toutes dans le mot oiseau. Un poète dont le nom ressemble à éponge l’a noté — les poètes sont des hums qui remarquent ces choses. Cette éponge a malheureusement aussi parlé de notre soi-disant vice de la pesanteur, qui nous rendrait informe, de l’eau qui se trouverait plus bas que lui, toujours plus bas que lui. Ridicule ! Un autre, plus ancien et plus jeune, qui se disait voyant, a écrit de quelles couleurs il percevait les voyelles. » p. 40
« Le monde est petit
Il tient au creux d’une main
Fiévreux, affolé, dévasté
Mais pour tes beaux yeux
mon enfant
il se déplie et toujours
se déploie » p. 56
À propos de l’autrice

Nathalie Léger-Cresson © Photo DR
Nathalie Léger-Cresson est née et vit à Paris. Quatre ans au Mexique pour son doctorat en biologie l’orientent vers l’écriture. Elle publie d’abord pour la jeunesse. Autrice d’une pièce de théâtre et de fictions radiophoniques pour France Culture, elle a enseigné le français à l’École de la deuxième chance en Seine-Saint-Denis avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Ses quatre précédents livres, Encore et Angkor (2012), Hélice à deux (2014), À vous qui avant nous vivez (2018) et Le Sens du calendrier (2020). (Source : Éditions des femmes-Antoinette Fouque)
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