Un retour pas si polémique que ça

Le retour de Lagaffe (Delaf – Editions Dupuis)

Cette fois-ci, c’est la bonne: Gaston Lagaffe est bel et bien de retour, plus de trente ans après la parution du dernier gag dessiné par Franquin dans le journal Spirou. Ce come-back représente un fameux bain de jouvence pour les innombrables fans de la série, notamment ceux qui ont grandi avec les gaffes hilarantes de cet anti-héros pacifiste et écologiste. On le sait, ce nouvel album est aussi un événement sur le plan commercial, puisque Gaston a connu un immense succès en librairie depuis sa création en 1957, avec plus de 32 millions d’albums vendus et des traductions en 27 langues. Pourtant, ce retour a bien failli ne jamais avoir lieu. Souvenez-vous: en mars 2022, les éditions Dupuis dévoilent en grande pompe la parution prochaine d’un nouvel album de Gaston Lagaffe, dont la sortie est alors prévue en octobre 2022. Mais comme dans la série, la signature du contrat ne se passe pas comme prévu. A peine l’encre sèche, cette annonce crée immédiatement une énorme polémique. Isabelle Franquin, la fille du génial créateur de Gaston, s’y oppose publiquement, en faisant valoir que son père, décédé en 1997, n’a jamais souhaité la reprise de son personnage. On peut comprendre qu’elle ait pu être refroidie par des adaptations précédentes complètement ratées, notamment le film sorti en 2018. Mais dans ce cas-ci, on est dans une nouvelle version beaucoup plus fidèle à l’esprit de Franquin. Finalement, en mai dernier, après une longue bataille judiciaire, les éditions Dupuis obtiennent le droit de publier « Le retour de Lagaffe ». A tort ou à raison? C’est une question pour les juristes, mais d’un point de vue artistique, on peut parler d’un come-back plutôt réussi. Bien sûr, il y a des puristes qui crieront au scandale, mais le Gaston de Delaf ne représente en aucun cas une insulte à la mémoire de Franquin. Il faut dire que Delaf n’est pas n’importe qui puisque cet auteur canadien est l’un des auteurs des « Nombrils », l’une des séries les plus réussies parues dans le journal Spirou ces dernières années. Comme Franquin, il a un vrai sens du gag, avec un humour basé à la fois sur du visuel et des jeux de mots.

Un retour pas si polémique que ça

Le premier point fort du « Retour de Lagaffe », c’est qu’on y retrouve avec beaucoup de plaisir toute la galerie de personnages de la série. Il y a bien sûr Gaston lui-même, accompagné par son inséparable chat et sa facétieuse mouette rieuse. Sans oublier son horrible gaffophone, son double en latex ou sa boule de bowling, qui font tous des apparitions dans cet album. Fidèle à lui-même, le Gaston version 2023 demeure un anti-héros très moderne, comme il l’était déjà à l’époque de Franquin, puisqu’il est toujours aussi flemmard et démotivé par les tâches de bureau. Par contre, dès qu’il s’agit de tester des inventions loufoques, trouver des subterfuges pour passer du temps avec Jules de chez Smith en face ou mener des actions de protection de la nature, il fait preuve d’une énergie débordante. Dans cet album, on retrouve bien sûr Mademoiselle Jeanne, toujours aussi amoureuse de Gaston, De Mesmaeker, l’homme d’affaires irascible qui n’arrive jamais à signer ses contrats, Prunelle, le patron stressé de Gaston, et Longtarin, l’agent de police qui met des contraventions plus vite que son ombre. Plus étonnant, on y croise également Fantasio, qui était dans les premiers albums de Franquin, et même Spirou et le Marsupilami. L’autre grand point fort de ce « Retour de Lagaffe », c’est le ton adopté par Delaf. On sent que le dessinateur canadien, qui est un immense admirateur de Franquin, a mis un point d’honneur à respecter à la fois l’esprit et le dessin de l’auteur belge. Mais il ne fait pas de la simple imitation pour autant, ce qui n’aurait évidemment aucun sens. Petit à petit, au fil des planches, Delaf parvient à insuffler son humour et sa personnalité dans l’univers de Gaston. Vers la fin de l’album, il passe notamment à une narration un peu différente, avec des gags qui peuvent se lire individuellement tout en constituant une histoire complète, comme dans « Les Nombrils ». Au-delà de la polémique, cela vaut donc clairement la peine de découvrir cet album pour se forger sa propre opinion.