Mortelle assemblée de copropriété

Mortelle assemblée copropriété

En deux mots
Cette année encore l’assemblée générale s’annonce houleuse, tant les inimitiés entre copropriétaires sont fortes. Mais personne n’aurait pu imaginer que le plus pugnace et détesté d’entre eux allait être retrouvé mort dans les toilettes. L’enquête s’annonce difficile.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

«La fureur est aussi aveugle que l’amour»

Dans son nouveau roman Frank Andriat imagine un homicide alors que se rient une assemblée de copropriétaires. L’enquête qui suit est l’occasion de dresser une galerie de personnages qui racontent la dégradation des relations sociales. Ou quand la comédie vire au drame.

Bien qu’il n’en ait guère envie, le narrateur de ce savoureux roman est convié à l’Assemblée générale de sa copropriété. Comme tous les ans, ce critique littéraire s’apprête à s’ennuyer ferme. Et à consulter les dizaines de points à l’ordre du jour, il n’est pas prêt de mettre fin à son supplice.
Mais cette fois l’assemblée pourrait se dérouler plus calmement que durant les années précédentes, car Marius Van Eyck manque à l’appel. Ce dernier est pinailleur hors-pair, toujours prêt à ferrailler, en particulier avec Manon Doyen, une inspectrice de police qui prend vite la mouche quand elle sent ses intérêts menacés. Parmi les dizaines d’autre copropriétaires, on notera la présence de Jean-Christophe Lheureux, «président du conseil sortant, qui porte bien son nom», de Marcelin Storm, professeur de mathématique, de Maya Lebrun, «fiscaliste et donc rudement utile» en plus d’être charmante. Ils sont entourés de Youssef Ben Omar, «jeune retraité actif», d’Alexandre Rabhi, «entrepreneur et artisan de paix», Mathias Balloie, un journaliste de la télé, la jolie Louise Derviche, ou encore de Vinciane Merveille, agent parlementaire et Maryse Klein, bien décidée à faire la chasse à toutes les dépenses qu’elle jugera inutiles. Sans oublier Brandon, qui essuie les plâtres, ayant acheté son appartement trois jours auparavant.
Après les premières délibérations, qui se déroulent sans trop de heurts, on assiste à de premiers échanges plus vifs, mais qui traînent en longueur.
«Je jette un coup d’œil à ma montre: il y a plus de deux heures cinquante que nous sommes enfermés dans cette grande salle froide, sans un café pour nous réchauffer, sans un biscuit pour nous sustenter et nous redonner un peu d’énergie. Cela tient réellement de la torture!»
Mais au moment où le supplice prend fin, un cri vient glacer l’atmosphère et obliger l’assistance à rester sur place. On a retrouvé Marius Van Eyck dans les toilettes «un couteau planté dans le ventre et remontant vers le cœur, comme s’il s’était fait hara-kiri ou comme si on le lui avait fait.»
L’enquête qui suit sera l’occasion de fouiller dans les vies des uns et des autres et pour notre narrateur de mener ses propres investigations, maintenant qu’il se trouve en plein polar.
Frank Andriat passe ainsi allègrement de la satire au roman noir et nous offre un joli miroir de la noirceur des âmes. Car à bien y regarder, chacun des protagonistes aurait des raisons de se plaindre, de se révolter, voire de passer à l’acte une fois écartés ceux qui n’ont plus la force physique et ceux qui étaient loin au moment des faits.
De découvertes en révélations, ce vrai-faux polar est d’abord le révélateur de relations sociales qui se dégradent, de la volonté de faire primer son bonheur personnel sur l’intérêt collectif. Alors la farce peut effectivement virer au drame.

Mortelle assemblée de copropriété
Frank Andriat
Éditions F Deville
Roman
180 p., 20 €
EAN 9782875990877
Paru le 11/01/2024

Où?
Le roman n’est pas précisément situé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Vivre en copropriété a ses bons et ses mauvais côtés, mais le pire jour de l’année est sans conteste celui de l’assemblée générale annuelle, celle où chacun vient chargé de doléances et de colère. Beaucoup s’y taisent et, comme chez le dentiste, attendent que cela se termine, mais d’autres font de cette réunion leur terrain de guerre. Cette année, le pire d’entre eux, Marius Van Eyck, répond aux abonnés absents. Tout le monde s’en étonne et la réunion s’annonce plus paisible. Pourtant, le calme précède la tempête…

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog de Grégoire Delacourt

Les premières pages du livre
Première partie
L’assemblée
La salle est grande, haute de plafond, ornée de larges fenêtres, typique de ces années où l’on ne songeait guère aux économies d’énergie. Nous sommes en mars et, bien entendu, il y fait froid, les quelques radiateurs d’un autre âge fixés au mur ne suffisant pas à rendre l’atmosphère moins humide. Je n’ai pas envie d’être ici, pas envie du tout, je rêve à mon canapé et à un polar passionnant dans le cocon de mon appartement, mais voilà : c’est justement mon bien qui a conduit mes pas dans cette salle de fêtes, louée par le syndic pour notre assemblée générale de copropriété.
Plus de la moitié de mes voisins discutent, rassemblés en petits groupes, la veste sur les épaules, l’écharpe autour du cou. Certains discrètement testent les radiateurs, ont un sourire amer, esquissent quelques commentaires ou soulèvent des sourcils excédés. Pas plus que moi, ils n’ont envie d’être ici et ils rongent leur frein.
Une voix m’interpelle :
— Monsieur Grandbien, c’est vous ?
J’acquiesce avec un sourire. Je connais de vue l’homme qui s’adresse à moi et qui me présente un document :
— La liste de présences. Pouvez-vous la signer ?
Je saisis le stylo qu’il me tend, griffonne une signature à côté de mon nom, m’apprête à m’éloigner.
— Puis-je vérifier votre carte d’identité ?
Je fronce les sourcils. Tant de méfiance m’interpelle.
— Ne nous connaissons-nous pas de vue ?
L’homme a un sourire entendu:
— Oui, mais je suis obligé de m’assurer que vous êtes bien vous. C’est la loi. Certains intrus se faufilent parfois dans ce type d’assemblée.
Visiblement heureux de pouvoir me rappeler les règles, avenant et plaisant, il attend que je m’exécute.
— Votre signature est bien la bonne, conclut-il, ravi.
— Le contraire m’aurait étonné, réponds-je sur un ton taquin.
Il m’adresse un clin d’œil et me souhaite une excellente assemblée. Il tourne déjà les yeux vers la dame qui me suit.
Voilà, il n’y a plus qu’à me trouver un coin tranquille, loin de colères et des commérages, car, je le sais d’expérience, ce type de réunion ravive les rancœurs et les récriminations, chacun défendant son bien comme une lionne ses petits, chacun étant persuadé que son voisin est un ennemi qui n’a d’autre but que de lui faire dépenser un euro inutile, chacun voyant en son frère, son semblable, un profiteur et un larron.
J’aime le calme, un bon bouquin, une tisane et le mouvement de l’eau de l’autre côté de la fenêtre. J’aime observer, sur la rive du lac, lors des jours de beau temps, la quiétude des pêcheurs et le vol des mouettes. J’aime la solitude, au grand matin, quand les lumières se lèvent et qu’elles dessinent dans l’air des écharpes roses et orange, lorsque le jour se déshabille lentement de la nuit, lorsque tous les rêves sont permis et que l’on peut imaginer la vie meilleure. Ces réunions sont le contraire de ce qui me fait plaisir. L’agressivité y trace dans l’air des parcours de missiles et je sais que, durant l’après-midi, plusieurs fois, je serai exaspéré par l’incroyable bêtise humaine et par l’effroyable égoïsme qui se déverseront à flots sur mon désir de plénitude.
— Faisons contre mauvaise fortune bon cœur! Comment vas-tu, Jérôme?
Une lourde main se pose délicatement sur mon épaule. Je ne dois pas me retourner pour reconnaître ce bon Youssef, mon voisin du deuxième, celui qui a toujours un mot pour rire et qui rit entre chacun de ses bons mots.
— Très bien, très bien. Il n’y a pas encore beaucoup de monde.
Il se penche vers moi et me souffle à l’oreille que les emmerdeurs sont déjà là, qu’ils veulent les meilleures places, celles d’où ils pourront le mieux lâcher leur bave sur le syndic et les propriétaires qui ne partagent pas leur avis.
— Marius Van Eyck n’est pas encore présent. Aux emmerdeurs, il manque leur roi, réponds-je avec un sourire et Youssef de pouffer et de s’étonner du retard surprenant de Van Eyck, celui par qui, chaque année, lors de ces assemblées en des salles glaciales, l’atmosphère s’échauffe, pour ne pas dire qu’elle s’enflamme.
Marius Van Eyck est, comme moi, un solitaire, mais où je recherche la sérénité, il cultive la tempête ; avec lui, même les oiseaux du lac n’ont qu’à bien se tenir. La vie est son ennemie et il ne vit qu’en lui intentant mille procès.
En six ans, Van Eyck a épuisé deux syndics, a fait fuir trois locataires, a conduit son voisin à vendre son appartement, a insulté chacun au moins une fois et pour certains, chaque semaine.
Marius Van Eyck est une teigne.
— Il ne me manque pas, déclare Youssef, mon cul ne s’entend pas avec sa chemise.
Et de partir, une nouvelle fois, d’un tonitruant éclat de rire avant de me quitter pour aller, précise-t-il, saluer la jolie Lise, la femme de Paul Derviche, l’époux que tous les hommes envient.
Je parcours la salle des yeux et je la repère vite, fine et lumineuse dans une rutilante robe rubis qui est à la discrétion ce qu’un éléphant est à une pile d’assiettes en porcelaine. Lise se sait belle et en joue, sans toutefois laisser croire à son mari qu’elle s’intéresse à d’autres hommes qu’à lui. Jamais ils ne sont loin l’un de l’autre et, dans ce type d’assemblée, c’est un bonheur de les voir se chuchoter à l’oreille des mots qui les font sourire et qui suscitent entre eux des yeux brillant d’amour ou une petite caresse pleine de tendresse.
Avec des gens comme eux, les réunions de copropriété seraient un régal, achevées en une heure, sympathiques, positives et légères. Youssef les a rejoints, leur raconte sans doute sa nouvelle blague ; bon public, ils rient. Cela me fait chaud au cœur. J’avoue que j’aimerais connaître une femme comme Lise, jolie, sensible et amoureuse, mais partager mon quotidien avec quelqu’un n’est pas ma tasse de thé ; j’apprécie trop mes habitudes, elles me rassurent. La solitude est devenue une compagne qui me ravit, même si je dois reconnaître que, parfois, elle me pèse.
D’autres propriétaires poussent la lourde porte de chêne qui défend l’entrée de la salle. Quelques visages connus, Joséphine Duplat, Amandine Duras, Angélique et Louis Richemont, et d’autres nouveaux, jamais vus, sans doute ceux qui ont acheté les appartements mis en vente durant l’année, l’un au rez-de-chaussée, l’autre au cinquième, le dernier au deuxième étage, en face de chez Youssef.
J’observe avec une certaine délectation les regards perdus des nouveaux. Comme moi, au premier jour, ils semblent se demander dans quelle fosse aux lions, ils viennent de descendre. Chacun dégage un délicieux parfum de fuite qu’on reconnaît au tremblement d’un œil, au mouvement d’une main, à un dos courbé ou à des doigts qui sont incapables de demeurer tranquilles.
La solitude apprend à observer autrui, à le lire, à l’éprouver, mais, malheureusement, elle n’apprend guère à s’en protéger. Est-ce parce que je suis seul que l’un des nouveaux se dirige vers moi avec un sourire contrit ?
— Pardonnez-moi, je ne connais personne. Je viens de signer pour l’appartement du rez-de-chaussée, il y a trois jours, chez le notaire. Je m’appelle Brandon. Et vous, nouveau aussi ?
Un bavard. Je lui réponds que je vis dans la copropriété depuis le début, que j’ai acheté mon appartement sur plan, avant même la construction du bâtiment. J’aurais mieux fait de ne pas me montrer aussi disert ; j’ai déclenché la machine à fabriquer des phrases du bonhomme qui, ni une, ni deux, me raconte sa vie, d’où il vient, pourquoi il a acquis ce bien, ce qu’il aime dans cette partie de la ville et ses craintes, et ses attentes. Il ne faut rien lui répondre, il parle tout seul. Je suis heureux qu’il ne m’ait pas demandé mon nom, qu’il ne s’intéresse qu’à lui, qu’il s’y noie presque. Je me dis que, sans réponse de ma part, il finira par se taire, mais le flot ne tarit pas, l’homme est une folle rivière. Il doit avoir besoin de parler de lui pour se sentir vivre. Il y a tant de gens qui lui ressemblent.
Depuis l’autre bout de la salle, Lise m’adresse un petit signe de la main et un sourire. Je me redresse, m’excuse auprès du babeleur :
— Je reviens tout de suite.
Et je vais les saluer, elle et Paul, leur demander quelques nouvelles polies. Ils me répondent avec beaucoup de gentillesse, je sais qu’ils m’aiment bien ; depuis le temps que nous vivons ici, nous avons eu l’occasion de nous rendre quelques petits services.
— C’est parti pour un tour ! J’espère que ce sera plus serein que l’an dernier, me déclare Paul sans avoir trop l’air d’y croire.
— Marius Van Eyck n’est pas encore arrivé, on peut donc l’espérer, réponds-je et Lise m’offre l’éclat de ses dents blanches et régulières et la musique de son humeur délicieuse.
— Bien dit, Jérôme. C’est étonnant qu’il ne soit pas encore là. D’habitude, il arrive toujours avec une demi-heure d’avance pour s’installer aux premières loges. Je l’ai entrevu hier, il rentrait des courses, il avait l’air de se porter bien.
Je souris. Tant de personnes qui ont l’air de se porter bien meurent avant la fin de la journée où elles paraissent en forme. »

Extrait
« Sept courageux représentants du bien vivre ensemble et de la bonne volonté ainsi que Van Eyck absent se présentent cette après-midi à nos suffrages: le délicieux Jean-Christophe Lheureux, président du conseil sortant, qui porte bien son nom, le ténébreux Marcelin Storm, professeur de mathématique dans un lycée de la ville, l’avenante Manon Doyen, inspectrice de police de son état, la non moins charmante (et plus discrète) Maya Lebrun, fiscaliste et donc rudement utile à nos débats et à l’exactitude de nos comptes, Youssef Ben Omar, jeune retraité actif, ancien directeur des ressources humaines, pilier dévoué de la copropriété depuis sa création, Alexandre Rabhi, entrepreneur et artisan de paix, un homme réélu chaque année à l’unanimité moins le vote de Van Eyck, Vinciane Merveille, agent parlementaire et, semble-t-il, ayant des sympathies pour le dernier: l’insupportable Marius Van Eyck que la majorité des présents ne souhaite pas voir élu dans un conseil qu’il ne pourrait que dynamiter par sa toxique présence. » p. 46

À propos de l’auteur

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Frank Andriat © Photo DR

Frank Andriat est un peu le loup blanc de la littérature belge: lu depuis plus de quarante ans par des générations d’étudiants, apprécié par un large public en Belgique et en France, plusieurs fois primé et traduit, il est l’auteur de livres devenus des classiques et vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Côté polars, il a rédigé quatre romans avec André-Paul Duchâteau, une série policière décalée en sept tomes, Les aventures de Bob Tarlouze, et d’autres romans à énigmes truculents qui font les délices de ses lecteurs. (Source: Éditions F Deville)

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