Depuis toujours nous aimons les dimanches

Depuis toujours nous aimons dimanches

En deux mots
De la volupté d’un réveil tout en douceur un dimanche matin aux cadences infernales de la femme de chambre qui se tue au travail toute la semaine, il y a un monde. Face aux ayatollahs de la valeur travail, voici un plaidoyer subversif pour la paresse. Pour se réapproprier sa vie, pour penser, pour lire. Pour s’émanciper.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Guide pratique pour habiter sa vie

Avec sa verve coutumière, Lydie Salvayre s’attaque à la «valeur-travail» qu’elle dézingue avec une joyeuse et féroce ironie. Son plaidoyer pour la paresse est un essai revigorant qui nous pousse à nous poser la question essentielle du sens de la vie.

Lydie Salvayre éprouve un malin plaisir à jeter des pavés dans la mare de la bienséance. Après son Irréfutable essai de successologie, la voilà partie en guerre contre les «apologistes-du-travail-des-autres», ces employeurs qui ne jurent que par les la production, la surconsommation. Ceux qui nous font trimer pour leurs profits et nous empêchent de profiter de la vie. Alors, comme des hamsters s’échinant à tourner dans leur roue, on se tue au travail. On ne trouve même plus le moyen de réfléchir. Obnubilés par ce temps qui passe et que des sollicitations permanentes nous accaparent, il ne nous est plus possible de nous arrêter.
Mais peut-être est-il temps d’appuyer sur pause. De nous poser la seule question qui vaille: que voulons-nous faire de notre vie? Et si la réponse était tout simplement: rien!
Cette provocation a en tout cas une vertu cardinale, braquer les projecteurs sur nos instants de bonheur, sur ces moments où nous nous sommes sentis si bien. Comme quand nous traînons au lit le dimanche matin et que nous (re)découvrons les plaisirs de l’oisiveté. Oui, «la paresse est un art subtil, discret et bienfaisant. Une manière heureuse et chérie des poètes de résister aux mandements que le monde marchand nous inflige avec son ventre énorme et ses dents carnassières. Un instrument de charme et de volupté calme.
Une musique douce. Une façon légère, gourmande et infiniment libre d’habiter le monde (…) La paresse est ni plus ni moins qu’une philosophie.»
L’illustration de cette philosophie passe par… un travail, mais un travail choisi, voulu, aimé. À la manière de Proust qui n’a rien fait pendant des décennies que de profiter de la vie qui lui avait été offerte avant de se lancer dans la rédaction de la Recherche, Lydie Salvayre a expérimenté sa théorie, travailler moins pour lire plus. Comme en témoigne la bibliographie qui clôt ce texte, elle a lu «immodérément, insatiablement, jouissivement, certains diraient vicieusement, certains diraient dangereusement» pour convoquer à ses côtés Sénèque et Nietzsche, Virgile et Baudelaire, Verlaine et Rabelais, Boris Vian et Saint Matthieu, sans oublier les penseurs du travail, de Fourier à Marx. L’occasion aussi de constater que cette fameuse valeur-travail est un concept tout récent dans notre histoire et qu’elle n’a rien d’intangible.
Ajoutons encore un mot sur le style, toujours aussi enlevé, et le choix du nous pour inclure le lecteur et la communauté des hommes dans ce plaidoyer, mais aussi pour permettre d’interpeller une inconditionnelle de la paresse, Lydie Salvayre elle-même, avec toute sa mauvaise foi et ses envolées lyriques. C’est drôle, impertinent, documenté et iconoclaste. On se régale!

Depuis toujours nous aimons les dimanches
Lydie Salvayre
Éditions du Seuil
Roman
144 p., 16,50 €
EAN 9782021554557
Paru le 1/03/2024

Ce qu’en dit l’éditeur
« Depuis toujours nous aimons les dimanches.
Depuis toujours nous aimons nous réveiller sans l’horrible sonnerie du matin qui fait chuter nos rêves et les ampute à vif.
Depuis toujours nous aimons lanterner, buller, extravaguer dans un parfait insouci du temps.
Depuis toujours nous aimons faire niente,
ou juste ce qui nous plaît, comme il nous plaît et quand cela nous plaît. »
En réponse aux bien-pensants et aux apologistes exaltés de la valeur travail, Lydie Salvayre invite avec verve et tendresse à s’affranchir de la méchanceté des corvées et des peines. Une défense joyeuse de l’art de paresser qui possède entre autres vertus celle de nous ouvrir à cette chose merveilleuse autant que redoutable qu’est la pensée.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France culture (Le Book Club – Marie Richeux)
France Inter (L’invitée du week-end)
France Inter (Grand canal)
Huffpost (Valentin Etancelin)

Lydie Salvayre présente «Depuis toujours nous aimons les dimanches» © Production Librairie Mollat
Lydie Salvayre présente son nouveau roman dans l’émission «La Midinale» © Production Regards

Les premières pages du livre
« Depuis toujours nous aimons les dimanches.
Depuis toujours nous aimons nous réveiller sans l’horrible sonnerie du matin qui fait chuter nos rêves et les ampute à vif.
Nous aimons rester longuement les yeux fermés dans la pénombre et enlisés dans la douceur des draps.
Nous aimons nous déplier lentement,
lentement nous ouvrir,
nous déployer,
nous répandre.

Nous aimons retrouver la douceur de la main qui dort sur notre épaule
et sentir que notre corps est chaud, sensuel, qu’il bat, qu’il est vivant, encore ensommeillé mais vivant,
et parfaitement improductif.

Nous aimons constater qu’une longue semaine de bonheurs et de voluptés rudement refoulés à présent nous reviennent et rendent notre corps heureux, plus vrai, plus dense et plus abandonné.
Nous aimons vérifier que ce corps renaissant n’est en rien empêché,
entravé,
sanglé dans ses costumes,
soumis aux gestes radotés qui, chaque jour, le jettent au dehors,
dans le bruit,
dans le froid,
dans le jour criard,
dans la foule bousculé,
dans les mâchoires du métro,
à l’usine happé par la vitesse broyeuse des machines,
somnambule au bureau la tête emplie de chiffres et soumis aux logiques du profit à tout prix,
mis à disposition.
Prenez-le.
Usez-le.
Harassez-le.
Essorez-le comme un torchon.
Actionnez-le. Et pour ce, nul besoin de menaces, ni de flashball, ni de 49.3.
Il suffit d’appuyer sur : ON.

Depuis toujours nous aimons, les dimanches matin, ouvrir les yeux puis les fermer, puis les ouvrir et les fermer, et nous assoupir à nouveau.
Nous aimons boire paisiblement notre café.
Caresser le chat Arthur qui s’étire.
Ou la chienne Nana qui s’ébroue.
Écouter la maison qui s’éveille, le parquet qui gémit au-dessus de nos têtes, les premières rumeurs qui annoncent la naissance du jour, et les chuchotements de nos jardins secrets.
Nous aimons observer les fissures au plafond qui dessinent d’étranges figures par où la mélancolie, quelquefois, s’aventure. Elles dessinent, ce matin, un grand bateau à voile où l’on peut s’embarquer.

Depuis toujours nous aimons demeurer longtemps plongés dans nos pensées, et sur les passants pressés qui pensent voir en nous de parfaits imbéciles, nous posons un regard suprêmement idiot qui les fait s’éloigner en courant.

Nous aimons vaquer dans la maison, en chaussons éventrés et pyjama informe. Et ce total insouci du paraître nous est, à lui seul, une délectation.

Depuis toujours nous rêvons de revivre le bonheur de ces journées d’enfance où une fièvre providentielle nous forçait à garder le lit.
Bonheur d’échapper au contrôle de math ou au cours détesté de gymnastique.
Bonheur de ressentir la fraîcheur de la main maternelle se poser sur nos fronts, puis remonter nos draps d’un geste aussi caressant qu’un baiser.
Bonheur surtout de découvrir les plaisirs de la lecture, le dos calé sur de mols oreillers, parfaitement indifférents à tout le reste, et happés, emportés, fascinés par l’histoire du marin Yann Gaos racontée par Loti dans son roman Pêcheur d’Islande. Yann Gaos qui s’absentait de longs mois loin de sa bien-aimée pour s’en aller pêcher, et devenait bientôt, dans un grand souffle marin, notre porte-drapeau, notre héros, notre idole, notre prince prolétaire, notre âme sœur. Nous-mêmes. Enflammés d’amour. Assoiffés d’absolu. Avides de sublime. Enivrés d’infini – la peur du ridicule par l’emploi de grands mots ne nous atteindra que plus tard.
Ou fascinés par les aventures du petit Rémi narrées par Hector Malot. Le petit Rémi et sa chance inouïe de grandir Sans famille, sans un de ces chefs de famille qui pètent sans vergogne, avalent leur bouillon en faisant de grands fllchss, et vous gueulent assieds-toi (car les chefs de famille ressemblent étonnamment à tous les autres chefs : d’escadron, d’entreprise, de produit, de stratégie ou de ce qu’on voudra : même jouissance abjecte à dominer et à user de la baffe éducative, et même plaisir atroce à vous foutre la trouille).
Autant de bonheurs livresques, autant de révélations délicieuses dont nous souhaitions que toute notre vie soit faite et que nous désespérions de devoir abandonner.
Autant de voluptés indicibles que nous ne cesserons de chercher le restant de nos jours, mais qui n’atteindront que rarement l’enchantement, l’émerveillement, la plénitude, la grâce de ces heures d’enfance durant lesquelles, sillonnant la mer à la proue d’un bateau-livre, ou bringuebalés dans la roulotte du signor Vitalis, nous faisions de la paresse l’un des plus hauts plaisirs de l’âme.
Nous nous sommes laissé dire, à ce propos, qu’il existait des écrivains et écrivaines chez qui le ressac de ces souvenirs était si intense que, devenus adultes et pris du désir éperdu de rallumer ces heures bienheureuses, ils travaillaient couchés ! Comme Socrate !

Depuis toujours nous aimons lanterner, buller, extravaguer dans un parfait insouci du temps.
Depuis toujours nous aimons faire niente,
ou juste ce qui nous plaît, comme il nous plaît et quand cela nous plaît.
Quels insensés ceux-là qui méconnaissent cet art !

Car, vous l’avez compris, la paresse est un art.
La paresse n’est pas mollasserie poisseuse, n’est pas intoxication cannabique, n’est pas délectation morose, n’est pas léthargie postprandiale, n’est pas neurasthénie chronique, n’est pas détachement veule, n’est pas dédain romantique, n’est pas morne prostration, n’est pas je-m’en-foutisme mufle, n’est pas indolence blasée, n’est pas dandysme las, n’est pas ce que communément on appelle glande, ou glandouille, ou flemme, ou flemmingite, ou feignardise, ou feignasserie, avec lesquelles souvent on feint de la confondre.
La paresse est un art subtil, discret et bienfaisant.
Une manière heureuse et chérie des poètes de résister aux mandements que le monde marchand nous inflige avec son ventre énorme et ses dents carnassières.
Un instrument de charme et de volupté calme.
Une musique douce.
Une façon légère, gourmande et infiniment libre d’habiter le monde et d’y « cueillir le jour », comme nous y exhortait un certain Horace.
(Carpe diem, quam minimum credula postero : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain », Odes, I, 11, à Leuconoé.)

La paresse est ni plus ni moins qu’une philosophie.

En ce monde furieux et plein de turbulences, le recours à sa grâce nous est une bonté.

Depuis toujours nous aimons, le dimanche, à cette heure indécise où la nuit se dissout et où le jour commence (nous avons un penchant pour tout ce qui commence), nous aimons laisser nos rêves glisser indolemment avant de mettre pied à terre,
puis se mêler à nos pensées,
et se fondre en elles,
nous procurant cette impression si rare de
dormir éveillés.
Nous aimons méditer sur la chaise de cuisine sans surveiller anxieusement les aiguilles de l’horloge qui hachent le temps menu,
nous prélasser à la fenêtre en écoutant la pluie jouer sa partition sur le bitume,
ou, plus oisifs qu’un moine, observer le frisson qui parcourt le feuillage du chêne, dans la cour.

Nous aimons nous sentir en amitié avec nous-mêmes que nous détestions, hier, d’être à ce point nerveux, agités, serviles, abattus par le sentiment de ne plus nous appartenir,
d’inexister,
en habit de travail avec personne dedans,
privés de toute possibilité de nous concevoir autres,
sans cause commune et sans commune appartenance sur quoi nous appuyer,
amers de constater que le monde pour lequel nous œuvrions n’était nullement nôtre, et que ses obsessions, sa langue et ses valeurs n’étaient nullement nôtres,
accablés de ne pouvoir agir en rien sur le temps
et les règles qu’on nous fixait,
de ne pouvoir jouir en rien des richesses que nous créions,
et affreusement privés des paroles pour le dire.
Pris dans la boue du gouffre (Psaume 69,3-5),
et comme pétrifiés,
ou pire, envahis du dégoût de nous-mêmes
et rompus à ce dégoût,
à cette honte,
à cette résignation,
à cette capitulation sans gloire.

Depuis toujours nous aimons baguenauder, première fois que nous usons du mot.
Nous aimons les dimanches qui nous donnent le temps d’user de certains mots qui sont neufs à nos bouches (nous sommes tombés, ce matin, en ouvrant au hasard le recueil d’un poète, sur le mot coquecigrue) et de nous approprier librement, joyeusement, voluptueusement cette langue qui, si nous n’y prenons garde, risque de s’anémier, de s’atrophier et de mourir d’ennui, à force de ne servir qu’à communiquer – jeu de mots d’un goût douteux, mais qui nous a été proposé avec insistance par notre amie Salvayre connue pour ses plaisanteries d’une incorrigible grossièreté.

Extraits
« Nous, nous vous parlons d’un temps à soi, un temps de liberté intérieure, un temps de pause intime, un temps de paix essentielle, disait Paul Valéry, s’il faut vous impressionner par des citations illustres,
un temps pendant lequel, notait-il, l’être, en quelque sorte, se lave du passé et du futur, de la conscience présente, des obligations suspendues el des attentes embusquées… » p. 60

« Travailler moins pour lire plus, puisque la lecture s’acoquine merveilleusement à la paresse, puisque les bons et vrais lecteurs sont très souvent, sinon toujours, de fieffés paresseux. Travailler moins pour lire immodérément, insatiablement, jouissivement, certains diraient vicieusement, certains diraient dangereusement, voir la pauvre Bovary citée par Salvayre pour faire genre. » p. 66

À propos de l’autrice
Depuis toujours nous aimons dimanchesLydie Salvayre © Photo DR

Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux) et Pas pleurer (prix Goncourt 2014). (Source: Éditions du Seuil)

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