Les Classiques de Priscilla – J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian

Par Livresque78

Avant, pour moi, Boris Vian, c'était une vision poétique du monde. Un monde dans lequel les cancers sont des nénuphars et où les bars sont des pianocktails. C'est le podcast d'Anaïs, Germinable (disponible sur toutes les plateformes), et l'intervention de Julie sur " L'écriture du noir " qui m'ont décidée à découvrir cet autre roman de Vian. Mais, bien que cet échange m'y ait un peu préparée, je ne me doutais pas que j'affronterais une telle violence, une telle noirceur.

Voici la quatrième de couverture : Lee Anderson arrive à Buckton, une bourgade du sud des États-Unis, avec un dollar en poche et une lettre de recommandation. Métis à la peau blanche dans une ville où règne la ségrégation raciale, pourquoi séduit-il les sœurs Asquith, deux femmes blanches racistes issues d'un milieu aisé ? Guidé par l'alcool, le sexe et la violence, Lee veut venger la mort de son frère, lynché parce que amoureux d'une Blanche. À la suite d'un pari avec son éditeur Jean d'Halluin pour imiter le style hard boiled américain dont il est un excellent connaisseur. Boris Vian publie, sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, J'irai cracher sur vos tombes en novembre 1946. Scandale, procès et interdiction accompagnent le succès de ce roman policier cru et tranchant, réquisitoire implacable contre une Amérique ségrégationniste.

Il n'y a pas beaucoup de lectures qui m'ont donné la nausée, au sens propre du terme, mais celle-ci en fait partie. La violence de la menace contenue dans le titre nimbe chaque page de ce court récit au sein duquel rien, jamais, ne tient lieu de " petite lumière au bout du tunnel ". Je l'ai refermé assommée par son contenu et la vision du monde qu'il offre. La haine y joue le rôle principal, accompagnée par la vengeance, sans jamais être combattue par l'amour.

On comprend aisément le scandale qui a suivi sa parution. Se plonger dans cet univers c'est accepter de passer d'une scène de beuverie à une scène de sexe sauvage et assez précise, ou à une scène de meurtre réaliste et foisonnant de détails. La question de la ségrégation est centrale ici, elle est le point de départ de la colère et de la vengeance et il est aisé d'imaginer les réactions d'une société encore très raciste à la narration d'une vendetta réussie d'un noir sur une famille de bourgeois blancs.

Mais l'obscurité profonde que j'ai senti me draper au fil de ma lecture vient, comme je l'ai déjà souligné, de la totale absence d'espoir. Aucun personnage ne peut obtenir gain de cause. On peut aisément comprendre la rage de Lee Anderson, on la partage même un temps. Mais on ne peut cautionner ses actes, son absence totale d'humanité, sa folie furieuse. On pourrait alors plaindre les sœurs Asquith, mais elles sont si futiles, si retorses et si vaines que c'en devient impossible. On pourrait au moins prendre plaisir à fréquenter Dex, Judy, Jicky, mais ils sont tellement empreints de vices qu'on finit par les haïr eux aussi. En fait, voilà, ce roman fait de nous des lecteurs haineux, et ça m'a dérangée.

Je ne peux pas dire que j'ai aimé, c'est impossible ! Je ne peux pas affirmer non plus que je n'ai pas aimé, parce que je ne peux qu'admirer le talent littéraire de Boris Vian qui m'a fait ressentir tout ce que je viens de vous décrire. Je suis sûre d'une seule chose : je n'oublierai pas ce roman et je ne le recommanderai pas à tout bout de champ non plus. Il faut - vraiment ! - avoir le cœur bien accroché.

Vous l'avez lu ? Qu'en avez-vous pensé ?

Priscilla