Les maîtres de Bayreuth de Charlie Roquin

Avec Les maîtres de Bayreuth, Charlie Roquin réussit pour la troisième fois consécutive à embarquer son lecteur dans une satire sociale éblouissante. Après le monde professionnel et le monde politique, c’est au milieu culturel d’en faire les frais pour notre plus grand plaisir. 

Les maîtres de Bayreuth de Charlie Roquin

Les maîtres de Bayreuth de Charlie Roquin

La ville de Bayreuth accueille chaque année l’un des festivals de musique classique les plus courus au monde. Fondé par Richard Wagner il y a 150 ans, ce festival lui est toujours entièrement consacré. Chaque année on y produit les dix mêmes opéras du maître. Inlassablement. Chaque année on y joue Le Vaisseau fantôme, Tristan et Isolde et surtout l’Anneau du Nibelung. Surnommée le Ring, cette tétralogie est l’objet de toutes les attentions.

A cette réalité, Charlie Roquin vient apporter sa petite touche de fantaisie en imaginant les festivaliers se retrouver après chaque représentation du Ring dans une taverne bavaroise pour recueillir l’avis du critique le plus respecté du wagnérisme. L’avis de Moshe Griebnisch tient lieu de parole d’évangile, c’est pourquoi l’on retient son souffle – et sa propre opinion – tant que le maître n’a pas délivré sa sentence.

Je ne dis pas davantage que tout était parfait, un chef-d’oeuvre n’a pas à l’être, on lui demande seulement – mais c’est tant – d’être inspiré et inspirant, habité et habitable dans le sens où l’on peut y entrer, y déambuler, y contempler de l’intérieur le génie de l’architecte et le talent des artisans. Or qu’avons-nous entendu ? Une cathédrale…

Décors, revue des chanteurs, qualité de la mise en scène, originalité de la production, fidélité à l’esprit originel de l’œuvre… tout est passé au crible par le grand Moshe qui souvent s’emporte et parfois s’extasie face aux choix de la production. Personne n’a jamais osé interrompre ce monologue enfiévré. Encore moins le contredire. Jusqu’au jour où un parfait étranger décide de tenir la dragée haute à l’expert incontesté qui fait la pluie et le beau temps à Bayreuth. S’en suivra un combat sur le Ring autant qu’en dehors car ces deux hommes partagent bien plus qu’une passion pour Wagner…

« J’vois pas pourquoi la musique de Wagner devrait être jouée comme une musique de guerre. C’est pas l’enflure à la moustache carrée qui l’aimait de cette manière… ? »

Après s’être attaqué à l’absurdité du monde professionnel dans Metadata puis aux maux de la politique dans le Roi, voilà que Charlie Roquin s’amuse à démonter l’élitisme culturel en rappelant une évidence que beaucoup oublient : la critique n’a de valeur que pour celui qui l’énonce et éventuellement celui qui veut bien l’écouter. Dans son roman en quatre actes qui suit le découpage du Ring, il déroule une connaissance fine des oeuvres de Wagner au travers de joutes verbales de haut vol complétées de renvois et de notes qui intéresseront les lecteurs les plus érudits. Les autres se satisferont aisément de la tension de plus en plus vive qui donnera de faux airs de thriller à ce roman, par ailleurs bien sous tous rapports. Car le drame, à Bayreuth, va se jouer aussi bien sur scène qu’en coulisses. Car les échanges animés entre le critique et son détracteur ne sont pas tant motivés par un point de vue divergent sur l’interprétation du Ring, pièce centrale de ce roman, que sur des raisons personnelles et totalement extérieures au monde de la musique. 

Dalmatius lui disait souvent qu’il avait l’ouïe aussi aiguisée qu’un couteau à beurre.

C’est cette double lecture qui rend Les maîtres de Bayreuth aussi plaisant à lire. Charlie y manie les mots avec une virtuosité qui force l’admiration et se montre aussi à l’aise avec le style oratoire qu’avec les codes du suspense. Depuis son tout premier roman, j’apprécie plus que tout son humour et son espièglerie que l’on retrouve disséminés dans des dialogues savamment amenés. Désormais je vais guetter également ses petites incursions dans le domaine de la littérature noire car entre dérision, érudition, passion et sensations, l’auteur nous prouve une fois encore qu’il maîtrise son art à la perfection et qu’il est capable de se renouveler en permanence pour nous servir à chaque fois un roman détonant !


L’ESSENTIEL

Les maîtres de Bayreuth de Charlie Roquin

Couverture des maîtres de Bayreuth de Charlie Roquin

Les maîtres de Bayreuth
Charlie ROQUIN
Editions Le Cherche Midi 
Sorti en GF le 24/08/2023 en GF 
240 pages

Genre : roman contemporain
Personnages : Moshe Griebnisch
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Métadata et Le Roi du même auteur, Opus 77 d’Alexis Ragougneau

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Une plongée romanesque dans l’œuvre de Richard Wagner et l’univers de ses passionnés.

Moshe Griebnisch est un célèbre critique wagnérien. Comme tous les ans, il se rend au festival de Bayreuth où ses avis sont attendus avec fébrilité. Après chaque représentation, il tient tribune dans une taverne où l’on se serre pour l’écouter. Tout se déroule comme d’habitude quand survient l’impensable : un jeune inconnu le contredit publiquement avec une insolence inouïe. Comment ose-t-il ? Qui est-il ? Les questions musicales s’avéreront n’être qu’un prétexte : c’est une ancienne et lourde rancœur familiale qui conduit cet inconnu à Bayreuth.

Une fiction virtuose, portée par des joutes verbales jubilatoires et une tension dramatique croissante, qui interroge sur la dualité des êtres.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Les maîtres de Bayreuth

  1. C’est un bijou d’argumentation
  2. On ressent toute la passion de l’auteur et des festivaliers pour l’oeuvre du maître
  3. Evidemment, si vous êtes un mélomane averti, ce livre est fait pour vous !

3 raisons de ne pas lire Les maîtres de Bayreuth

  1. Si vous vous arrêtez à chaque petite note, chaque petit renvoi vous risquez de vous noyer : évitez d’avoir une lecture trop scolaire de ce roman
  2. On peut regretter que le secret qui unit le critique à son détracteur ne soit trop rapidement dévoilé. L’auteur étant tellement à l’aise pour faire monter le suspense, j’aurais personnellement aimé qu’il me laisse un peu plus longtemps dans le doute.
  3. Bien que je considère ce roman très accessible, le niveau de langue pourra éventuellement être un frein pour certains lecteurs

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