
En deux mots
Claire tombe amoureuse de Gilles, rencontré un soir de Saint-Sylvestre. Mais l’idylle entre l’écrivaine et le marionnettiste va s’achever tragiquement. Accusée de tentative de meurtre, Claire va devoir déconstruire leur relation point par point.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
« L’amour, c’est tant qu’on y croit »
Dans ce roman fort habilement construit, Camille Laurens explore une relation qui va se terminer dans le sang entre une écrivaine et un marionnettiste. Une exploration subtile du mensonge et de la vérité, de la manipulation et de l’illusion amoureuse. Vertigineux !
Dans le roman, la narratrice s’appelle Claire Lancel. Elle est écrivaine, ayant déjà une belle œuvre à son actif. Elle a connu la douleur de perdre un enfant et sa vie sentimentale est faite de hauts et bas qui ont fait l’objet de plusieurs livres. Mais cette fois, elle fait la promesse à Gilles, son nouveau compagnon, qu’il ne sera pas un personnage dans l’un de ses prochains livres. Promesse envolée à peine scellée, si l’on considère le caractère autofictionnel de l’histoire qui le met en scène dès le chapitre initial.
Il est marionnettiste, metteur en scène d’opéra et fait la connaissance de Claire lors de la soirée de la Saint-Sylvestre 2013. Une soirée à laquelle elle avait fini par se rendre à contrecœur, ni habillée, ni maquillée, mais qui s’était terminée dans les bras de son nouvel amant.
À compter de ce moment, leur relation va s’apparenter à un bonheur de tous les instants. Un temps qui mérite d’être raconté en vers libres et que les témoins, comme son amie Carole, voient comme une parenthèse enchantée. À l’entente sexuelle viennent s’ajouter des projets communs et l’installation dans une maison dénichée à Hyères et qu’ils achètent ensemble. Comme le dit Balzac, « ils furent heureux comme nous rêvons tous de l’être ».
Ici l’usage du passé n’est pas fortuit, car l’idylle a pris fin. On le comprend lorsque l’on lit que la police trouvé Claire assise par terre en sang devant sa maison. Qu’elle va être mise en examen. Que la juge et l’avocate entrent en scène. Une avocate qui va chercher à comprendre ce qui s’est passé et enjoint sa cliente à « déconstruire l’idylle, sinon on ne va pas y arriver ».
Dans cette seconde partie du roman, Claire va donc tenter d’approcher au plus près de la vérité. De revivre son histoire d’amour en la déconstruisant pièce par pièce. Elle va « recomposer le chaos » et découvrir la manipulation dont elle a été victime. « Le dictionnaire amoureux qu’elle croyait connaître par cœur, ce dictionnaire était ravagé, illisible, des pages manquaient ou étaient déchirées. Elle a dû redonner forme et sens à l’incohérence. Comprendre l’incompréhensible. Tirer la vérité du déni et de l’oubli — de leur déni à tous les deux. Elle a eu du mal. L’obscurité était plus épaisse, sans doute — la lumière fait mal quand on sort du noir ».
Dans un suspense allant crescendo, la troisième partie est celle du procès. Celle qui va révéler que « l’être n’est qu’une syllabe du paraître » ou, pour reprendre la formule de l’expert psychiatrique énonçant la technique du prédateur, « séduire, réduire, détruire ». Mais c’est bien Claire la prévenue, accusée de meurtre avec préméditation.
Camille Laurens est trop bonne romancière pour ne pas avoir compris qu’avant l’épilogue, son récit devait s’enrichir de rebondissements, jusqu’à un ultime coup de théâtre. Mêlant avec raffinement les genres littéraires – du roman psychologique à la poésie en vers libres, du thriller au roman de procès –, elle embarque le lecteur dans un maelstrom d’émotions. Et comme à son habitude, elle emmêle avec jubilation la réalité et la fiction. Il est, par exemple, aussi ici question d’assignation en justice pour atteinte à la vie privée, comme ce fut le cas en 2003 après la publication de L’amour. Voilà en tous cas une bien belle illustration de la formule « tout le reste est littérature ».
Ta promesse
Camille Laurens
Éditions Gallimard
Roman
368 p., 22,50 €
EAN 9782072912238
Paru le 2/01/2025
Où ?
Le roman est situé principalement en France, à Paris et à Hyères. On y évoque aussi Juan-les-Pins et Antibes, Charleville-Mézières, Lille, Lyon, Rouen, Marseille, Toronto, Boston, Tbilissi, Bâle.
Quand ?
L’action se déroule de 2013 à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Au moment où s’ouvre ce livre, je romps une promesse. Lorsque je l’ai faite, c’est idiot, j’étais sûre que je la tiendrais. Enfin, idiot, je ne sais pas. La moindre des choses, quand on fait une promesse, n’est-ce pas d’y croire ? »
Que s’est-il passé avec son compagnon pour que la romancière Claire Lancel doive se défendre devant un tribunal ? Au fil du récit, elle raconte comment elle s’est peu à peu laissée entraîner dans une histoire faite de manipulations et de mensonges.
Dans ce roman haletant comme un thriller, Camille Laurens questionne le narcissisme contemporain, l’absence d’empathie, et se demande comment sauver l’amour de ses illusions. Elle nous invite à le célébrer et à le vivre, au-delà des promesses trahies.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Camille Laurens présente « Ta promesse » © Production Gallimard
Les premières pages du livre
« PROLOGUE
Dès que la voiture s’est éloignée sur la route, je suis revenue vers la maison. J’ai rasé les murs et contourné la façade sur laquelle l’agence immobilière avait fixé la pancarte À louer, qui commençait déjà à se fendiller. J’ai eu envie de l’enlever mais par superstition je ne l’ai pas fait. Nous avions été heureux ici autrefois, pourrions-nous l’être à nouveau ? Plus exactement, je pensais que nous avions été heureux mais je n’en avais aucun souvenir. Mon cerveau était comme vidé de toute réalité, n’en subsistait qu’un mot, le mot bonheur, qui pouvait tout aussi bien s’appliquer seulement aux deux derniers jours.
La clef qui ouvrait la porte arrière de la cuisine, côté jardin japonais, était à sa place sous la troisième pierre. Jardin japonais, c’est beaucoup dire : un carré de terre vide avec un bambou famélique et un chemin de six pierres plates. Bien qu’il soit mal exposé, on pourrait tenter d’y faire un potager – j’avais eu la même idée lors de notre première visite, cinq ans plus tôt, mais la beauté des arbres et des fleurs côté sud me l’avait fait oublier. À présent, tout était sec.
J’ai tiré le volet dont j’avais exprès ôté le crochet quand nous avions refermé toutes les issues dix minutes plus tôt et j’ai ouvert la porte. Traversant la pénombre, je suis allée directement au petit secrétaire de l’entrée, celui que sa mère, qui le lui avait donné, appelait un bonheur-du-jour, dont le rabat ouvert servait de vide-poches. J’avais toujours cru que les quatre tiroirs étaient des trompe-l’œil, on avait beau s’acharner sur leurs boutons dorés, ils ne s’ouvraient pas, mais tout à l’heure dans le miroir, j’avais surpris Gilles en train d’y prendre quelque chose. Dans le reflet de la glace où je vérifiais que je n’avais pas les sourcils en bataille, cela m’avait semblé être une plaquette de médicaments, dont il avait extrait et avalé à la dérobée un comprimé. Avoir habité des années cette maison sans connaître le secret de ce meuble me mortifiait, j’en étais curieuse mais pas autant que du secret dans le secret. Me cachait-il une maladie ? J’ai mis trois bonnes minutes à comprendre le mécanisme, il fallait vraiment le savoir, le ressort était très bien caché. À l’intérieur, il y avait en effet deux plaquettes de gélules dont le nom ne me disait rien, j’irais voir sur Google, et puis une feuille pliée en quatre, un papier commercial dactylographié à en-tête que j’ai déplié, soulagée que ce ne soit ni une ordonnance ni une lettre d’amour. Je me suis approchée du faisceau de lumière jaune qui tombait de la lucarne. À ce moment-là, j’ai entendu qu’on ouvrait le portail et une voiture, la voiture, est entrée dans le garage. J’ai reporté mes yeux sur le papier. C’est comme ça que tout a commencé. Et fini. Ça a fini là, l’histoire. La suite, vous la connaissez. Si l’on s’en tient aux mots, secrétaire convenait beaucoup mieux que bonheur-du-jour. Mais on ne peut pas toujours taire un secret, ni être heureux tout un jour, il faut croire.
***
Ça m’a fait du bien d’écrire la dernière page, enfin l’une des dernières pages, le début de la fin, quand Claire, ma narratrice, découvre la preuve, c’est-à-dire un fait pour lequel il n’y a pas d’interprétation possible, un fait monolithique, nouveau mais irréfutable, daté, nommé, un fait brut étranger à toute subjectivité. Cette découverte clôt l’enquête angoissée à laquelle je soumets sa vie depuis des mois, à tourner autour de bribes, de souvenirs, de témoignages et d’hypothèses contradictoires, sans trouver vraiment ni une forme ni un sens, encore moins une certitude. Il faut que ce livre finisse comme finit un roman policier : par la vérité. Car la vérité existe, n’en déplaise aux hérauts de la nuance, aux champions de l’ambivalence, aux tenants de la fiction universelle. À un moment, dans le champ de la vie, quelque chose est vrai ou faux, fait ou fable. Cela ne dure peut-être qu’un moment, mais c’est un moment de vérité. Or, tout le monde a peur de la vérité. On traîne les pieds, on y va à reculons, on tergiverse. On ne veut pas la vérité, on veut la paix. Non, pas la paix. La tranquillité. La vérité est une aventure, or on veut être tranquille, peu importe le prix. Mais un roman ne doit pas sacrifier la vérité, il perdrait sa raison d’être, qui consiste à s’y risquer, quelle qu’elle soit. Si vous n’écrivez pas pour la chercher, n’écrivez pas. Et si vous ne lisez pas pour l’approcher, à quoi bon ? C’est pourquoi je commence toujours par écrire la fin. Pour me donner le courage de suivre le chemin. Pour être sûre d’aller au bout sans lâcheté. Je vais l’écrire, ce livre, puisque je l’ai déjà fini. J’en suis venue à bout. Voilà ce que je me dis. Je suis venue à bout de l’illusion, même si c’en est une encore de s’y croire parvenue. C’est le chemin qui compte, après tout. Jamais été éblouie par la vérité, à la fin ? Oh, je me contenterai d’un rai de lumière. J’entrevois aussi comment entrer dans le récit, par cette épigraphe d’Héraclite – je ne me refuse rien : « Qui cherche la vérité doit être prêt à l’inattendu, car elle est difficile à trouver et, quand on la rencontre, déconcertante. » D’un autre côté, cet adjectif ne convient pas. Déconcertante, la vérité ? Elle est monstrueuse. Elle est meurtrière. Comment ne pas comprendre que le bonheur veuille s’en protéger ? On est tellement plus heureux par les choses qu’on ignore que par celles qu’on sait.
Il me faut revenir au commencement, à présent. Peut-être que dans toute chose qui commence se trouve sa fin, du reste, qu’elle est toujours déjà là. On peut le penser de beaucoup d’histoires, quand on y repense. Pour ce roman, c’est un peu différent. J’ai écrit la fin parce que je n’arrivais pas à le commencer. Pas du tout. Blocage complet, dont je connais la cause. C’est qu’au moment où s’ouvre ce livre, je romps une promesse. Lorsque je l’ai faite, c’est idiot, j’étais sûre que je la tiendrais. Enfin, idiot, je ne sais pas. La moindre des choses, quand on fait une promesse, n’est-ce pas d’y croire ? Ce jour-là, il y a sept ans, nous avions plaisanté sur la question de savoir si on était libéré d’une parole donnée dès l’instant que l’autre ne respectait pas la sienne. Je soutenais que oui, que c’était comme un contrat, un mariage, un bail, que le manquement de l’un annulait l’engagement de l’autre. Lui disait que non, qu’on s’engage envers soi-même – « une promesse est une promesse ».
Appelons-le Gilles. C’est le prénom de mon père dans la plupart de mes romans mais tant pis, ou tant mieux, on y lira ce qu’on voudra, au fil du temps – ce n’est sûrement pas un hasard, comme disait ma psy autrefois. Ni lui ni mon père ne s’appellent Gilles dans la vraie vie, vous l’aurez compris, à moins que la vraie vie ne soit dans les livres – on l’entend dire. Moi-même, je ne m’appelle pas Claire, nous vivons en imagination. L’important, à l’instant, c’est que j’en aime la sonorité, Gilles, comme une désinence féminine et plurielle de il mâtiné de je, garçon, fille, un fouillis de genres et de gens dans une seule syllabe, même si en le rebaptisant j’essaie surtout, pauvre ruse, de garder frauduleusement intacte ma promesse. Quant au prénom de ma narratrice, c’est par ironie – le brouillard qui la noie est son paysage intérieur, elle est tout sauf claire. Avec elle, je cherche la clarté, pourtant. À elle de faire la lumière.
1
Gilles, donc, était à l’initiative du tour solennel que prenait tout à coup le dîner au bord de la mer. C’était l’été, le soleil était dans les bleu-rose, très bas sur l’horizon – tu sais que quand on le voit si bas, le soleil est déjà couché, en réalité ? Ce qu’on voit n’est que son reflet. Les bougies tremblaient sur les nappes blanches empesées, effaçant les disgrâces – à la lueur d’une flamme tout le monde est beau. Les gens se levaient pour aller choisir leur poisson, des femmes bronzées avec des robes en mousseline, des enfants fatigués d’attendre ou qui ne voulaient pas quitter leur mère. D’autres couraient sur le sable. On parlait russe à côté, je reconnaissais des mots quand ils parlaient fort. Gilles portait une chemise bleu nuit qu’il avait choisie pour me plaire, je l’avais vu se regarder dans le miroir avant de sortir. Jamais je n’avais connu d’homme plus attentif à me séduire (mon mari, peut-être, au début) et combien il me plaisait, il avait tout l’air de le savoir. Ce sourire, bon sang. Nous ne sommes pas jeunes mais il faut nous imaginer jeunes, l’âge serait une erreur ici. On se connaissait depuis six mois, et devant nous l’éternité. La mer mimait l’amour. Le cimetière que c’était, on l’avait encore lu le matin dans le journal, et l’espoir d’une autre vie, et on s’embarque, et les naufrages, et tout, mais bien qu’on le sût, on n’y pensait pas. J’avais au poignet le bracelet qu’il m’avait acheté la veille quand nous déambulions à Juan-les-Pins, je le faisais tourner entre mes doigts, les coudes sur la table – il est doré avec des pierres vertes. Juan-les-Pins, quand j’étais enfant, c’était la ville où ma mère se promenait avec son amant pendant que j’étais chez mes grands-parents, après ils allaient à Antibes écouter du jazz. Sur les photos elle a une énorme choucroute au-dessus du front et lui un nœud papillon, une bouteille est renversée dans le seau à champagne, je me demande où se trouvait mon père à ce moment-là.
Le bar en croûte de sel était très bon, on hésitait à prendre un dessert, et puis si. Nous nous regardions dans les yeux, ou bien on regardait la mer, on aimait, on était aimés. À gauche en haut des marches qui descendaient vers la plage, il y avait un mimosa, un quatre-saisons tout jeune dans son pot en granit, dont la boule jaune emportait la raison. On avait fait l’amour l’après-midi après avoir nagé loin au-delà des bouées, puis une sieste ensuquée, et la nuit, tard, on le referait, on se trouverait dans le noir. Sa queue sous mes doigts, c’était précis, j’y pensais – sa densité, sa dureté, sa douceur –, un sceptre. Il me l’avait donnée comme on donne sa parole, il ne la reprendrait pas. J’étais reine.
— Mon amour. Et si – il enveloppe délicatement ma main entre les siennes –, et si on se faisait une promesse ? — Une promesse ? Ouh là là… Je ris. La glace est fondue dans l’assiette, on n’a plus faim. Bon, d’accord, vas-y. Qu’est-ce que tu veux me promettre ? Ou plutôt non, pardon : que veux-tu que je te promette ? — Non, toi d’abord. — Mais non, c’est toi qui as eu l’idée ! Et puis moi, il faut que je réfléchisse. Je n’ai pas de demande de serment toute prête, moi. Tandis que toi, tu as déjà l’air de savoir. — Oui, c’est vrai, dit-il. — Alors vas-y, je suis tout ouïe.
Il me regarde. Les fonds d’algues de ses yeux.
— Tu me promets que tu ne te fâcheras pas ? Je ris. — C’est ça, la promesse ? — Non. — Alors ?
Il prend une inspiration.
— Je voudrais que tu me promettes de ne jamais écrire sur moi.
***
Je peux vous dire pourquoi j’ai promis, Maître, oui, bien sûr, je peux vous le dire comme je le lui ai dit. À mes yeux, c’était facile de tenir cette promesse, très facile. Pourquoi ? Parce que les gens heureux n’ont pas d’histoire, voilà pourquoi. Un roman sur lui et moi ? Mais qu’est-ce qu’il aurait raconté ? Les bougies sur les tables, la mer bleue, le bracelet ? Vous parlez ! Au bout de deux pages, les lecteurs se seraient morfondus. Même en remontant le fil jusqu’à notre rencontre, quand il n’était pas encore libre, il n’y avait pas de grain à moudre. Dans les livres, le bonheur lasse tout le monde, moi la première. Pouvez-vous d’ailleurs m’en citer un seul où il ne se passe rien d’autre que le bonheur ? Ça n’existe pas. Le bonheur n’est pas un sujet, à moins d’être menacé. Aucune tension, aucun suspens, zéro conflit ? Intérêt nul. On n’écrit pas sur le bonheur. Il faut écrire noir sur blanc, sinon on ne voit rien. La seule matière de la littérature, c’est le chagrin. Ou la passion, ce qui revient au même, au bout d’un moment. Or moi, sincèrement, depuis le premier jour je ne voyais pas comment cet homme, cette merveille d’homme, pourrait jamais me faire souffrir. L’évidence de l’amour heureux, comment la raconter ?
***
— Parce que moi, a-t-il ajouté comme je ne répondais pas, moi je veux être dans ta vie, pas dans tes livres.
Je gardais le silence. Tu es bien mieux dans ma vie, me disais-je. Qu’est-ce que tu ferais dans mes livres ? Il n’a pas dû tous les lire, me disais-je, sinon il saurait. Il saurait que l’amour rate, dans mes livres. Que chaque livre est un cercueil où j’enfouis le corps mort de l’amour. Qu’ils forment les chapitres d’un inventaire testamentaire. Ou bien si, justement il le sait, il les a lus, au contraire, et c’est sa façon de me demander que nous nous aimions toujours, que notre histoire ne finisse pas dans un livre. Que notre histoire ne finisse pas. Sa façon d’homme pudique. Je voyais défiler les héros de mes romans, qui lui ressemblaient si peu. Le jour et la nuit. Des borderlines, des machos, des bad boys, des Narcisse, des paumés. « Tombeau de l’amour », titraient souvent les journaux à propos de mes livres, citant le titre de mon premier roman. « La passion est un labyrinthe, Claire Lancel nous y égare à plaisir », écrivait un autre. « Cap au pire », mentionnait un bandeau. J’avais fini par passer pour une misandre aux yeux de mes détracteurs, voire pour une Bovary toujours déçue. « On a les amours qu’on mérite », avait même conclu un critique. D’autres se demandaient jusqu’à quel point je ne ratais pas mes histoires d’amour pour avoir un roman à écrire – c’est étrange comme les gens s’imaginent que les écrivains n’ont pas envie de réussir leur vie. Mais avec Gilles, tout cela était derrière moi, je le savais. Ne pas se tromper de route, enfin. Accueillir cette innocence. Honorer la chance que j’avais eue de le rencontrer. Je ne lui ferais pas passer la frontière qui sépare l’homme du personnage. Je ne le clouerais pas entre les quatre planches d’un roman, je le garderais chaud et vivant tout contre moi, je coucherais toujours avec lui, nous resterions sur ce bord-ci de la vie, il n’irait jamais dans la boîte.
— Je te le promets, ai-je dit.
Mon amour, ai-je pensé. Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour. »
Extraits
« À partir de là, Dieu soit loué, la machine à comprendre qu’est aussi Claire s’est réveillée. Je me suis souvent dit, en lisant ses romans, que l’élucidation en constituait le nerf principal. Le désir de savoir est ce qui fait avancer ses livres. Cette fois-ci, cependant, il s’est passé autre chose. C’est comme s’il lui avait fallu recomposer non pas seulement une histoire mais le chaos. Le dictionnaire amoureux qu’elle croyait connaître par cœur, ce dictionnaire était ravagé, illisible, des pages manquaient ou étaient déchirées. Elle a dû redonner forme et sens à l’incohérence. Comprendre l’incompréhensible. Tirer la vérité du déni et de l’oubli — de leur déni à tous les deux. Elle a eu du mal. L’obscurité était plus épaisse, sans doute — la lumière fait mal quand on sort du noir, Elle a.. » p. 273
« L’amour, c’est tant qu’on y croit. » p. 298
« L’être n’est qu’une syllabe du paraître. » p. 303
À propos de l’autrice
Camille Laurens © Photo Francesca Mantovani
Camille Laurens est née en 1957 à Dijon. Agrégée de Lettres modernes, elle a d’abord enseigné en Normandie puis, à partir de 1984, à Casablanca et dans les Classes préparatoires aux grandes écoles de Marrakech. Elle a vécu douze ans au Maroc, partageant son temps entre ses cours, l’animation d’un ciné-club, le théâtre (elle a interprété notamment l’Araminte des Fausses confidences de Marivaux) et l’écriture : ses trois premiers romans sont rédigés à Marrakech. C’est le récit que Camille Laurens a fait de la mort de son fils Philippe en 1994 qui l’a conduite à s’interroger sur le rapport de la littérature avec la vérité. Elle s’éloigne alors de la fiction traditionnelle pour se rapprocher de ce que l’on appelle souvent l’autofiction, et qu’elle préfère nommer l’écriture de soi, en hommage au « livre intérieur » de Marcel Proust, « le seul dont l’impression ait été faite en nous par la réalité même ». Depuis 2002, l’écrivaine est également chroniqueuse littéraire dans différents quotidiens – L’Humanité en 2002 et 2003, Le Monde en 2014 et 2015. Depuis septembre de cette même année, elle tient une chronique mensuelle dans Libération. En août 2019 elle reprend « le feuilleton » hebdomadaire du Monde des livres. Camille Laurens est traduite dans une trentaine de langues. (Source : Académie Goncourt)
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