Le "feel bad novel" de la Belge néerlandophone Gaea Schoeters honoré par l'UEPL

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

La sculpture de papier réalisée pour la Belge Gaea Schoeters.


On aura vraiment beaucoup parlé de l'Ukraine ce mardi soir à Flagey où étaient remis officiellement les distinctions littéraires de l'Union européenne, les prix UEPL. Le prix et les cinq mentions spéciales avaient été annoncés en avril à Paris (lire ici). S'il est normal d'évoquer les Ukrainiens dévastés par la guerre, fallait-il un tel chœur? La Commissaire à l'innovation, la recherche, la culture, l'éducation et la jeunesse Mariya Gabriel, l'écrivain lituanien Tomas Vaiseta deux fois,, le chef de la mission de l'Ukraine auprès de l'Union européenne Serhii Tereshko, les écrivains sur scène en chœur, la lauréate ukrainienne Eugenia Kuznetsova naturellement, l'écrivain géorgien Iva Pezuashvili, le lauréat 2022. On aurait aimé un tout petit mot de compassion pour d'autres pays qui subissent aussi la guerre. Il n'y en a eu aucun. Une bombe russe vaut-elle plus qu'une attaque en Afghanistan ou en Syrie? Il a été dit la nécessité de conserver la culture au-delà des guerres, malgré les guerres. Un livre ukrainien vaut-il plus que la musique afghane aujourd'hui interdite? Pas un mot sur ce qui se passe loin de nos portes.

Lecture conversation avec Gaea Schoeters
et Tomas Vaiseta. (c) EUPL.

La littérature a aussi été fêtée en ce soir de Saint-Nicolas. Le fonctionnement du Prix de littérature de l'Union européenne ayant été modifié pour son cinquième cycle (2022 à 2024), la cérémonie a elle aussi connu quelques changements. En trois lieux de Flagey ont eu lieu avant la cérémonie proprement dite des lectures-conversations avec la plupart des écrivains proposés par leur pays. Ils ont répondu à des questions et lu un extrait de leur œuvre en langue originale. Bonne idée. Au moins sur le papier. Il m'a été impossible de lire la traduction anglaise en parallèle à la lecture en lituanien; aucun problème par contre lors de la lecture en néerlandais - pas besoin de traduction.
Pour ma part, j'avais donc choisi la séance avec le Lituanien Tomas Vaiseta ("Ch.") et la lauréate belge néerlandophone Gaea Schoeters, mention spéciale pour son roman "Trofee", disponible en français depuis septembre; il a été traduit en français par Benoît-Thaddée Standaert pour la collection "Actes noirs" d'Actes Sud sous le titre "Le trophée". Le "meilleur feel bad novel de l'année", selon la romancière qui incite ses lecteurs à changer leur focale habituelle. Une histoire de chasse en Afrique qui fait réfléchir entre autres aux paradoxes de notre bonne conscience.
Tandis que la Belge faisait remarquer qu'une des utilités du prix, vu les nombreuses traductions générées, était qu'un roman écrit en langue flamande allait peut-être aller chez les Anglo-Saxons alors qu'habituellement ce sont ces derniers qui envahissent les rayons des librairies flamandes, le Lituanien, de son côté invoquait "Please, support Ukraine!" avant d'expliquer qu'un jour, le prénom de Charles lui était venu et qu'il s'était lancé dans de nombreuses recherches à ce sujet, lui qui ne voulait plus en faire pour un roman.

Flagey. (c) EUPL.

La cérémonie ensuite s'est présentée comme une lasagne entre discours officiels et interventions de douze des quatorze lauréats célébrés ce soir. Extraits.
Après un mot pour l'Ukraine, Mariya Gabriel, Commissaire à l'innovation, la recherche, la culture, l'éducation et la jeunesse: "Le prix EUPL brise les barrières physiques, linguistiques et culturelles pour nous aider à mieux nous comprendre. Il souligne l'importance du secteur du livre pour notre société européenne. [Aux auteurs], je vous demande de continuer à servir de modèles et de source d'inspiration pour tous les esprits créatifs à travers l'Europe."
"Quelle place pour la culture dans un monde où les gens sont contraints de quitter leur foyer et de chercher refuge?" interroge Sabine Verheyen, Présidente de la commission de la culture et de l'éducation, député européenne. "Nous ne devons pas sous-estimer le pouvoir des livres. Les histoires que nous racontons aujourd'hui façonneront notre avenir."
Serhii Tereshko, chef de la mission de l'Ukraine auprès de l'Union européenne, plaide sur l'importance de la littérature comme base de l'identité européenne ukrainienne. Il demande qu'on publie les livres d'Ukraine, qu'on fasse la promotion de la littérature ukrainienne.
Changement de perspective avec la capsule vidéo de l'Italien Daniele Mencarelli: "J'écris depuis que j'ai 15 ou 16 ans. J'ai découvert la littérature grâce à un professeur à l'école. A ce moment, la littérature est devenue ma vie."
Quatre écrivains montent ensemble sur scène. L'Autrichien Peter Karoshi, enchanté d'avoir rencontré ses collègues avec qui il a "discuté littérature et politique". Le Norvégien Kjersti Anfinnsen, qui se réjouit de la multiplicité des langues. La Roumaine Raluca Nagy qui se rappelle de ses années d'études à Bruxelles. Le Lituanien Tomas Vaiseta, qui relance un appel pour l'Ukraine et juge peu important le pays d'origine: "On a les mêmes problèmes, les mêmes amours, les mêmes espérances."
Séquence vidéo avec le Macédonien du Nord Vladimir Jankovski: "Ecrire est pour moi dire la manière dont je perçois le monde. Un artiste ne devrait pas se limiter à une discipline mais multiplier les expériences comme je le fais, livres, cinéma, musique..."
Après les officiels Sonia Draga, Vice-présidente de la Fédération des éditeurs européens, et Jean-Luc Treutenaere, Co-Président de l'EIBF (European and International Booksellers Federation), montée sur scène de la Belge Gaea Schoeters et de l'espagnol Jacobo Bergareche, tous deux mentions spéciales. Ils ont parlé traduction et bien pointé que la qualité se mesure notamment à la musicalité de la langue de traduction.
En vidéo, l'Ukrainienne Eugenia Kuznetsova, mention spéciale: "J'ai toujours pensé que j'étais écrivain. J'ai grandi dans un tout petit village." Sur scène, deux nouveaux lauréats de mention spéciale, la Franco-Bosniaque Slađana Nina Perković: "Je voulais être un auteur français mais je n'y arrivais pas. Dans ma tête, mes personnages parlaient en serbo-croate." L'Irlandais au nom imprononçable Tadhg Mac Dhonnagáin: "J'ai essayé d'être loyal à mes personnages et à leurs situations en explorant le lien entre mémoire, identité et langage."
Dernier à parler de la soirée, on n'entendra ni le Grec Takis Kampyli, ni le Slovaque Richard Pupala, le lauréat du prix UEPL, le Géorgien Iva Pezuashvili se demande si la littérature peut changer le monde, se félicite des traductions permises par le prix et lance un dernier message de soutien à l'Ukraine.
Le recueil "European stories" des auteurs 2022 est maintenant disponible sous format papier. Il propose pour chacun des quatorze lauréats une biographie, un résumé du livre primé, l'avis du jury national l'ayant proposé, un extrait en langue originale et sa traduction en anglais. 
La Commissaire Mariya Gabriel a aussi annoncé que le 27 mars 2023 serait la Journée des auteurs européens.