Un polar pétillant à Barcelone

Je suis leur silence (Jordi Lafebre – Editions Dargaud)

Eva est une jeune psychiatre barcelonaise. Aussi brillante qu’excentrique, elle semble avoir un don pour s’attirer des ennuis. La preuve: plusieurs de ses patients se sont plaints de son comportement « quelque peu erratique ». Du coup, on lui a provisoirement retiré sa licence professionnelle. Pour la récupérer, Eva est obligée de se rendre elle-même chez un psychiatre, afin que celui-ci puisse évaluer sa santé mentale. C’est comme ça qu’elle se retrouve en consultation chez le très sérieux docteur Llull. Mais même ce professionnel aguerri a bien du mal à garder son flegme lorsque sa jeune confrère monte sur le rebord du toit de son immeuble pour fumer une cigarette et qu’elle est à deux doigts de tomber dans le vide. En panique, le nez en sang, il la supplie de descendre. Une fois revenue dans son cabinet, Eva décide de raconter à son psy la semaine complètement dingue qu’elle vient de passer. Tout commence lorsque Pénélope, une de ses patientes, invite Eva à la lecture du testament de sa grand-mère, même si celle-ci est toujours bien vivante. Intriguée, la jeune femme se rend au domaine des Monturos, une famille richissime qui produit un cava très prisé depuis des générations. Une fois là-bas, Eva se fait rapidement remarquer, comme toujours, mais surtout, elle se retrouve confrontée à des lourds secrets de famille et même à un meurtre. En tant que dernière personne à avoir vu la victime avant sa mort, elle fait évidemment partie des principales personnes suspectées par la police, l’enquête étant menée par une inspectrice aux faux airs d’Angela Merkel. Trouvant ça plutôt amusant, l’intrépide psychiatre décide alors de mener sa propre enquête pour tenter de prouver son innocence. Pour y parvenir, elle peut compter sur l’aide plus ou moins pertinente des trois fantômes qui l’accompagnent partout: sa grand-mère et ses deux grand-tantes. L’action peut commencer!

Un polar pétillant à Barcelone

Le catalan Jordi Lafebre fait partie des auteurs de BD contemporains à suivre de près. Il s’est d’abord fait remarquer en tant que dessinateur au service de plusieurs récits scénarisés par Zidrou: « Lydie », « La Mondaine » et la délicieuse série « Les beaux étés ». En 2020, il s’est également révélé en tant qu’auteur complet en publiant le roman graphique « Malgré tout », une histoire d’amour à la structure particulièrement originale. Aujourd’hui, il persiste et signe en tant que dessinateur et scénariste avec « Je suis leur silence », un polar une nouvelle fois très bien ficelé, qui se déroule dans sa ville natale de Barcelone. C’est un roman graphique lumineux et rythmé, au ton résolument moderne, avec un vrai sens de la mise en scène. C’est aussi un récit plein d’humour, grâce avant tout à des personnages expressifs et hauts en couleurs. A commencer bien sûr par Eva, qui est un personnage principal particulièrement réussi. C’est une jeune femme fantasque et incontrôlable, avec un petit côté tête-à-claques. Mais dans le même temps, elle est solaire et très attachante. Ce ne serait d’ailleurs pas étonnant de la voir réapparaître dans d’autres BD à l’avenir, voire même dans une adaptation au cinéma ou en série télé. Ce qui fonctionne à merveille dans « Je suis leur silence », ce sont évidemment les complots au sein d’une riche famille dysfonctionnelle, avec toutes les révélations et tous les rebondissements que cela implique. Mais ce n’est pas tout. Le fait que l’enquête se déroule dans le monde du cava apporte également un vrai plus, car c’est un monde que l’auteur Jordi Lafebre connaît très bien. La même chose vaut pour Barcelone, dont le décor colle à merveille à cette histoire et qui constitue un personnage à part entière du récit. Tous les ingrédients sont donc réunis pour faire de polar catalan une franche réussite. Si vous aimez Barcelone, le cava et les polars, ce livre est fait pour vous.