Vertèbres

Par Mana_


Printemps 1997, dans une petite station balnéaire des Landes, Jonathan, 10 ans, vient d'être kidnappé. Selon ses meilleurs amis, le ravisseur serait une femme à barbe. Jonathan est retrouvé une semaine plus tard sur une aire d'autoroute, mais sa mère, Marylou, peine à le reconnaître... Beaucoup de choses ont changé en lui, la plus déroutante étant l'apparition d'une vertèbre supplémentaire en bas de son épine dorsale. En quoi se transforme Jonathan, et que lui est-il arrivé lors de son enlèvement ?

Pourquoi ce titre ? Peu de temps après l’ouverture d’une nouvelle librairie généraliste sur Rennes, tenue par mon libraire préféré et son acolyte, j’ai lancé le challenge de me conseiller LE livre qui, pour lui, valait la peine d’être lu, en connaissance de mes goûts. Il m’en a finalement conseillé plusieurs, parce que c’est un libraire et qu’il ne peut pas s’empêcher de partager sa passion. J’en ai noté plusieurs, mais je confirme n’avoir acheté qu’un des livres proposés. Ce fut Vertèbres. Pour la petite anecdote, un mois après son achat, il était nominé pour le Prix Livraddict, ce qui va me permettre de faire d’un livre deux coups !
Vertèbres, c’est le récit très dérangeant de la jeunesse en quête d’une identité et de la vieillesse complètement folle, complètement vouée au contrôle. Ce fut une lecture comme il en existe peu dans la vie d’un lecteur, où on est confronté à la violence brute mais qu’on est incapables de repousser le bouquin, même si ce dernier nous fait énormément grimacer.
Ce n’est pas la forme qui me fit plisser le nez comme les sourcils. Par cette alternance de points de vue entre Sacha, l’adolescente prépubère qui souhaite être un homme sans pour autant totalement lâcher prise sur les émotions d’une femme, et Mary-Lou, cette mère qui contrôle son fils par l’empoisonnement médicamenteuse et l’engraissement du corps, on découvre l’univers et les personnages qui vont façonner cette histoire. Ainsi on comprend qu’on va suivre le regard de peu d’adultes dans ce récit, qui prêtera surtout sa voix aux enfants plus tout à fait jeunes. Je dois dire que cette alternance de regards donne du rythme à l’ensemble, avec en prime du suspens à la fin.
J’ai aimé ma lecture jusqu’aux deux tiers du roman, même si j’ai eu du mal avec la note un peu punk, anarchique sans être déjanté. Les faits sont rapportés de telle façon que nous sommes contraints de nous poser énormément de questions. En effet, le sujet de l’intrigue, l’enlèvement de Jojo et les événements qui s’en suivent à son retour, est étudié par un point de vue externe : Jojo ne prend jamais la parole. On ne sait pas les raisons de l’enlèvement, ce qu’il a subi pendant sa disparition, encore moins pourquoi il est retrouvé abandonné quelques jours plus tard. Idem, comme l’indique la quatrième de couverture, la transformation qui aboutit au bout de quelques jours amorce énormément d’hypothèses et d’interrogations. Notre intérêt est titillé si bien que, avec en plus des chapitres plus ou moins courts et une maquette aérée, les pages se tournent extrêmement vite. D’ailleurs, un chapitre sur deux (ceux consacrés à Sasha) indique la date, on a donc un excellent repère chronologique pour l’enlèvement et ce qui va suivre, le tout sans alourdir la narration.
J’ai bien aimé, sauf la fin. Déjà parce qu’on assiste à un déchaînement de violence qui ne s’explique pas. La transformation de Jojo laisse évidemment place à des bains de sang. Je le comprends. Mais je n’admets pas tout simplement pas les gestes réciproques entre lui et Sasha. J’ai le sentiment que c’est balancé violence sur violence pour éveiller les consciences, froisser les mœurs ou je ne sais pas pourquoi, mais ça casse tout, de l’ambiance à la cohérence des personnages. De plus, on n’obtient aucune réponse. On ne sait pas quel était le but de l’enlèvement, pourquoi Jonathan, etc. Le dernier sentiment fut la frustration, d’avoir assisté à tant de violence pour que dalle…
La personnalité, la folie des personnages n’a pas permis un attachement à ces derniers mais je reconnais que suivre leurs pensées, leur cheminement fut intense. Entre la mère qui nous paraît de plus en plus aliénée par ses actes passés et actuels et Sasha, qui n’évolue pas forcément bien en compagnie de Jojo, on plonge forcément dans une sorte d’ambiance très glauque, ce qui n’aide pas à apprécier les caractères. Je plains seulement les deux amis de Sasha, Jojo n’ayant rien voulu de tout ça, Brahim n’ayant pas d’opinion à donner sur tout ce qui se passe. C’est simple, il joue le rôle de l’oméga dans ce trio en marge…
Le style d’écriture se lit parfaitement bien. J’apprécie d’autant plus que l’alternance de point de vue est marquée par le changement de ton et de lexique, ce qui donne un effet très réussi. On sait parfaitement qui parle, quand, à quel point sa psychologie - sa folie - évolue au fil de la lecture.

J’ai passé un bon moment mais ça s’arrête malheureusement là. Ca se lit très bien, notamment avec les chapitres courts et l’alternance de point de vue. Pourtant les personnages, malgré un début prometteur, ne m’ont pas attirée, si bien que j’ai lu le livre avec une certaine distance, curieuse de découvrir le fin mot sans m’investir davantage. Ma plus grosse déception concerne la fin, qui n’apporte aucune explication sur l’enlèvement et les causes de la métamorphose, me laissant sur de la frustration. Je ne parle même pas de la violence, parfois gratuite. Je retiendrai essentiellement l’ambiance travaillée et la transformation soigneusement décrite.

14/20