Camera obscura – Gwenaëlle Lenoir

Gwenaëlle Lenoir est journaliste indépendante et spécialiste du monde arabe et de l'Afrique de l'Est. En introduction à ce livre, elle précise que le personnage principal est réel, il vit caché quelque part en Europe. En lui prêtant sa voix dans ce récit, elle met en lumière son courage et celui de milliers d'hommes qui osent se rebeller contre un régime tyrannique qui ne supporte aucune dissidence.

César est employé d'un hôpital militaire en tant que photographe. Il ne pose jamais de question, photographie ses " clients " à la morgue pour que les familles puissent identifier les corps. Lorsqu'un matin ensoleillé de printemps arrivent les corps torturés de quatre jeunes hommes, on attribue étrangement leurs morts à des " accidents " : accident de la route pour les uns, rixe ou chute d'un balcon pour les autres. Puis ce sont seize jeunes gens dont les certifcats de décès officiels ont été falsifiés. Là encore on veut faire croire à une mort accidentelle mais ils ont bel et bien été torturés par le régime en place. 

César exerce son métier avec professionnalisme et respect pour les morts qu'il côtoie quotidiennement, il a toujours une pensée pour leurs familles lorsqu'il les photographie. Quatre à cinq clichés qu'il remet à son chef de service. Son métier lui assure un salaire confortable mais il n'est pas sans risque, et César a une famille à protéger auquel il tient plus que tout. Mais se taire lorsque l'on est confronté à l'impensable remet en cause l'idéal de loyauté envers le gouvernement établi. César a reçu une éducation telle que l'on doit le respect au gouvernement, on le vénère tel un dieu, et c'est ainsi que sont éduqués ses propres enfants. Mais son innocence et cette loyauté naïve sont balayées par les actes barbares commis par ses collègues de travail et par le régime en place. César n'a plus le choix, il ne peut pas laisser libre cours à cette barbarie. Avec courage et abnégation, il fait le choix de rejoindre un mouvement réactionnaire qui s'élève contre la tyrannie du gouvernement.

Il faut que les morts parlent parce que nous, les vivants, nous ne pouvons pas parler. Ils ont cousu nos lèvres et arraché nos langues, il y a des décennies. Ils ont commencé par faire taire nos parents, nos parents nous ont fait taire et nous faisons taire nos enfants.

Le pays dans lequel vit César n'est pas nommé mais l'on comprend au fil des pages qu'il s'agit de la Syrie sous le régime de Bachir El-Assad. Le fait qu'il ne soit pas nommé peut être interprêté par le fait que ce genre de situations existent bien évidemment dans d'autres pays. César exerce son métier de photographe militaire, alliant technique et sensibilité. Ses gestes sont accomplis de façon mécanique, machinalement, parce que c'est son rôle, sa fonction. mais sa sensibilité l'emporte, les morts ont été vivants avant d'être morts. Il vit parmi eux, " les ramène à la maison ", le comportement effarant de certains de ses collégues attisent sa colère. Le ton est âpre et sec de ceux qui en ont trop vus. Il n'est pas difficile de s'attacher à ce personnage dans un contexte si éloquent. Ce livre tient plus du récit que du roman, il est presque un témoignage tant on perçoit la réalité derrière la fiction. Gwenaëlle Lenoir nous offre un récit percutant, qui éveille la prise de conscience et bouleverse d'une façon essentielle notre perception d'une guerre pas si lointaine,

Je remercie les Editions Julliard ainsi que Babelio pour l'envoi de ce livre obtenu dans le cadre d'une Masse Critique Littératures.