Lapin maudit – Bora Chung

Par Albertebly
Après une longue absence liée à une période de travail bien chargée, nous vous revenons avec une chronique portant sur le recueil Lapin Maudit de Bora Chung, publié pour la première fois en France en mars 2023.

Une fois n’est pas coutume, c’est encore grâce à une Masse critique Babelio que nous faisons notre retour par ici… C’est bien triste à dire mais avoir une véritable deadline pour rédiger notre chronique est, à ce jour, le seul moyen que nous avons trouvé pour nous permettre de venir écrire par ici sans culpabiliser. Sans compter qu’entre le boulot, l’actualité politique, les manifs. On vous cache pas qu’on commence à fatiguer fort.

Une information bien plus triste encore quand on sait combien ça nous fait plaisir de prendre du temps POUR NOUS pour venir vous parler de nos lectures ! BREF! On espère réussir à accorder plus de temps à ce loisir dans les mois à venir avec la baisse de l’activité au boulot. ON Y CROIT !

Passons donc à la chronique, puisque c’est pour ça qu’on est là quand même (quand on est pas venue depuis longtemps on a la fâcheuse tendance à bavarder pour rien dire…) ! Avant notre avis, comme d’habitude, place au résumé de l’éditeur :

Du glaçant, du stupéfiant, du terrifiant ; de l’inoubliable !
Un lapin envoûté qui dévore trois générations, une tête qui appelle sa mère depuis la cuvette des toilettes, des doigts glacés qui s’enfoncent dans la terre, un renard qui saigne de l’or, des cicatrices, des mots d’amour, du sang, un fantôme qui se hâte sur une grand-place de Pologne…
Maîtresse du réalisme magique, Chung Bora revêt dans ce Lapin Maudit les habits de la littérature de genre. Le lecteur pensera alors aux modèles féministes Margaret Atwood, Laura Kasischke et Cho Nam-joo. Et à Stephen King.
En développant un imaginaire sans limite, avec une exceptionnelle qualité littéraire, l’autrice offre des analyses complexes et fascinantes. Elle dénonce à travers ces dix nouvelles, qui tiennent parfois du conte ou de la fable, la cruauté de nos sociétés libérales, patriarcales et névrosées. Osez explorer les méandres ensorcelants de ce Lapin Maudit !

Voilà un livre qui avait tout pour nous plaire… Même si on se méfie des comparaisons trop élogieuses pour une première publication comme celle-ci, on a décidé de laisser sa chance à ce recueil dont on avait tant entendu parler sur la sphère anglophone de Youtube !

Une plume maladroite

Histoire de ne pas finir comme à notre habitude sur une mauvaise note, on commence par ce qui a péché au cours de cette lecture. Et avant toute chose, on doit bien dire que la traduction ne nous a pour le moins pas convaincu …

Certaines formulations nous ont semblé maladroites, parfois traduites trop littéralement (« Écoutez, vénérable grand-père, je… » , à la page 94), formulé dans un française manquant de modernité (« C’est pitié de voir ça. » à la page 97) ou trop dans la redondance (« En regardant le maître du bateau d’or fendre les airs irradiés de soleil pour regagner sur une monture à roues d’or dentées le bateau à roues d’or dentées d’où il était venu, le roi du désert de sable avait arboré un sourire de triomphe. Partout où le maître du bateau d’or était passé, partout il avait laissé des traces de sang qui éclaboussaient ici et là le sable. » à la page 240).

Pour ce dernier exemple on pourrait m’opposer que cette répétition est voulue, et qu’elle retranscrit probablement une figure de style employée dans la version originale. Mais comme le disent les italiens, « Traduttore, traditore ». Autrement dit, traduire c’est toujours trahir. Reproduire trop littéralement les expressions et tournures de phrases choisies par l’auteur dessert souvent son propos. Et vu qu’en français nous détestons les répétitions, il aurait mieux valu retranscrire l’idée que ce bateau est richement doré en employant le champ lexical de l’or avec un peu plus de subtilité pour éviter d’alourdir le texte et de rendre la lecture laborieuse et peu agréable.

D’autres exemples du genre parsèment le texte sans pour autant empêcher la lecture. Si l’on passe au-delà de ça et qu’on n’est pas hyper regardant sur la langue, les nouvelles de Bora Chung se lisent bien. Le tout est très accessible et aborde des sujets variés qui ont su, pour la plupart, susciter notre intérêt.

Un recueil de nouvelles très diversifiées

Quand on en vient aux nouvelles, ce qu’on aime nous, c’est soit une grande cohérence des nouvelles entre elles, soit, à l’inverse, une diversité suffisamment importante pour que passer d’une nouvelle à l’autre soit l’occasion de découvrir une nouvelle ambiance, un nouvel univers. Avec Lapin Maudit, on part plutôt sur le second modèle de recueil qui nous plait. C’est pour le moins très diversifié… Mais une chose est sûre, le monde de Bora Chung est bien sombre et c’est rarement sur une note d’espoir que l’autrice coréenne clôture ses nouvelles. Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. On vous aura prévenu.e.s.

Allant du gore (Les règles du corps) à l’horreur grotesque (La tête) en passant par des histoires beaucoup plus inspirées du folklore et du conte (Le piège), toutes ces nouvelles gardent un même point commun : celui de montrer que l’horreur la plus crasse est souvent issue de la cruauté des humains. Au programme de ce recueil, vous trouverez des fantômes, des malédictions et du body horror. A ces thèmes plutôt classiques, viennent s’ajouter des sujets plus contemporains, et l’autrice évoque les travers d’une société coréenne qu’elle semble, à l’évidence, vouloir dénoncer.

Ainsi quelques nouvelles tournent autour du corps des femmes, de l’exigence que la société a encore à leur égard aujourd’hui de produire des héritiers et surtout, surtout de bien se marier avant ses 30 ans au risque d’être considérées comme des vieilles filles avant l’heure. Dans les nouvelles de Bora Chung la rivalité entre les femmes est à son meilleur, la sphère familiale est étouffante et la question du mariage n’est jamais bien loin.

Parmi les thématiques récurrentes qui ont également attiré notre attention, on pourrait évoquer la pauvreté et les inégalités profondes en Corée, l’endettement des plus pauvres, l’addiction aux jeux d’argent, la délinquance en col blanc, etc. Des thématiques qui traversent le cinéma coréen et qui semblent également, traverser sa littérature. Voilà qui nous donne envie de découvrir un peu plus ! Bora Chung développe une horreur de l’intime qui prend aux tripes par son aspect parfois dérangeant. Nous conclurons sur une citation issue du recueil, qui retranscrit bien l’impression que nous a laissée Lapin Maudit :

« Même si l’on croit qu’il suffit de rentrer chez soi pour que la petite famille nous protège de la malfaisance du monde extérieur, ladite famille est parfaitement capable de générer ses propres malfaisances internes. » (p.232)

Et avant de passer à la conclusion de cet article nos nouvelles favorites et celles qui ne nous ont pas convaincues, en un coup d’œil :

Nos nouvelles favorites, en vrac : La tête, Lapin Maudit, Les règles du corps, Au revoir mon amour, Le piège, Cicatrices.
Bif bof, on a pas trop aimé, voire détesté : Les doigts glacés, Heureux foyer, Maître des vents et du sable, L’éternel retour.

Avec Lapin Maudit, Bora Chung signe un premier recueil de nouvelles d’une grande richesse. Mélangeant des thématiques classiques de l’horreur à des sujets plus politiques, elle dépeint une société coréenne viciée, une humanité rongée par la cupidité et la cruauté. Développant une horreur de l’intime, elle propose des nouvelles à l’ambiance souvent étouffante qui pâtissent malgré tout d’une plume trop plate qui nous a déplu (que ce soit le fait de l’autrice elle-même ou des traducteurs… Ou des deux !)


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