INTERVIEW – Anthony Pastor: « J’avais cette envie de western en moi depuis très longtemps »

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Anthony Pastor n’est pas du genre à se laisser abattre. Sa saga politico-écologique « No War » n’a pas rencontré le succès espéré et a dû être arrêtée prématurément? Peu importe! Plutôt que de se lamenter sur son sort, l’auteur français tourne immédiatement la page et se remet en selle avec un western spectaculaire au joli titre de « La femme à l’étoile ». Une quête d’amour et de rédemption dans un décor plutôt original: celui de Promesa, un village minier abandonné situé dans les montagnes du Montana, au Nord-Ouest des Etats-Unis. C’est là que les destins de Zack et Perla, qui fuient chacun quelque chose, vont se croiser, au beau milieu d’un hiver particulièrement rigoureux et neigeux. Leur rencontre va donner lieu à des étincelles, en tout cas les premiers jours. Mais pas question pour eux de poursuivre leur chemin plus loin, car Promesa est un endroit complètement coupé du monde, et donc idéal pour se faire oublier. Malheureusement pour eux, les marshals qui sont à leur poursuite ne l’entendent pas de cette oreille. Zack et Perla parviendront-ils à échapper à leur passé, qui ne cesse de revenir les hanter? Nous avons profité du passage d’Anthony Pastor à la Foire du Livre de Bruxelles pour lui poser quelques questions sur cette fameuse « femme à l’étoile ».

D’où est venue cette envie de faire un western?

C’est quelque chose que j’avais en moi depuis très longtemps. La preuve: j’avais sous-titré un de mes premiers albums « western tortilla à l’eau de rose ». Ensuite, j’ai fait « Sally Salinger », une série qui se passait dans une Amérique fantasmée avec toujours au moins un personnage coiffé d’un chapeau de cow-boy. Ce n’était pas encore tout à fait un western, mais il y avait déjà certains éléments. Je crois que cette passion me vient de mon père, qui a toujours adoré les westerns. J’ai regardé énormément de films avec lui quand j’étais petit. Je suis aussi un grand fan de Blueberry et de Lucky Luke. En plus, cela fait quelques années maintenant que je suis un grand lecteur de romans westerns. Mais bizarrement, pendant très longtemps, je n’ai pas osé m’attaquer au genre. Sans doute parce que j’avais peur de me confronter à des grands noms comme Giraud ou Morris. En plus, c’était un réel challenge sur le plan graphique, ne fût-ce que parce qu’il faut dessiner des tas de chevaux. Et puis récemment, je me suis dit que j’étais enfin prêt à me lancer dans un western. C’était le bon moment.

Pourquoi avoir opté pour un western hivernal? Vous vouliez contourner l’écueil en évitant d’avoir à dessiner des cactus et de la poussière?

Depuis les westerns spaghettis, le genre est effectivement très associé à la poussière et au désert, même s’il y a aussi quelques très bons westerns qui se passent dans la neige. En réalité, si j’ai choisi de situer mon récit en hiver, c’est parce que je trouvais ça super intéressant graphiquement. Cela donne une réelle place à la nature dans le déroulement de mon scénario.

Et cette idée d’une femme shérif, vous l’aviez en tête depuis longtemps?

Pour la petite histoire, « La femme à l’étoile » devait être le titre du troisième épisode de ma série « Sally Salinger », qui n’a finalement jamais vu le jour. Je n’ai rien gardé du scénario de l’époque, mais par contre le titre me plaisait bien, donc je l’ai récupéré. En réalité, l’histoire de cet album est venue assez vite parce que je voulais qu’elle soit très simple. Dès le début, j’ai su que je voulais me concentrer sur deux fugitifs qui sont poursuivis par des shérifs et qui décident de se cacher au même endroit. Le pitch de départ est donc venu très rapidement. Par après, ça a été plus long de mettre tous les éléments en place, notamment au niveau graphique. Il faut savoir, en effet, que c’est mon premier album réalisé au pinceau et en couleur directe. Comme c’est une toute autre technique, cela a demandé du temps, notamment parce qu’il a fallu trouver la bonne encre et le bon papier.

Pourquoi avoir changé de technique par rapport à vos albums précédents?

Tout simplement parce que j’aime changer régulièrement et parce que je suis un insatisfait permanent. Cela faisait des années que je cherchais quelque chose de nouveau, mais j’ai souvent été déçu. Avec le pinceau, j’ai enfin trouvé une technique qui me permet de bien représenter ce que j’ai en tête. C’est un outil qui permet un dessin complexe, qui se construit avec des ambiances et de la lumière. Il me permet vraiment de modeler les choses et d’être dans une approche très cinématographique. Grâce au pinceau, je peux jouer avec quelque chose de très net devant et plus flou derrière, par exemple. Je peux aussi jouer sur la lumière qui vient taper sur un visage. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup.

C’est pour le côté cinématographique que vous avez choisi de situer votre histoire dans un village abandonné, complètement coupé du monde?

En réalité, le village est situé dans un cirque naturel, avec juste une petite entrée pour y accéder. Du coup, cela peut être aussi bien un piège qu’un abri. Cette idée m’est venue assez rapidement. Comme j’ai fait pas mal de théâtre, je sais à quel point le décor est essentiel à la mise en place d’une histoire. L’endroit où l’action se déroule a une grande influence sur le récit.

Il y a aussi une sacrée galerie de personnages dans « La femme à l’étoile »…

Oui, absolument. C’était d’ailleurs un élément particulièrement important dans cet album parce qu’il n’y a aucun rôle de figurant. Tous les personnages ont leur importance, et chacun doit avoir une histoire particulière pour qu’on y croie. Bien sûr, je consacre l’essentiel de mon attention à Zack et Perla, qui sont les deux héros, mais quand on regarde la petite dizaine de personnages du livre, ils ont chacun leurs caractéristiques. J’ai d’ailleurs travaillé avec des planches de costumes pour chacun d’entre eux, à la fois pour ne pas me tromper d’une scène à l’autre, mais aussi pour m’assurer que chacun soit clairement identifié et ait quelque chose à raconter. Pour moi, le sel d’une histoire tient à la crédibilité de ses personnages. C’est uniquement s’ils paraissent vrais que le lecteur peut se laisser embarquer. A un moment donné, il arrive même que les personnages prennent le dessus. Quand on a pris le temps de bien les camper, ils finissent par guider l’histoire. Et il n’y a plus qu’à dérouler le fil.

La thématique des conflits familiaux joue un rôle important dans quasiment tous vos albums. C’est quelque chose de conscient ou d’inconscient chez vous?

Je puise mes récits fictionnels dans ma propre expérience, même lorsqu’ils se déroulent à une époque qui n’est pas la nôtre, comme pour « La femme à l’étoile ». Ce que je veux avant tout, c’est parler des émotions et des relations humaines. Donc forcément, la famille est une unité de base qui m’inspire beaucoup. Mais lorsque je parle de mon expérience familiale, c’est toujours en la déguisant derrière une couche de fiction pour la rendre plus universelle. Ma propre histoire ne me paraît pas forcément intéressante à raconter en tant que telle. Je préfère dessiner des chevaux dans la neige, ça me fait davantage voyager! (rires)

Est-ce que « La femme à l’étoile » est un one-shot? Ou est-ce qu’il pourrait y avoir une suite, comme ça avait été le cas pour votre album « Le sentier des reines »?

Dans « Le sentier des reines », il y avait dès le départ une suite qui était possible, même si elle n’était pas prévue à la base. Par contre, pour « La femme à l’étoile », il n’y a vraiment pas de prolongement prévu. Il y a des livres qui se prêtent à une suite, d’autres pas du tout. C’est le cas de celui-ci. D’ailleurs, l’expérience du « Sentier des reines » m’a appris qu’il ne faut pas forcément pousser un récit plus loin quand ce n’est pas indispensable. Il y a eu une suite, c’est vrai, mais on aurait très bien pu s’en tenir à un seul tome. Plus récemment, l’expérience « No War » m’a également appris plein de choses. Elle m’a montré à quel point c’est compliqué de trouver sa place dans l’industrie de la bande dessinée telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.

Justement, qu’est-ce que vous retenez de l’expérience « No War »? Pourquoi la série n’a-t-elle pas marché, selon vous?

La principale leçon que je retiens, c’est qu’il est très difficile d’installer une nouvelle série. Une fois qu’un bouquin est publié, il disparaît très vite des rayons des librairies. Du coup, quand les tomes suivants arrivent, les gens ne les achètent pas parce qu’ils sont passés à côté du premier épisode. Au niveau du contenu, je pense que j’ai un peu été victime de mon fantasme d’auteur, qui était de vouloir installer une narration plus longue, comme ça se fait beaucoup dans les séries télé actuelles. Le problème, c’est que ce format-là fonctionne peut-être en manga, comme pour « Lastman » par exemple, mais par contre, il s’avère beaucoup plus compliqué à mettre en place dans la BD traditionnelle franco-belge. C’est pour cette raison que j’ai décidé de tourner la page de « No War » en me lançant dans un western. Cela me permet à la fois de répondre à une envie graphique que je porte depuis longtemps et de trouver un cadre propice pour explorer des relations humaines tendues, ce que j’adore faire.

Votre prochain album, ce sera quoi?

Ce ne sera pas la suite de « La femme à l’étoile », mais ce sera quand même un western. Il n’y aura toujours pas de cactus, mais il y aura quand même un peu plus de poussière, puisque l’action se situera dans les grandes plaines du nord du Texas, avec un canyon qui jouera un rôle important. Il faut préciser que je me documente de plus en plus sur les lieux qui peuvent me servir de décor, même s’ils ne sont pas forcément clairement identifiés dans mes albums. Je ne veux pas mentionner d’endroits trop précis, car pour moi, c’est l’histoire qui doit primer avant tout. J’évite de laisser uniquement mon imagination travailler pour ne pas tomber dans des clichés, mais en même temps, je ne veux pas me laisser enfermer par ma documentation. Je l’utilise avant tout comme source d’inspiration. C’est souvent en repérant tel ou tel élément dans un décor que cela me donne des idées pour mes scénarios.

Et adapter un roman, ça vous tente?

Non, pas vraiment. Il y a parfois des nouvelles qui m’inspirent, comme celles de Dorothy Johnson par exemple, mais je ne vais pas plus loin parce que dans le même temps, je ressens un énorme besoin de raconter mes propres histoires et d’explorer la psychologie de mes personnages. C’est ça qui me donne envie de dessiner.