Trois femmes dans la vie de Vincent Van Gogh

Trois femmes dans Vincent Gogh

En deux mots
Saskia aux Pays-Bas en 1863, Agostina à Paris en février 1888 et Gabrielle à Auvers-sur-Oise durant l’été 1890. Trois rencontres qui vont marquer Vincent Van Gogh, trois femmes qui éclairent l’œuvre du père.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Saskia, Agostina et Gabrielle

Dans un court roman Mika Biermann raconte trois rencontres dans la vie de Vincent Van Gogh. Le garçon, l’homme dans la force de l’âge et celui qui déprime, à quelques heures de sa fin, vont croiser la route de Saskia, Agostina et Gabrielle. Une jolie manière de résumer la vie et l’œuvre du peintre.

Quand il fait la rencontre de Saskia, le jeune Vincent Van Gogh va sur ses dix ans. Nous sommes aux Pays-Bas, à Groote-Zundert et le futur peintre découvre la vie. Il peut se réjouir du soleil qui brille sur la campagne, mettant un peu de relief dans des paysages le plus souvent gris et ternes. Mais sa journée va devenir vraiment mémorable quand il va assister à un spectacle aussi merveilleux qu’inattendu. La gardeuse d’oies profite de cette chaleur pour se déshabiller et prendre un bain dans la rivière, ne cachant rien de ses formes sculpturales, de ses rondeurs affriolantes. La vie est belle et l’occasion idéale pour réfuter le précepte de son père pasteur qui énonçait que Dieu avait créé le monde en noir et blanc et que c’est le diable qui y avait mis des couleurs.
Quelques années plus tard, le jeune homme est à Paris. Il est toujours sans le sou, mais il peut compter sur le soutien de son frère Théo et sur la plantureuse Agostina qui partage sa couche avec lui. La patronne d’un petit estaminet du côté du Boulevard de Clichy va bientôt faire faillite. Mais avant de qui la capitale, elle partage quelques rêves avec le peintre. Un voyage en Italie, un beau mariage…
Las, le ciel de la capitale reste désespérément gris et froid. Il n’est en réalité que question de survivre, alors que jamais peut-être autant de grands peintres ne réalisent des œuvres majeures durant cette période d’une richesse artistique sans égale. Mais l’ironie de l’histoire veut que ses toiles qui se vendent aujourd’hui des millions d’euros pouvaient alors être cédées à un tripier pour régler une ardoise et que ce dernier considérait ce cadeau comme une arnaque.
Gabrielle, quant à elle, ne connaît le peintre que pour l’avoir croisé à Auvers-sur-Oise, traînant sa mélancolie. Occupée à venger la mort de son chien, elle ne prêtera guère attention à ce vagabond qui, quelques heures plus tard aura cessé de vivre.
Mika Biermann, qui connaît la vie de Van Gogh comme sa poche, réussit le tour de force de nous la raconter à travers ces trois femmes. Mais au-delà, son style très imagé lui permet aussi d’évoquer les toiles les plus emblématiques du grand artiste. En le suivant dans ses pérégrinations, on voit ses sources d’inspiration, les paysages et les hommes, les couleurs et les ombres. Voilà une heureuse initiation à une œuvre majeure qui fait suite à Trois Jours dans la vie de Paul Cézanne et Trois Nuits dans la vie de Berthe Morisot.

Trois femmes dans la vie de Vincent Van Gogh
Mika Biermann
Éditions Anacharsis
Roman
96 p., 13 €
EAN 9791027904693
Paru le 5/01/2024

Où?
Le roman est situé d’abord au Pays-Bas, à Groote-Zundert et La Haye puis en France à Paris. On y évoque aussi des voyages à Lyon et Marseille ainsi qu’en Italie, à Ancône ou encore à Londres.

Quand?
L’action se déroule de 1860 à 1890.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur Vincent van Gogh, tout a été dit. Que rajouter encore? Peut-être ces trois moments, trois rencontres de trois femmes en trois épisodes décisifs de la vie du peintre: l’enfance, l’âge mûr, le dernier jour – une balle dans le ventre.
Mika Biermann sublime son écriture pour offrir ici un tableau en peinture fraîche de ces instants volés, peut-être fondateurs, peut-être pas. Dans tous les cas un bijou, un bonheur de lecture comme on n’en trouve guère ailleurs, une méditation en acte sur l’art et ses tromperies magnifiques.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
En Attendant Nadeau (Sébastien Omont)
Les Notes
Blog de Fabien Ribery

Les premières pages du livre
« Van Gogh gazouille, Il remue ses bras dodus, éclate en rires édentés, bave sur son menton, Ses yeux, deux billes bleues, roulent; son regard erre au plafond,
Areuh, areuh.
Il lui reste 37 ans à vivre et 871 tableaux à peindre. Un tableau tous les quinze jours.
Un jeu d’enfant.

Saskia
Un crayon. Cadeau de l’oncle Cent. Il est passé à Groote-Zundert, il a bu de la bière, il a raconté les boulevards de Paris, il a fait des clins d’œil appuyés aux femmes, il a donné des bonbecs aux petits et un crayon à son filleul, Un crayon de charpentier, usé, laqué de rouge. Vincent n’en a jamais vu, de crayon. À l’école, les élèves écrivent à la craie sur une ardoise. Son père écrit à la plume d’acier Birmingham. Sa mère ne note jamais rien, elle a une mémoire infaillible. Un crayon, c’est une chose rare. Vincent a peur qu’on lui confisque l’objet. Il ne sait pas quoi en faire. Il lui faudrait du papier pour l’essayer; on n’en trouve pas dans la maison, sauf sur le bureau de son père, à côté de l’encrier, où s’empilent les lettres pour le diocèse. Il n’est pas question d’y toucher quoi que ce soit.
Vincent prend l’exemplaire des pièces de Shakespeare sur l’étagère. Le nom de l’auteur est gravé en lettres dorées dans le cuir de la couverture. Anna Birnie s’en sert pour lui apprendre l’anglais. It was the lark, the herald of the morn, no nightingale..… Les autres ne savent pas qu’ils lisent Romeo and Juliet. C’est un secret entre lui et la gouvernante. Il ouvre le livre, La dernière page est vide. Il y trace une ligne au crayon. L’horizon. Une deuxième, parallèle à la première. Un chemin. Puis il fait un V. C’est un oiseau. Puis il dessine deux personnages. On reconnaît Roméo à l’épée dans sa main, et Juliette à ses longs cheveux. Il ajoute deux U sur le devant de la robe, les seins. C’est osé. C’est cochon.
Het is schandalig. En passant le pouce, ça ne s’efface pas. Maintenant une tache grise souligne la poitrine. Il faudrait arracher la page. Vincent tire. C’est du papier de bonne qualité; il gondole, il se froisse, mais il ne cède pas. Il repose le livre sur l’étagère. Ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu’un s’en aperçoive, il sera certainement puni par son père, probablement consolé par sa mère, et on lui prendra le crayon. Ce n’est pas grave, il n’a pas de couteau pour le tailler, de toute façon.
Son père est au presbytère, sa mère au marché, Anna Birnie ne revient que demain, la vieille Leetie dort assise sur le banc de la cuisine, devant une bassine de petits pois à écosser. Dehors brille une belle journée d’été.
Le garçon sort dans la rue.

Les oies n’ont pas froid aux yeux. Elles trempent leur cul dans l’eau, ondines aux becs jaunes, vêtues de leurs toges blanches. Elles sautent du bord du ruisseau, pattes en avant, et glissent — enfin ! — de l’ombre au soleil. Les grenouilles, à l’abri d’un rideau de mousse, observent, soucieuses, le spectacle. Les pieds palmés des palmipèdes remuent les barbes vertes des renoncules. De temps en temps une tête cacarde avant de plonger pour fouiller la vase. Les noisetiers se penchent et mêlent leurs branches, le soleil pique entre les feuilles, darde ses aiguilles sur les vaguelettes, les plumages, les herbes, tricote un tapis d’orient,
Le soleil ! Saskia jubile. Ce n’est pas tous les jours qu’il brille ici. Elle connaît le même paysage muet sous la neige, le ruisseau gelé, les branches écriture illisible, les champs couverts d’un linceul. Les oies pendent de la poutre, leurs plumes remplissent les édredons.
Saskia s’est promenée ici sous une pluie printanière, ses oies tachetées de la boue du chemin. Ce ne sont pas des pluies saines et vivifiantes; les nuages laissent traîner leurs doigts; on dirait une vieille qui essore ses cheveux. Les toits des fermes courbent l’échine.
Ne parlons pas de l’automne, où les feuilles pourrissent sur les arbres avant de chuter lourdement sur le sol. Le vent déshabille la lande et découvre un squelette.
Le soleil! Des perles aux cochons! Une oie rigole, la blague était bonne. Saskia a chaud dans ses sabots-bottes. Elle s’assoit dans le cerfeuil et bataille pour retirer ses chaussures. Ses pieds sont grands, à ce qu’on dit. Les ongles sont un peu sales, c’est vrai. Elle n’aime pas les couper avec les ciseaux à couture, les tailler au canif lui fait mal, impossible de les ronger avec les dents, ce n’est pas faute d’avoir essayé, et d’avoir fait rire son petit frère.
Saskia trempe un pied dans l’eau. C’est comme boire du cidre en cachette. C’est frais. Ça lui fait tourner la tête. Elle décide de se mettre nue. Ils le font tous, quand personne ne regarde. Un jour elle a vu sa grand-mère défaire sa camisole pour s’essuyer les seins flasques avec un chiffon, sous le saule, dans la cour.
La vieille n’avait plus toute sa tête, c’est vrai; elle est morte à la Pentecôte.
Saskia dénoue la ficelle de sa jupe en coton bleu qui lui arrive aux chevilles, épaisse et ample: pas besoin de caleçon, et pour pisser, il suffit de s’accroupir. C’est l’heure du cul à l’air. Les oies flottent au gré du courant, une seule pédale dans l’autre sens. Saskia dénoue son fichu. Elle se débarrasse du gilet en feutre, elle l’avait mis parce que le matin, à l’ombre de la grange, il fait frisquet même au mois d’août. Reste la chemise, les boutons sont lisses, usés par les doigts, le dernier cède; l’étoffe vole sur le tas.
Saskia est nue.
Faudrait pas que son père l’attrape.
Ni son grand frère.
Ni sa mère.
Qu’ils aillent au diable. N’ont qu’à garder leurs stupides oies eux-mêmes.
Saskia s’allonge sur la berge et remet un pied dans la flotte.
Vincent marche à l’orée du bois, en longeant Le champ. L’orge est encore sur pied, le mois de juillet a été pluvieux. Des lianes de houblon serpentent entre les tiges. Le pays est plat comme un parchemin, des haies de peupliers plongent vers l’horizon, des pommiers rabougris gesticulent. Au-dessus, fixé par un artisan habile, s’étend un ciel bleu. La couleur est uniforme et soutenue, c’est un son de cor que les habitants du Brabant-du-Nord n’entendent pas souvent, ils sont plus habitués au roulement du tambour de la pluie ou au murmure de la grisaille, quand ce n’est pas la harpe aux cordes coupées du brouillard qui donne le la dès le matin.
Le garçon écrase des pissenlits sous ses bottines, aigrettes se collent à son pantalon. Il porte une veste et un chapeau; il n’y a que les fils des gueux qui se promènent en bras de chemise et sans couvre-chef. Son feutre au bord très large lui donne un air un air étrange, un air d’étranger ; les gens d’ici portent tous l’éternelle casquette sauf quelques snobs qui arborent le melon, le pasteur, qui porte le bonnet à pans rabattus l’hiver le reste du temps. Le pasteur en question, c’est son père, qui n’aimerait pas, mais alors pas du tout, le chapeau fantasque de son fils. Vincent le cache sous sa veste pour sortir de la maison, il s’en coiffe seulement à l’abri des sous-bois, une fois le canal franchi. Son ami Henner le lui a vendu pour un dubbeltje, en disant qu’il était déjà porté par les mousquetaires du roi. Vincent s’est admiré dans l’eau de l’étang, ça lui donne une fière allure, ça serait encore mieux couronné d’une plume, évidemment… Vincent est navré d’avoir vendu son âme aux Français, mais un stadthouder Guillaume n’arrive simplement pas à la cheville d’un d’Artagnan. Il l’a lu, De drie Musketiers. À son père il mentait. Il disait qu’il était en train d’étudier l’histoire de France. Ce qui lui manque maintenant, c’est une épée, pour frapper les terribles pappus des pissenlits. Il s’enfonce dans les fourrés à la recherche de la branche idéale.

Extrait
« Étaler du bleu sur la toile pour dire ciel… Tremper son pinceau dans des colombins de couleur et prétendre faire des arbres. Un musicien n’embête pas les oiseaux, un poète laisse vivre la fleur… un peintre, droit dans ses bottes, égorge le paysage comme on égorge une truie un matin d’hiver.
Toute peinture est un assassinat du bon sens.
Le peintre est un assassin. » p. 82

À propos de l’auteur
Trois femmes dans Vincent GoghMika Biermann © Photo DR

Après des études à l’université des Beaux-Arts de Berlin, Mika Biermann s’installe à Marseille où il apprend le français. Il explore successivement la peinture, la photo, le dessin et l’écriture. Aujourd’hui, il est conférencier aux musées de la ville de Marseille dans des domaines aussi variés que la mythologie de l’ouest dans l’art américain, Van Gogh-Monticelli…
Mika Biermann développe, en français, une œuvre littéraire des plus originales dans le paysage contemporain. Il détourne les codes du western et se moque du temps dans Booming : l’arrêtant, l’accélérant, le retournant à sa guise et sans coup férir. Avec Un Blanc, expédition polaire déjantée, l’espace se trouve sens dessus dessous. Quel nouveau genre à détourner pour son troisième roman? Le péplum! Et c’est au tour des personnages de brouiller les pistes dans Roi. Il est aussi l’auteur de trois romans chez POL, Palais à volonté, Mikki et le village miniature et Sang, et de Ville propre chez La Tangente. (Source: Éditions Anacharsis)

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