En deux mots
Après la Seconde guerre mondiale, les services de renseignements américains et leur chef, Edgar Hoover, font la chasse aux communistes. Établissant des listes, ils surveillent particulièrement les artistes, au rang desquels le peintre Jackson Pollock. Mais parallèlement se met en place un programme de promotion de la culture chargé de démontrer la qualité des talents outre-Atlantique. Parmi les élus figure aussi Jackson Pollock, au centre d’enjeux qui le dépassent et dont il ignore tout.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Jackson Pollock, artiste maudit et adulé
Une page d’histoire de l’art qui se lit comme un thriller: Christian Carisey raconte comment Jackson Pollock s’est retrouvé, sans le savoir, au cœur d’une bataille entre CIA et FBI, entre chasse aux sorcières et soutien masqué. Étonnant et passionnant.
Dans les États-Unis de l’immédiate après-guerre, les autorités sont obnubilées par la présence de communistes et d’ennemis de l’État sur leur sol. Aussi J. Edgar Hoover, directeur du FBI, décide faire une traque sans relâche à tous ces ennemis, fussent-ils imaginaires. Il fiche plus d’un demi-million de personnes et fait rédiger quelque 60000 biographies, notamment de représentants du monde de la culture. Quand s’ouvre le roman, il est déstabilisé par la création de la CIA et la scission des activités de renseignement à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il décide alors faire feu de tout bois et veut mettre hors d’état de nuire tous ceux qui affichent des sympathies communistes. Dans une note rédigée à l’intention du Président Truman, il explique que « Même les Américains de naissance — je pense notamment à un dénommé Jackson Pollock — n’hésitent pas à défendre des idées communistes. Jackson Pollock a largement profité du système d’aide aux artistes mis en place durant la crise économique par le président Roosevelt, D’après nos renseignements, il a bénéficié d’une pension jusqu’en 1942 ce qui ne l’a pas empêché de tout faire pour être réformé quand le pays est entré en guerre. Cette attitude illustre bien l’état d’esprit de ces « artistes » (je mets volontairement des guillemets à ce mot quand je vois les tableaux qu’ils peignent) dont le sens civique est inexistant. Ils sont un terreau particulièrement favorable pour la propagation d’idées anti-américaines. Je vous ferai parvenir sur Jackson Pollock et ses amis les dossiers en cours de constitution. »
Ce qu’il ignore alors, c’est que du côté CIA, on réfléchit à une opération d’infiltration des médias pour convaincre les opinions publiques européennes de leur politique en assurant la promotion des créations américaines « afin de montrer la vitalité de nos artistes ». Franck Dune est chargé de faire « des propositions concernant des peintres contemporains ». Très vite, il va se tourner vers l’expressionnisme abstrait, un mouvement au sein duquel il décèle « de fortes personnalités dont les œuvres témoignent d’une grande capacité créatrice. » Sa première liste rassemble Willem de Kooning, Arshile Gorky, Jackson Pollock, Mark Rothko, Robert Motherwell et William Baziotes.
Bien loin de cette effervescence, Jackson Pollock essaie de survivre. Sa peinture a du mal à convaincre et l’alcool poursuit ses ravages. Lee Krasner, son épouse, va tenter d’obtenir l’aide de Peggy Guggenheim. La riche newyorkaise, qui a déjà apporté son soutien à l’artiste, va bien tenter d’assurer sa promotion, mais l’artiste irascible va ruiner sa tentative en provoquant un scandale.
Il se réfugie à Springs où Franck Dune va s’approcher de lui et réussir à se lier d’amitié avec le couple et ne pas ménager ses efforts pour le peintre dont il admire le travail.
En explorant cette page méconnue de la Guerre froide où la rivalité interne se mêle aux nids d’espions de Berlin, où la vitalité d’un courant artistique est l’enjeu d’un combat entre l’est et l’ouest, Christian Carisey a réussi un roman qui se lit comme un thriller.
Avec, au cœur de cette bataille, un artiste qui est totalement ignorant de ce qui se trame dans son dos, luttant plutôt contre ses propres démons, contre son addiction maladive à l’alcool qui finira par l’emporter, après sa séparation et la dépression qu’il ne parviendra jamais à vraiment surmonter.
Si l’auteur prend bien soin de ne jamais lier le travail de l’artiste et celui des services de renseignements, on ne peut s’empêcher de penser que la notoriété de Jackson Pollock doit, au moins en partie, à la Guerre froide. Si on dresse, à raison, le tableau noir du Maccarthysme, on n’oubliera pas non plus les programmes destinés à mettre en avant le talent des acteurs culturels. Il arrive que des fonds secrets servent à autre chose que des actions d’espionnage, d’exfiltration ou d’élimination.
Le prolifique Christian Carisey – après Pleine mer en 2023 et La folie Fischer en 2024 – poursuit ici son exploration d’une période aussi trouble que riche en événements propres à attirer les romanciers, cette guerre froide où le jeu d’échecs ou encore les beaux-arts deviennent instruments d’une féroce lutte de pouvoir.
L’opération Jackson Pollock
Christian Carisey
Kubik Éditions
Roman
200 p., 17 €
EAN 9782350831084
Paru le 16/01/2025
Où ?
Le roman est situé principalement aux États-Unis, à Washington et New York, ainsi qu’à Springs. On y évoque aussi Paris et surtout Berlin.
Quand ?
L’action se déroule de 1947 à 1956.
Ce qu’en dit l’éditeur
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique et les États-Unis mènent une guerre d’influence qui mobilise de nombreux intellectuels.
En Union soviétique, les artistes sont enrôlés de force et défendent le « réalisme socialiste » dont le principe consiste à mettre l’art au service de la révolution.
L’Union soviétique martèle également un discours de paix tandis que les Américains sont pointés du doigt pour avoir usé de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki.
Du côté des États-Unis, le danger d’une telle propagande est vite perçu. La CIA mesure l’urgence d’un plan d’action afin de démontrer l’originalité et la vitalité de la création américaine.
Au centre de ce dispositif, la peinture doit marquer un renouveau esthétique à même d’être comparé aux grands courants européens que sont le surréalisme et le cubisme.
La CIA décide alors d’investir massivement sur de jeunes peintres et plus particulièrement sur Jackson Pollock.
Tandis que le plan Marshall déverse ses milliards de dollars et que le blocus de Berlin se met en place, la CIA, sur fond de rivalité avec le FBI, s’organise pour gagner la « bataille des esprits ».
C’est cette histoire que raconte L’Opération Jackson Pollock. Un moment méconnu de l’histoire de l’art moderne qui se lit comme un véritable roman d’espionnage.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Culture vs News
Europe 1 (C’est arrivé demain)
Les premières pages du livre
« J. Edgar Hoover, le puissant directeur du FBI, est rentré tôt ce soir-là dans son vaste appartement où il vit seul depuis la mort de sa mère. Ce n’est pas dans ses habitudes, mais il est habité de colère et, depuis la fin d’après-midi, il tournait en rond dans son bureau. Il était incapable de travailler. Incapable de se concentrer sur ses dossiers qui contiennent la quasi-totalité des secrets de l’Amérique.
Une lampe éclaire le salon. Elle est posée sur un guéridon coincé entre deux fenêtres et diffuse une lumière jaune qui peine à éclairer la pièce. Dehors, il fait gris. Un orage se prépare. Hoover attrape une bouteille de whisky et se sert un verre. Il boit deux longues gorgées avant de s’enfoncer dans un fauteuil de cuir marron. Il boit trop, mais ce soir il a de bonnes raisons de céder à son addiction.
Quelques heures plus tôt, il a eu confirmation de l’annonce prochaine de la création de la CIA dont les services seront directement rattachés à Harry Truman, 33° président des États-Unis. L’information lui a été fournie par une de ses sources à la Maison Blanche. Un conseiller aux affaires étrangères sur lequel Hoover détient un dossier « sensible » avec photos à l’appui.
— C’est irréversible ? a demandé Hoover par pure forme.
— Oui, la CIA aura la responsabilité de tout le renseignement extérieur.
— Cela signifie que le FBI perd le contrôle de ses antennes à l’étranger ?
— Malheureusement, je le crains. Nous connaîtrons les détails d’ici deux à trois jours.
— Allez-vous faire foutre, lâche Hoover. Je ne me laisserai pas déplumer sans réagir.
Hoover s’est battu jusqu’au bout contre cette décision, considérant qu’elle affaiblissait le FBI en réduisant son champ d’intervention et qu’elle mettait en danger la sécurité du pays. Mais Hoover a contre lui beaucoup de monde. Dans l’entourage du président Truman, on lui reproche en particulier de n’avoir pas prévenu l’attaque de Pearl Harbour en dépit des différentes mises en garde dont le FBI avait été l’objet. Pourtant, Hoover avait reçu dans son bureau l’agent double Dusko Popov — dont Ian Fleming s’inspira pour créer le personnage de James Bond -mais il n’a pas cru cet espion douteux qui venait l’informer des plans du haut commandement nippon. Aux yeux de Hoover, le Japon était incapable de défier l’Amérique. Ce n’était qu’une nation de deuxième ordre. Des iles perdues au bout du monde dont la civilisation curieuse restait largement incompréhensible.
À son habitude, Hoover ne s’est pas embarrassé de beaucoup de scrupules pour s’opposer à la création de la CIA. Cette entité allait se substituer au FBI pour assurer la sécurité extérieure des États-Unis. Il a fait pression sur des sénateurs et députés influents et orchestré des campagnes de diffamation contre l’entourage de Harry Truman. Mais cette fois-ci, en dépit des menaces à peine voilées, rien n’y a fait. Il a même failli tout perdre car il était question de lui retirer la direction du FBI.
Heureusement pour lui, d’importants donateurs du Parti démocrate sont intervenus et ont fait valoir qu’une telle sanction serait un camouflet public. Or l’homme présentait des états de service à bien des égards dignes d’éloge. L’argument était discutable, mais il permettait d’éviter le risque d’un grand déballage.
En effet, depuis qu’il est directeur du FBI – et même avant quand il était directeur du « Bureau of Investigation » –, Hoover a constitué avec patience et méticulosité un vaste fichier de 500000 noms et de 60000 notices biographiques. On y retrouve tout ce que l’Amérique compte de syndicalistes, de membres plus ou moins actifs du Parti communiste, d’anarchistes et plus généralement les hommes et les femmes susceptibles d’agir à l’encontre des intérêts américains. Cette catégorie englobe les étrangers récemment arrivés dans le pays, les militants pacifistes, les agitateurs, les intellectuels et les artistes que le FBI surveille, écoute, traque et arrête parfois sous des prétextes fallacieux. Pour atteindre leurs objectifs, les hommes de Hoover n’hésitent pas à fabriquer des preuves ou à solliciter de faux témoins afin de conforter l’opinion des juges convaincus par avance de la nécessité d’avoir à défendre une nation attaquée de toute part.
Les armoires blindées, alignées dans le sous-sol du FBI, contiennent des dossiers sur les célébrités du pays — chanteurs, comédiens, metteurs en scène -, les journalistes et les écrivains soupçonnés d’être des agents d’influence payés par les Soviétiques et sur le personnel politique, des candidats à la présidence jusqu’au dernier des collaborateurs du Sénat ou de la Chambre des représentants dont Hoover veut connaitre les idées, mais aussi les mœurs, les travers inavouables — homosexualité, goût pour les prostituées, penchants pour l’alcool et la drogue — et dont il traque avec une détermination obsessionnelle le moindre indice révélant une faille de comportement, une pensée mauvaise, une fragilité psychologique.
Hoover a sauvé sa tête en tant que directeur du FBI, mais la création de la CIA est pour lui une humiliation, une blessure qui l’atteint au plus profond de l’âme. Il a une mission à remplir — celle de protéger son pays — et voilà qu’on lui enlève une partie de ses moyens comme s’il était possible de tracer une ligne franche entre le renseignement intérieur et le renseignement extérieur. « Des bureaucrates sans couilles », bougonne-t-il en se levant pour se servir un autre verre.
Au même moment, la sonnette retentit dans l’entrée. Hoover regarde sa montre. C’est Clyde Tolson, son adjoint au FBI qui le rejoint. Il aime trouver refuge dans ses bras comme il trouvait refuge dans ceux de sa mère.
Jackson Pollock titube dans la rue principale de Springs peuplée de passants. Il n’est pas très tard et la route jusque chez lui s’annonce difficile. Normalement, il ne devrait pas en avoir pour plus d’une demi-heure, mais dans l’état qui est le sien, il rentrera tout juste pour diner.
Chaque jour, sauf pluie excessive, il part se promener en milieu d’après-midi avec la ferme intention de marcher le long des plages et de respirer l’air marin. Dans la réalité, il s’arrête le plus souvent dans un café dont la terrasse couverte le protège du soleil. Il s’assied à une table en retrait et regarde l’horizon en alignant les verres d’alcool.
Sa dernière cure de désintoxication remonte à la fin des années trente, mais en dépit de la thérapie qui a suivi, Pollock n’a pas mis longtemps à rechuter. Il supporte mal d’être à jeun. Trop d’idées maléfiques l’assaillent dans ces cas-là.
Son père était alcoolique et ses quatre frères ont sombré dans l’alcool. Lui boit depuis l’âge de quinze ans. Il déteste cette faiblesse, mais comment lutter contre cette angoisse qui l’étreint dès le lever du jour ? Il aimerait être fort, mieux résister à la tentation, mais il n’y arrive pas. Il se détruit à petit feu sous l’emprise de son addiction.
Le garçon de café ignore qui il est, mais ses doigts tachés de peinture indiquent qu’il travaille avec les mains. Ce n’est pourtant pas un ouvrier. À voir son allure, le garçon pencherait plutôt pour un artiste. Un peintre qui comme bien d’autres est venu à Long Island pour fuir les turpitudes de New York. L’homme n’est pas très causant. Il veut qu’on le laisse tranquille. Il griffonne parfois dans un carnet de drôles de dessins aux motifs abstraits. Il paraît inquiet. À Ia fois nerveux et tourmenté. Le garçon n’aime pas beaucoup ce genre de clients. Ils se ressemblent tous plus ou moins avec leurs cheveux en bataille, leur regard mélancolique et leur mine pâle même aux plus beaux jours de l’été. Des hommes qui manquent de générosité dans les pourboires au prétexte qu’ils n’ont pas beaucoup d’argent. « Ils pourraient travailler un peu », se dit le garçon dont le rêve secret est de quitter Long Island pour tenter sa chance à Chicago ou Los Angeles. Pour ce faire, il économise sou après sou et enchaîne les heures de boulot.
Pollock continue d’avancer dans la rue en faisant attention de ne bousculer personne. Il songe que Lee l’attend et qu’elle sera triste de le voir revenir dans son état. Ils se sont mariés en 1945 et c’est elle qui l’a convaincu de venir s’installer à Springs, hameau de la ville de East Hampton. Elle veille sur lui avec attention persuadée de son immense talent. Depuis leur mariage, elle ne peint pratiquement plus, comme s’il lui fallait se sacrifier pour sauver Pollock de sa détresse. Elle a décidé de prendre en main sa carrière et joue de ses relations pour faire connaître la peinture de son mari.
Ces dernières années n’ont d’ailleurs pas été mauvaises pour Pollock dont le nom commence à être connu dans le petit monde de l’art new-yorkais. Ainsi au printemps 1943, il a participé à une exposition collective dans la galerie de Peggy Guggenheim. Son œuvre Stenographic Figure a été saluée par Piet Mondrian et Marcel Duchamp. Il a également fait la rencontre de Hans Hofmann, ancien assistant de Robert Delaunay dont Mark Rothko est un des élèves.
Tous ces éléments auraient dû lui permettre de gagner en certitude et sérénité. Mais voilà, Pollock doute au plus haut point de son art. À la fin des années trente, il a découvert Picasso au cours d’une exposition organisée au musée d’Art moderne de New York. Il y a notamment admiré Les Demoiselles d’Avignon et la Jeune fille devant un miroir. Depuis, il considère que sa propre peinture ne vaut rien. Il n’arrive pas à la cheville du peintre cubiste et Lee Krasner – en dépit de sa sollicitude et de sa force de persuasion — peine à le convaincre du contraire. Pollock cherche un sens à sa vie. Il boit pour fuir les désastres de son enfance, mais il boit aussi pour oublier qu’il est un raté.
Franck Dune est un élève brillant qui rêve de servir son pays. Il était trop jeune au moment du débarquement américain sur les côtes françaises pour s’engager dans l’armée, mais il pense que la guerre n’est pas terminée et que les Soviétiques menacent la sécurité des États-Unis.
À la fin de ses études, il hésite entre le FBI et la CIA, mais le FBI a mauvaise réputation ; une institution du passé dont les opérations tournent souvent à l’échec. Et puis la CIA, c’est le renseignement extérieur et Franck songe aux voyages à l’étranger, aux missions sous couverture, aux coups fourrés entre espions. Des villes le font rêver : Lisbonne, Le Caire, Beyrouth et surtout le Berlin d’après-guerre dont les troupes américaines, soviétiques, anglaises et françaises patrouillent les rues. L’ancienne capitale du Reich est un nid d’espions. Les services secrets se croisent, complotent, échangent des renseignements et manigancent leurs combines.
Franck choisit donc la CIA et suit une préparation afin de lui permettre d’être opérationnel. Il ne s’agit pas pour lui de maîtriser seulement les subtilités géopolitiques ou les rapports de force entre grandes puissances. Il lui faut aussi apprendre à se fondre dans une foule pour assurer une filature, à tirer au jugé sur une cible mouvante et à résister aux techniques d’interrogatoire au cas où, comme agent infiltré, il tomberait aux mains des ennemis.
Cet entraînement se déroule dans un endroit tenu secret quelque part dans le Dakota du Nord, un État du centre des États-Unis. Le lever a lieu à cinq heures et toute la matinée est consacrée à des activités physiques : courses d’endurance, combats à mains nues, parcours du combattant, nage en eau libre. L’après-midi des cours théoriques alternent avec le maniement des armes à feu et des explosifs.
Au bout de six mois de cette existence, Franck est prêt à être envoyé sur le terrain. Ce matin de novembre 1947, quand il se rend au siège de la CIA, il espère mettre rapidement en pratique ce qu’il a appris. Le monde est entré dans une phase nouvelle — celle qu’on appellera la guerre froide — et les Soviétiques vont bientôt se doter de l’arme nucléaire. Le grand affrontement Est-Ouest est inévitable. Franck Dune lit les journaux et se passionne pour l’actualité.
Si quelqu’un l’interrogeait, il répondrait qu’il est un soldat de première ligne.
Dans le bureau de J. Edgar Hoover, quelques hommes sont réunis autour du directeur du FBI et de Clyde Tolson. Ce sont des hommes de confiance, ceux qui sont chargés des dossiers les plus délicats. L’Amérique se prépare à de nouvelles élections présidentielles et Thomas Dewey, gouverneur de l’État de New York, vient d’être brillamment investi par le Parti républicain. Il affrontera donc Harry Truman, président sortant, auquel Hoover ne pardonne toujours pas la création de la CIA.
— Tu crois que Dewey a une chance de l’emporter ? demande Clyde Tolson.
— Oui, s’il fait une bonne campagne. Et si on l’aide un peu…
— Malheureusement, le dossier Truman est léger, observe un des participants.
— On trouvera des choses dans son entourage.
Hoover tourne la tête vers un homme corpulent dont le ventre bedonnant recouvre la ceinture de pantalon.
— Jack, dit-il, vous commencerez par les conseillers les plus proches. Vérifiez ce que contiennent nos fiches et prenez avec vous deux hommes pour les filatures. Ce serait bien le diable si vous n’avez pas de quoi alimenter la presse à scandale.
— Ne vous en faites pas, monsieur, nous trouverons, répond Jack.
— Les autres, vous vous partagez en deux groupes et vous étudiez le profil des soutiens politiques et des plus gros donateurs pour la campagne de Harry Truman. Dans tous les cas, vous ne rapportez qu’à Clyde ou à moi. La consigne ne souffre pas d’exception.
Les hommes se lèvent et quittent le bureau de Hoover à l’exception de Clyde Tolson qui s’enfonce dans son fauteuil. C’est lui qui prend la parole dès qu’ils sont seuls :
— Pourquoi soutenir Dewey ? Les républicains sont partagés à son sujet et sa précédente campagne contre Roosevelt n’a pas été très convaincante.
— Je sais, dit Hoover, mais nous n’avons pas le choix. Il est le candidat du parti et contrairement à beaucoup de républicains il n’est pas isolationniste en matière de politique étrangère. Il a approuvé le plan Marshall afin d’aider les États européens à se reconstruire et il est partisan d’une ligne dure à l’égard des Soviétiques.
— Tu crois qu’il approuverait l’idée d’une intervention américaine en cas de blocus de Berlin ?
— Nous le saurons bientôt car les Soviétiques ne tarderont pas à nous interdire les accès terrestres. La seule riposte possible sera d’organiser un pont aérien afin d’assurer le ravitaillement de la population. D’après mes renseignements, Dewey est favorable à une telle opération. De ce point de vue, il n’est pas éloigné de la ligne démocrate.
— On pourrait aussi se rapprocher de Truman. C’est quand même lui le favori de l’élection.
— Non, contentons-nous de maintenir le statuquo. Truman me déteste et son administration me tient à distance. Par chance, je lui ai rendu des services en fournissant des informations confidentielles sur certaines personnalités du Missouri quand il visait avant-guerre un siège de sénateur. En dépit de nos différends, il compte sur ma loyauté. Voilà pourquoi nous devons agir avec discrétion.
— Tu lui en veux toujours au sujet de la CIA ?
— Je ne lui pardonnerai jamais et avec Dewey nous aurions une chance de rebattre les cartes. Je veux récupérer la responsabilité du renseignement extérieur. Truman ne comprend rien à la guerre contre les communistes. Ce n’est pas une bataille entre gentlemen, mais une croisade que nous menons ! Tous les moyens sont bons pour terrasser nos ennemis. Et pour ce faire, j’ai besoin de contrôler l’ensemble des services secrets. Bon Dieu, ces politiques nous font perdre notre temps !
— Ne t’énerve pas, conseille Tolson. Nous avons plusieurs mois devant nous pour battre les démocrates.
Lee Krasner a accepté sans enthousiasme l’invitation de Peggy Guggenheim, mais elle ne voulait pas froisser cette femme un peu snob, trop riche à son goût, qu’elle connaît depuis plusieurs années et qui régnait en maître sur la scène artistique new-yorkaise. Elle a quitté les États-Unis en 1946 et passe une semaine à New York pour régler quelques affaires. Sa vie est maintenant ailleurs et elle compte bien regagner très vite Venise où elle s’est installée. »
Extraits
« Bien, dit Allen Dulles, je dois conclure, mais j’ai chargé Tom Braden de réfléchir à une opération qui permettrait d’infiltrer les médias et de convaincre les opinions publiques européennes du bien-fondé de notre politique. Parallèlement, nous allons promouvoir les créations américaines afin de montrer la vitalité de nos artistes. Faites-nous dans un premier temps des propositions concernant des peintres contemporains. Nous préciserons ensuite le plan d’action. » p. 26
« Franck rêve un peu, mais New York n’a rien à envier à Paris ou à Londres. Au sein de l’expressionnisme abstrait – Franck a décidé par commodité de garder ce qualificatif – se trouvent de fortes personnalités dont les œuvres témoignent d’une grande capacité créatrice. À l’intérieur de ce mouvement figurent en premier lieu Willem de Kooning, Arshile Gorky, Jackson Pollock, Mark Rothko, Robert Motherwell et William Baziotes. » p. 56
« Même les Américains de naissance — je pense notamment à un dénommé Jackson Pollock — n’hésitent pas à défendre des idées communistes. Jackson Pollock a largement profité du système d’aide aux artistes mis en place durant la crise économique par le président Roosevelt, D’après nos renseignements, il a bénéficié d’une pension jusqu’en 1942 ce qui ne l’a pas empêché de tout faire pour être réformé quand le pays est entré en guerre. Cette attitude illustre bien l’état d’esprit de ces « artistes » (je mets volontairement des guillemets à ce mot quand je vois les tableaux qu’ils peignent) dont le sens civique est inexistant, Ils sont un terreau particulièrement favorable pour la propagation d’idées anti-américaines.
Je vous ferai parvenir sur Jackson Pollock et ses amis les dossiers en cours de constitution. » p. 64
« Chaque soir, vers dix-neuf heures, Jackson arrive dans le centre de Springs et commence sa tournée des bars. En général, il finit chez Ben’s, mais il lui arrive aussi de rester au Bonkey’s, trop ivre pour quitter sa table. L’endroit est mal fréquenté et Jackson ne détonne pas dans le décor avec ses joues mal rasées, ses cheveux en bataille et ses vêtements sales et tachés. Autour de lui, de petits voyous, des ouvriers écrasés de fatigue, des journaliers aux mains calleuses et aux ongles noirs, des chômeurs minés par l’alcool, le désœuvrement et la solitude. Une foule d’individus cabossés par la vie au milieu desquels Jackson éprouve une sorte de soulagement. »
À propos de l’auteurChristian Carisey © Photo DR
Après des études de philosophie et de sciences politiques, Christian Carisey a travaillé dans la distribution de presse. Il dirige actuellement une agence éditoriale. Il a publié La Maladie du roi (2013), Le Testament de Descartes (2014) et La Confusion du monde (2016) aux éditions du Cherche-Midi, puis Pleine Mer (2023), La Folie Fischer (2024) et L’opération Jackson Pollock (2025) chez Kubik éditions. (Source : Kubik Éditions)
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