En vérité, Alice

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En lice pour le Prix des libraires 2024
En lice pour le Prix Aznavour des mots d’Amour 2024

En deux mots
Alice est sous l’emprise d’un mari alcoolique et violent. Contrainte de trouver un emploi, elle décroche un poste d’assistante auprès d’un évêque en charge des dossiers de canonisation. L’occasion pour elle de se faire des amies et d’ouvrir les yeux sur sa condition.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une sainte femme, ou presque

Dans son nouveau roman Tiffany Tavernier imagine une femme sous emprise être embauchée comme assistante auprès d’un évêque pour trier des dossiers de canonisation. Um emploi qui va lui permettre de s’ouvrir à la spiritualité et s’émanciper.

Alice Fogère, vingt-neuf ans. Elle vit en couple depuis cinq ans auprès d’un homme qui a très vite trouvé le moyen de la contraindre à ses désirs en jouant avec elle un jeu particulièrement pervers. Après chaque accès de colère et de violence, il vient demander pardon, expliquant qu’il est victime de son lourd passé, ayant lui-même été maltraité. Il promet alors de s’amender avant de recommencer de plus belle. Alice continue à espérer et à prendre des coups. C’est alors qu’il lui explique qu’il ne peut plus assumer seul la charge du ménage et qu’elle doit trouver un plus vite un emploi.
La chance va lui sourire lorsqu’elle découvre dans un bulletin paroissial un annonce pour un poste d’assistante auprès de l’évêque.
Malgré son inexpérience, elle est engagée afin de mettre de l’ordre dans une pile de dossiers de canonisation.
Alors qu’elle tâtonne et subit les premiers quolibets de son mari, elle va découvrir auprès de ses collègues l’envie de l’aider et de la soutenir. En se plongeant dans la vie des saints, elle va voir son horizon s’éclaircir.
Tiffany Tavernier a construit son roman comme un cheminement intérieur. Outre la vie d’Alice dans son quotidien fait de violences psychologiques et physiques, elle nous dévoile – sans prosélytisme – la vie des saints et des candidats à la canonisation. Ces deux récits sont entrecoupés de monologues intérieurs qui nous permettent de mieux cerner l’état d’esprit d’Alice, au fur et à mesure que le doute s’installe dans son esprit. Car après sa prise de fonction, elle va chercher les signes propres à la conforter dans sa position. Et les trouver, car elle se dévoue à son homme et pourrait même s’identifier à ces femmes qui donnent tout. Mais au fil des jours, à la fois en creusant ses dossiers et en donnant du crédit aux réflexions de ses collègues et notamment de son amie Anne-So, elle va voir ses certitudes s’ébranler. Au fur et à mesure que ses dossiers se structurent, qu’elle comprend la différence entre les différentes catégories, du serviteur de Dieu au vénérable, du bienheureux au saint, elle avance vers la lumière. Avec elle, on se nourrit des témoignages recueillis.
Solidement documenté, ce roman nous offre aussi de découvrir la complexité des enquêtes menées pour le promotorat de la cause des saints et de comprendre qu’elles sont toujours en cours. Il y a toujours un saint auquel on peut se vouer…

Après Roissy et L’Ami, Tiffany Tavernier nous apporte une nouvelle preuve de son talent de romancière allant chercher dans les marges de quoi nourrir son œuvre.

En vérité, Alice
Tiffany Tavernier
Sabine Wespieser Éditeur
Roman
288 p., 22 €
EAN 9782848055060
Paru le 4/01/2024

Où?
Le roman est situé principalement en France, à Paris. On y évoque aussi Rennes, Tours et le Guatemala.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sa mère, ses amis, la médecin qu’elle consulte, personne ne la comprend: depuis cinq ans, Alice est enfermée dans la conviction qu’elle sauvera son compagnon de lui-même grâce à leur amour immense. Tout est clair dès le début de ce roman magistral: Alice vit sous emprise.
Mené tambour battant, ponctué de trouées de lumière, même dans les scènes les plus sombres, ce livre nous conduit sur des chemins absolument inattendus : sommée de trouver du travail, Alice, qu’entrave une timidité maladive depuis son arrivée à Paris à dix ans, après une enfance radieuse au Guatemala, et dont le CV est inexistant, n’essuie que des refus. Elle répond pourtant à une ultime petite annonce : « L’association diocésaine de Paris recrute un(e) assistant(e) pour le promotorat des causes des saints. » À sa grande surprise, l’évêque responsable l’embauche, trop heureux d’avoir enfin trouvé quelqu’un pour remettre de l’ordre dans les dossiers en attente.
La voilà embarquée, et nous avec elle, dans un univers dont elle ignore tout : il s’agit, comprend-elle, d’instruire des candidatures à la canonisation, première étape d’une procédure qui doit s’achever à Rome, si elle n’est pas interrompue avant, tant les conditions suspensives sont nombreuses et complexes. Aidée par des collègues d’une bienveillance sans limites, elle découvre alors l’audace et la folie des vies de ces « serviteurs de Dieu », « vénérables » ou « bienheureux » qu’il s’agit d’évaluer et dont Tiffany Tavernier ponctue son récit, illuminant dans le même mouvement son texte et le quotidien de sa protagoniste.
À la faveur d’extraordinaires rebondissements, la puissante romancière invite le monde extérieur dans la bulle de déni où s’est réfugiée Alice, l’autorisant à se frayer un chemin vers sa propre vérité. Ce n’est pas là la moindre surprise du formidable portrait de femme qu’elle nous offre, elle qui ne cesse d’interroger l’infinie capacité de l’être humain à renaître à soi et aux autres.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Viabooks (Olivia Phelip)
Podcast RFL101
Blog de Pierre Ahnne
Blog Mes p’tits lus


Tiffany Tavernier présente «En vérité, Alice» © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« MONOLOGUE 1
Qu’est ce qui m’a pris, aussi, de reculer dans la cuisine? Qui ne sait pas ça? Mouillés, les carreaux, ça glisse! Pourquoi n’avoir pas choisi le salon? Sur le tapis, jamais je ne serais tombée, mais non, il a fallu, une fois de plus, que je fasse le mauvais choix, et maintenant, cette médecin, à l’hôpital, en train de palper mon bras après six heures passées dans ce foutu couloir des urgences.
« Alice Fogère, oui, vingt-neuf ans. En couple, depuis cinq ans. »
Cette médecin, le flot ininterrompu de ses questions alors que je voudrais lui demander des nouvelles de la petite vieille arrivée en sang tout à l’heure, celle que le mec a poussée dans les escaliers du métro – pour rire à ce qu’il paraît ! –, de ses hurlements qui cognent encore dans ma tête, de ma faute, ça aussi, je veux dire, de m’être retrouvée là, dans ce couloir, au milieu de toute cette douleur. Le salon, juste sur ma droite pourtant, mais non, il a fallu que j’opte pour la cuisine et sur le carrelage tout juste lavé, paf, bien évidemment !
« Aucun enfant, non. »
Juste au moment où il a le plus besoin de moi. Cette attelle, à présent, que cette médecin me désigne en me parlant de luxation au coude et de trois semaines « au minimum » d’immobilisation. Je la regarde anéantie. Trois semaines ?! Mais qui va les faire, les cartons ? Parce qu’on part s’installer à Paris, nous. Voilà plus d’un mois que mon compagnon ne dort plus. Tout ça à cause de son boss, de ses collègues aussi… Cette médecin, sa voix très douce :
« Vous dites que vous avez reculé, mais devant qui, devant quoi ? »
N’est-elle pas là pour mon coude ? Pourquoi cette question alors, cette question lancinante à laquelle, à force, je n’ai plus envie de répondre, il m’aime si fort, nous nous aimons si fort.
« Moins une, c’était la tête qui prenait, non ? Et là, qu’est-ce qui… »
« Madame, je vous ai posé une question. »
Mais comment parler de ce saccage en lui, ce saccage qui, par moments, le rend fou et qu’au lieu de fuir j’aurais dû embrasser.
« Madame… »
Ne devrait-elle pas plutôt courir au chevet de cette petite vieille ? Tout est si simple pourtant. Mais elle est comme eux tous. Même mes amis ont refusé de me comprendre, tous mes amis avec lesquels j’ai fini par rompre. À quoi bon fréquenter des gens méchants ? Et maintenant, elle, cette médecin, hochant la tête sans croire un traître mot de ce que je lui raconte, comme si une telle qualité d’union ne pouvait pas exister entre deux êtres, comme si elle tenait de l’impensable, jusqu’à ma mère, l’autre jour, persuadée qu’il finirait par me tuer. Il a raison là encore, elle est toxique, je vais devoir très vite me couper d’elle. Nous nous aimons si fort, pourquoi cet acharnement à démolir notre union, n’y a-t-il pas assez de désespoir dans le monde ? Pourquoi ai-je reculé aussi ? Et maintenant, mon coude qui a triplé de volume. Pour une fois que je pouvais me rendre utile. Qu’est-ce qu’il va dire pour les cartons ?

CHAPITRE 1
DIEU.
Dans sa minuscule cellule de bois, Martin voudrait ne plus bouger, rester jour après nuit, agenouillé dans cette union, sans plus manger ni boire, jusqu’à la fin. Partout ailleurs, le monde est si blessé. Pourquoi s’y frotter quand tout, ici, le comble de silence et de lumière ?
Dieu.
Se tenir là, debout, des jours entiers en prière, comme sur sa petite île de Gallinara. Souverainement seul. Parfaitement relié.
Il tremble. Il rit. Des larmes d’amour ruissellent le long de ses joues et, à le voir si irradiant, on pourrait le croire fou. Il est si large de présence. Si vaste de sérénité.
Il flotte à présent. Il flotte à l’intérieur de la minuscule cellule de bois qui, sous ses pieds, devient le ciel. Du fin fond de son être, Martin ne voudrait plus connaître que cela : ce seul à seul où, brisé, le cœur de l’homme s’élève jusqu’à l’ultime cercle. Mais Dieu a voulu que, par ruse, les hommes l’élèvent au rang d’évêque, lui qui, depuis sa prime enfance, ne rêve qu’à être un moinillon.
Dieu.
Lors, sortant de sa cellule, il va. Et, à sa vue, tous l’acclament, certains allant jusqu’à baiser ses mains. Il a déjà guéri un si grand nombre.
Fendant leur foule, Martin baisse les yeux pour ne pas montrer ses larmes. Leur désespoir est si grand. Marcher parmi eux, c’est comme marcher à travers un champ d’aiguilles rougies par le feu. Comme tout eût été plus simple, se faire oublier d’eux, disparaître dans les profondeurs d’une grotte ou sur le sommet de quelque haute montagne. Mais Dieu, dans sa prière, lui a demandé de les rejoindre et Martin, entrant en lui-même, a consenti. Oui, il les initiera au mystère de la triple lumière et à celui du monde séraphique qui, avec une ardeur bouillonnante, Le contemple, Lui, l’Ineffable, l’Indescriptible, l’Inconnaissable, l’Inaccessible. Oui, il sera leur évêque.
*
Au sixième étage de leur nouveau petit deux-pièces, Alice ne sait rien de cette histoire. Tout au plus que Martin aurait embrassé un lépreux il y a mille sept cents ans. Mais qu’est-ce qu’un lépreux pour une fille du XXIe siècle ? Cela n’a pas de représentation. Non, Martin ne fait pas partie de son existence ou alors pour faire rire le postier du petit bourg de M. Quelle drôle de coïncidence tout de même : partir de la rue Saint-Martin de M. pour se retrouver rue Saint-Martin à Paris ! À coup sûr, ceux du « bureau » y verraient un signe. Quel signe ? Alice ne le sait pas. À l’heure qu’il est, elle ne connaît même pas l’existence du bureau.
Dans sa réalité, l’univers est un vide où, faute de frottements, les plumes et les pierres tombent à la même vitesse. Un vide qui ne fait jamais signe et auquel Alice, devant la dernière pile de cartons à descendre, ne pense pas. Pas plus à ce drôle de hasard qui, sur le coup, l’avait fait sourire. Elle doit s’occuper de tant de choses depuis son emménagement : poncer, lisser, repeindre les murs, poser les carreaux, choisir un frigo, installer le wi-fi… Par chance, son coude a retrouvé toute sa mobilité. Elle doit faire attention toutefois. Hier, la douleur l’a lancée si fort qu’elle a dû s’arrêter pour aller s’acheter des glaçons.
Dans la rue, il y avait tant de monde qu’elle a failli rebrousser chemin. Pour lui, bien sûr, c’est plus facile : Paris, il y est né. Alice, non, et, après ces cinq années de vie à M. avec lui, la moindre agitation la perturbe.
Dans leur maison, là-bas, il n’y avait qu’eux deux. Chaque jour, après son départ, elle partait marcher en forêt, puis elle faisait les courses et, jusqu’à son retour, elle bricolait et préparait le repas. Tout était concentré. Silencieux. Fluide. Au fil des mois, ses crises avaient diminué, il avait même repris du poids et arrêté l’alcool. Bien sûr, il y avait parfois encore des moments difficiles, particulièrement ces dernières semaines, à cause de l’arrivée de ce nouveau boss, mais, là encore, elle était parvenue à l’apaiser. Dans la casserole, le lait, soudain, déborde. D’un geste rapide, Alice éteint le feu. Avant, elle aimait la présence des gens, pourtant. Mais c’était du temps de Geoffrey. Elle est tellement plus heureuse aujourd’hui.
Malgré tout, elle appréhende le moment où les travaux seront terminés. L’appartement est si petit, qu’est-ce qu’elle va faire de ses journées ? Alice se mord la lèvre. Après tout ce qu’il a fait pour elle, comment ose-t-elle se laisser aller à de telles pensées ? Certes, ce deux-pièces n’est pas bien grand, mais il est si bien situé. Le flair qu’il avait eu de garder le contact avec cette Émilie, une ancienne de sa promo, parce que s’il avait dû compter sur elle…
« Même pas foutue de gagner ta vie.
– Mais, c’est toi qui…
– Merde, Alice, je ne te demande pas grand-chose, un simple merci, mais non, c’est trop pour toi. Comme si, avec ce nouveau job, je n’avais pas une pression maximale sur les épaules. »
Alice sait qu’il a raison. Ce soir, pour la peine, elle lui concoctera son repas préféré. Quant à la suite, elle finira bien par trouver ses marques.

Les premiers jours, dans les rues, à Paris, elle gardait si obstinément les yeux baissés qu’il lui fallut près d’une semaine pour s’apercevoir qu’il y avait une église dans le renfoncement. Ce jour-là, le stress d’Alice était au maximum. Partout autour d’elle, les voitures klaxonnaient, les vélos fonçaient. Pourquoi ne pas y entrer quelques minutes pour souffler ?
À l’intérieur, l’épaisseur du silence l’avait aussitôt conquise. Alice s’était assise au dernier rang et, pendant un long moment, elle avait fermé les yeux. Ici, c’était comme de se retrouver à M. avec lui. Quand ils vivaient collés. En suspension presque. Hors d’atteinte du monde. Parfaitement reliés.
Le chant des anges, elle ne le connaît pas,
mais la splendeur du monde, elle la réclame.
Avant lui, sa vie était comme floue. Dans ses rêves, elle errait à travers d’interminables paysages de toundra où seuls de rares oiseaux captaient son regard. L’herbe, sous ses pieds, était d’un vert puissant. Tout le reste était gris. Il n’y avait pas d’humains, pas de villages. Juste elle et des oiseaux perdus comme elle.
Grâce à lui, elle avait su mettre fin à cette errance aveugle, mais après combien de mois de caresses et d’encerclement ?

Dans l’église, Alice se lève. Demain, elle reviendra. Il fait si bon, ici. Ce soir, pour autant, elle ne le lui dira pas. Ce sera son secret. Elle en rit tout à coup. Pas plus qu’elle, il ne croit en Dieu. Il ne comprendrait pas.
Elle longe les alcôves de plusieurs saints dont elle découvre les noms : saint Nicolas des Champs, sainte Geneviève, sainte Cécile, sainte Louise de Marillac, saint Vincent de Paul, saint Martin, puis, face au chœur, elle se retourne et découvre l’orgue. Elle regrette, tout à coup, de n’avoir pas appris à en jouer, s’imagine, là-haut, en train de faire exploser les notes. Cette chance qu’elle a de vivre une aussi belle histoire. Tout ne peut que bien se passer, comment a-t-elle pu en douter ? Bientôt, elle sera aussi heureuse qu’à M.
Elle pousse la lourde porte, s’engouffre dans la lumière en dévalant les marches. Vite, elle doit atteindre le Monoprix dans moins de cinq minutes ou il va angoisser. Après tout ce que ses parents lui ont fait subir, il a si fort besoin d’être rassuré. Alice aimerait pouvoir les faire revenir pour leur balancer à la figure leurs quatre vérités. Quand, certaines nuits, elle le regarde dormir, c’est comme si elle devinait sur son corps les stigmates des coups qu’ils lui ont infligés, enfant. Parfois, elle les perçoit si nettement qu’elle en pleure. Mais assez de ces horreurs. Avant le quart, elle doit rejoindre le Monoprix, se prendre en selfie devant, lui envoyer la photo, répondre à son appel, lui dire qu’elle l’aime, sans oublier de cliquer sur le smiley sourire et les trois cœurs. Puis elle doit faire les courses, revenir à l’appart, gravir les six étages, répondre, à la demie, à son dernier appel, lui renvoyer un selfie et lui redire qu’elle l’aime, en espérant, cette fois-ci, qu’il sera de bonne humeur. Il se montre si tendu ces derniers jours. Est-ce à cause de son nouveau travail ? Alice n’a pas osé le questionner.

À l’époque, sur le campus, toutes les filles fantasmaient sur lui. Parmi elles toutes, c’est elle, pourtant, qu’il avait choisie. Elle le revoit encore traverser cette rue pour se déclarer. Un prodige qu’elle ne s’explique toujours pas. Sur le coup, elle l’avait jeté. Geoffrey venait de la quitter, elle était au plus mal. Il n’avait rien lâché pour autant, au point même de la rendre suspicieuse. Que voulait-il, au juste ? Et pourquoi cet entêtement à vouloir la conquérir quand il pouvait s’offrir toutes les filles les plus sexy de l’université ? Avec une patience infinie, il était parvenu à se faire accepter d’elle. Cela avait pris du temps. Beaucoup de temps. Jour après jour, il lui avait confié la violence subie, enfant : les douches glacées au milieu de la nuit, les insultes, les coups de fouet, les brûlures avec le fer à repasser, les enfermements de plusieurs jours à la cave. Devant de telles horreurs, Alice avait frémi. Malgré tout, elle était restée sur ses gardes. Il la connaissait si peu. D’où lui accordait-il une si grande confiance ? Il n’en revenait pas lui-même. Il lui avait suffi de la voir pour que tout s’ouvre en lui. Avant elle, il ne s’était jamais confié à personne. Elle était la première. Elle serait la seule.
Sa ténacité avait fini par avoir raison d’Alice. Pour la première fois de sa vie, quelqu’un l’attendait. Elle en était bouleversée.
Était-ce parce que sa mère n’avait jamais connu un tel degré d’amour qu’elle s’évertuait, depuis toutes ces années, à dénigrer la relation d’Alice ou parce que sa mère était foncièrement incapable d’être heureuse ? Alice n’arrive pas à savoir. Avec sa mère, les choses n’ont jamais été faciles.
Un bruit de pas dans l’escalier. Lui, déjà ? Vite, elle court l’embrasser. Il la repousse, crispé.
« C’est quoi, ces poubelles, sur le palier ?
– Je… j’allais les descendre.
– C’est ça, tu allais ! »
Ne pas chercher à se justifier, cela l’énerverait davantage. Attendre le plus silencieusement possible que la crise passe. Quelle idiote aussi. Elle sait à quel point il ne supporte pas les mauvaises odeurs.
Le front plissé, il marche de long en large dans le salon.
« Il va falloir que tu trouves un boulot, Alice. »
Un boulot ? Mais le bébé ? Et puis où, un boulot ? Il se rapproche d’elle.
« Les vacances, c’est fini.
– Mais…
– Y’a pas de mais et, putain, regarde-moi quand je te parle. »
Il sent l’alcool. Il le lui avait promis pourtant. Ne pas bouger. Encore moins réagir.
« Tu vas faire comme je te dis, compris ? »
Elle fait oui de la tête. Il lui saisit la nuque.
« J’ai pas entendu. »
Elle lâche un oui faible.
« Oui qui ?
– Oui, mon amour. »
Il la relâche.
« Demain, tu t’inscris à l’ANPE, tu te démerdes, tu trouves. Et arrête de faire cette tête. Tu es ma fée, Alice, je n’aime personne d’autre plus que toi. Allez, viens, embrasse-moi. Ces connards m’ont menti sur toute la ligne, leurs stock-options valent que dalle. Non, ne dis rien. Tu ne comprendrais pas. Embrasse-moi, plutôt. Putain, ce que t’es bandante dans cette robe. Dommage que tes cheveux soient décoiffés. Allez, sèche tes larmes, viens dans la chambre, c’est moi qui ai besoin d’être consolé, pas toi. Viens que je te prenne. »

Extrait
« LEXIQUE
SERVITEUR OÙ SERVANTE DE DIEU: fidèle catholique décédé(e), ayant fait preuve, tout au long de sa vie, d’une piété remarquable. (Première étape de la canonisation.)
VÉNÉRABLE : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), dont l’héroïcité des vertus a été reconnue par l’Église. Aucun culte ne peut leur être rendu. (Deuxième étape de la canonisation.)
BIENHEUREUX(SES) : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), ayant fait montre, tout au long de sa vie, d’une piété exemplaire et auquel (à laquelle) on peut attribuer, post mortem, au moins un miracle ou qui est mort(e) en martyre. Un culte local peut leur être rendu. (Troisième étape de la canonisation.)
SAINTS(ES) : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), ayant fait montre, tout au long de sa vie, d’une piété exemplaire et auquel (à laquelle) on peut attribuer au moins deux miracles ou qui, ayant déjà un miracle à son actif, est mort(e) en martyre. Un culte public peut leur être rendu. (Quatrième et ultime étape de la canonisation.) » p. 55

À propos de l’autrice
Tiffany Tavernier © Photo Bulle batala

Née le 3 mai 1967, Tiffany Tavernier est la fille de Bertrand Tavernier et de Colo Tavernier. Avec son frère Nils Tavernier, elle découvre le monde du cinéma dès sa petite enfance. Sa mère choisit son prénom en hommage au film Breakfast at Tiffany’s où Audrey Hepburn interprète le rôle principal. Tiffany part en Inde pour faire de l’humanitaire à 17 ans avant d’entrer dans la vie active. Elle est romancière, mais elle se consacre à sa carrière de scénariste en parallèle. Elle est spécialisée dans les scénarios pour des documentaires télévisés et des longs métrages. Elle écrit ainsi les scénarios de deux films réalisés par son père. Il s’agit de Holy Lola et de Ça commence aujourd’hui. Pour ces projets, elle est épaulée par son mari. Tiffany fait des apparitions dans les films Des enfants gâtés, L’Horloger de Saint-Paul et Un dimanche à la campagne. Sa carrière littéraire commence avec Comme un miroir (2015) et évoque des moments de son enfance. Parmi ses romans, elle publie en 2016, Isabelle Eberhardt : Une vie dans l’islam. Son livre Roissy sort en 2018 et fait partie de la sélection du Prix Femina de la même année. En 2021, elle publie L’Ami. (Source: Voici / Éditions Sabine Wespieser)

Page Wikipédia de l’autrice


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