La boutique des choses inavouables (Céline Chevet)

Bonjour tout le monde

Une couverture douce, agréable à regarder, un titre qui donne envie et un résumé que je n'ai lu qu'une fois ma lecture terminée. Bienvenue dans un monde dont je n'avais jamais mis les pieds, Le monde des démons Japonais, la culture japonaise en elle-même sur ce qui se passe de l'autre côté du miroir, derrière la flamme d'un défunt, au-delà de la vie. La mort en elle-même nous cache bien des choses certes, mais les démons japonais semblent avoir pris de la place et l'auteure ne s'embête pas à les laisser dans un recoin d'un sous-sol : ils sortent à l'air libre. Bien que ses personnages ne le soient pas vraiment, cette liberté à un prix et ce n'est pas Kishino, le maître des lieux de cette boutique particulière qui dira le contraire. Il faut bien avouer que la première femme que nous rencontrons dans sa boutique demande à ce que sa sœur passe de l'autre côté. Tout ça parce qu'elle a osé lui voler son mari... Ce qui me choque c'est que la femme bafouée ne s'en prend qu'à sa sœur, non mais le mari est tombée dessus par hasard à plusieurs reprises sans vêtements ? Non demander une vengeance en échange d'un troc particulier ne m'a pas choqué plus que cela (en fait si, mais chut !)

Des désirs de ces hommes et femmes qui passent le seuil de la boutique sans vraiment savoir pourquoi ils sont là ? Inconsciemment ils sentent qu'ils doivent passer par la porte, quelque chose les y pousse, pour un troc qui n'est pas toujours compris, ais ô combien important pour notre gérant. Kishino... Comment vous dire qu'il a vécu dans ma tête toute sorte d'étapes. Aimé, détesté, il ne m'a absolument pas laissée indifférente sur ce qu'il fait et ce qu'il a subit. Gentil ou non, libre ou non, humain ou non, il est de ces personnages qui nous font nous poser bon nombre de questions sur lui-même, sa consistance, son devenir, son passé et puis les émotions qu'il nous fait ressortir. Le bon comme le mauvais et c'est ce que j'adore dans ce type de lecture, pouvoir passer d'un avis tranché à un autre en ce disant qu'on est mal barré, parce que si cela se trouve, l'auteur nous retourne le cerveau. Et c'est bien le cas, Céline Chevet nous fait un retournement de cerveau à plusieurs reprises avec les actes et le peu de paroles qu'il lâche. C'est un personnage intéressant qui n'est pas simple à comprendre, à nous de bien suivre jusqu'au bout de l'histoire pour avoir un début de réponses.

En parlant personnages, je ne peux passer outre ses sous-fifres, pardon, ses employés pas si employés que cela qui ont chacun une vie... oserais-je dire palpitante ? Mary, Hito, Kumiko sont ceux que nous suivons le plus. Acheter ou vendre des cauchemars est monnaie courante (je ne connaissais pas ce principe), faire du troc pour obtenir ce qui va combler un désir profond, une montre qui ne trottine plus peut fonctionner d'un simple changement de propriétaire, une musique est capable d'envouter n'importe lequel de ces clients particuliers, sans imaginer qu'une fois un pied posé dans la boutique signifie que vous n'en ressortirez pas indemne. Croyez-moi sur parole ! Les personnages vont et viennent, apportent leur contribution et puis chacun d'entre eux se dévoile petit à petit, sous la forme de flash-back qui en imposent. Pas besoin de grande descriptions pour comprendre l'amour d'une mère, la vengeance d'une amie, la perte de la vie par négligence. L'auteure nous entraîne dans son monde et j'ai adoré découvrir les nombreuses révélations qui arrivent à point nommé. L'âge importe peu, les émotions sont bien présentes à 10 comme à 200 ans. Des sentiments qui frappent en plein cœur, déchirant parfois la raison et permettre ainsi à certains de ces démons de titiller physiquement l'un d'entre eux. (Suivez mon regard vers les toilettes... mdr)

Kishino fait office de figure, mais paternel ? Peut-être, peut-être pas, entre Mary qui a un style d'élèves particulier et Hito qui ne dit mot, tous trois nous apportent des moments hilarants, tendres, précieux de la vie. Il faut savoir partager ces moments rares, être capable de se les approprier et s'en souvenir. Ah, ces fameux souvenirs qui nous sont dévoilés petit à petit, laissant derrière soi un soupçon d'amertume, ou pire encore, de déception. La vérité est parfois si forte que le cerveau stoppe le tout pour mieux aider le corps à réagir. Sauf qu'il y a un manque, un pan de sa propre histoire qui a disparu, laissant l'un ou l'autre dans un état incompréhensif, de manque, définitivement. Ce moment où le corps et l'esprit ne font qu'un est un moment solennel et le fameux pardon passe parfois par se le donner à soi-même avant de réussir à l'offrir à l'autre. Le temps est précieux, la vie compte les jours elle-même jusqu'à cette mort pas forcément bienveillante, pour autant ces jours s'ouvrent et se ferment. Il ne faut pas les gâcher avec une émotion forte, bouillonnante et pourtant, le sentiment est si puissant que la boutique s'ouvre à vous et vous emporte dans son sillage.

Plus j'avançais dans le récit et plus on ressent une légère angoisse (il m'en faut un peu plus pour grignoter mes ongles), de savoir comment tout peut bien se terminer. Ce sous-sol, ces trocs particuliers, ces "crimes" qui sont "indétectables"... Ô bien entendu, il n'y a pas que la mort en elle-même qui est présente, parfois il y a bien pire que cela, nous le découvrons lors d'un passage important sur l'un des personnages cité plus haut. Les questions affluent, certains points restent surprenant apportant autant de rire que, non pas de pleurs, mais de tristesse. Une étreinte sourde, angoissante qui prend le cœur en étau, empêchant les poumons de respirer correctement jusqu'au dénouement. Une fois le récit démarré, il est difficile, voire impossible de revenir en arrière, de toute manière aucun personnage entrant dans la boutique ne peut dire NON. C'est un mot qui n'a pas de compromis. Échangez est le maître mot et seul Kishino est capable de faire évoluer comme il le désire ses marionnettes. Est-il vraiment le marionnettiste ? C'est encore une question que je me pose en ayant terminé cette histoire. Nous ressentons la lassitude, son espoir aussi bien caché et puis le dénouement qui nous laisse avec une peut-être suite, ou dérivé en suivant un de ces personnages ?

La lecture est fluide, presque poétique par endroit, gardant des termes appropriés lorsqu'il s'agit de défunt ou de recueillement. Seul bémol, l'emploi dans certains chapitres (ils sont peu nombreux) à la deuxième personne, le fameux "tu" qui me gêne toujours autant dans les livres. Je me sentais reculer de plusieurs mètres lorsque ce changement de pronom s'effectuait. Je me doute fortement que c'était voulu, mais cela n'a pas beaucoup fonctionné sur moi, malheureusement. Le monde est peuplé de rêves, mais surtout de cauchemars qui prennent réalité de manière effrayante. LA boutique n'est qu'une forme de réceptacle, un lieu où tout est permis. Un équilibre doit se tenir et seul Kishino parvient à trouver l'équilibre entre ce qu'il prend et ce qu'il donne. Marchandage ? Oui, truqué ? Peut-être, mais qui viendra s'en plaindre par la suite, lorsque nous sommes mouillés jusqu'au cou ? Et un peu plus aussi.


En conclusion ? L'horreur apparait doucement, un peu comme une main qui vient vous caresser la joue pour vous faire lever la tête. Rien de brusque, tout se lie les uns aux autres de manière... oui, toujours poétique. Rien n'est laissé au hasard. La boutique vit, les démons aussi et ce ne sont pas les seuls qui sont le plus à plaindre, enfin je crois. Des destins, des tranches de vie qui se mêlent, des secrets inavouables, des portes qui s'ouvrent sur un monde empli d'effroi. Les désirs des uns peuvent parfois faire peur et si vous vous décidez à découvrir ce titre, vous allez également avoir de nombreux thèmes récurrents qui vous sauterons aux yeux. La connaissance du monde n'est rien comparé à ce que Kishino est capable de vous montrer, êtes-vous prêts à déchirer ce voile d'entre-deux pour assouvir un quelconque... désir ?