Quatre filles et un jean, tome 1 - Ann Brashares

Par Marie Kacher
Quatre fille et un jean1, Ann Brashares

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 309

Résumé : Carmen, Lena, Bridget et Tibby sont amies depuis toujours. Mais cet été, pour la toute première fois, chacune partira en vacances de son côté. Qu'à cela ne tienne, le jean qui scelle leur amitié voyagera de l'une à l'autre. De surprises en émotions, de rires en larmes, les quatre filles font l'apprentissage de la vie.

 

- Un petit extrait -

« J'ai peur de ne pas avoir assez de temps, pas assez de temps pour comprendre les gens, savoir ce qu'ils sont vraiment, et qu'ils me comprennent aussi. J'ai peur des jugements hâtifs, de ces erreurs que tout le monde commet. Il faut du temps pour les réparer. J'ai peur de ne voir que des images éparpillées et pas le film en entier. »
- Mon avis sur le livre -

 Les préjugés ont la peau tenace … et l’orgueil mal placé également. Combien de fois n’ai-je pas vu une personne déclarer faire entièrement confiance à son libraire ou bibliothécaire, pour ensuite plisser le nez, voire même s’offusquer et s’énerver, en constatant que le livre qui lui avait été conseillé était un livre « pour enfants » ? Combien de fois n’ai-je pas vu un parent envoyer son gamin acheter ou emprunter un livre à sa place, pour ne pas qu’il ne soit dit qu’il lisait des romans destinés à la jeunesse ? Ce genre de comportement m’attriste et m’insupporte tout à la fois : il prouve que le regard et le jugement des autres font peur et empêchent un grand nombre d’être pleinement eux-mêmes, mais également que personne n’a suffisamment de libre arbitre ou de cran pour pouvoir ou oser affirmer qu’il y a un sérieux problème dans notre société, si on en est arrivé à un stade où on se prive de quelque chose uniquement parce que ça s’écarte des sacro-saintes tendances des réseaux sociaux. A une époque où tout le monde parle de « liberté » et de « bienveillance », est-il normal d’avoir peur d’avouer qu’on aime les livres pour enfants, et plus encore de refuser de faire une potentielle bonne découverte simplement parce qu’un roman est rangé dans un rayonnage plutôt qu’un autre ? Suis-je vraiment la seule à trouver cette emprise malsaine et dramatique ? C’est tout du moins l’impression que cela me donne parfois … Pour ma part en tout cas, aucune honte à déclarer le plus haut et fort possible : j’aime la littérature pour ado, pour enfant, et je continuerai à en lire quoi qu’en disent les tendances du moment !

Carmen, Tibby, Bridget et Lena semblaient prédestinées à devenir amies : tandis qu’elles étaient enceintes jusqu’aux dents, leurs mères participaient aux même cours d’aérobic prénatal et passaient tout leur temps libre ensemble à échanger conseils et lamentations. Les quatre filles ont tout fait ensembles : leurs premiers pas, leurs premiers mots, leurs premiers jours d’école, leurs premiers mètres de vélo sans petites roulettes. Depuis leur plus tendre enfance, elles ont tout partagé, les joies et les peines de chacune, les forces et les faiblesses de chacune. Mais voici que cet été, pour la toute première fois de toute leur vie, elles vont être séparées … Lena la timide et son matériel d’aquarelle s’envolent pour une petite île grecque afin de passer les vacances chez ses grands-parents. Bridget la sportive rejoint un camp d’été pour petits génies du football, où elle espère bien vivre d’excitantes aventures. Carmen la grognonne se réjouit à l’idée de retrouver son père, mais découvre en arrivant que ce dernier lui a caché bien des choses. Et Tibby la rebelle, la seule à ne pas partir, a pour unique projet de survivre au job d’été le plus rasoir de toute la galaxie … Pour les aider à vivre ce premier été de séparation, il y a le JEAN : découvert au fin fond d’une friperie, ce pantalon absolument banal en apparence a l’incroyable pouvoir d’aller comme un gant aux quatre filles, alors que leurs morphologies sont absolument incompatibles. Tout au long des vacances, elles vont se le faire passer, avec pour mission de lui faire vivre le moment le plus important de leur été. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’été du jean ne sera pas de tout repos !

Au premier abord, je veux bien admettre que cette histoire ressemble à toutes les histoires d’amitié pour préadolescentes … Mais j’insiste bien : « au premier abord » seulement ! Car derrière cette apparente légèreté un peu mièvre se cache en réalité un récit profond et émouvant, qui aborde avec beaucoup de délicatesse les petits et gros tracas de l’adolescence, ce moment où on n’est plus tout à fait un enfant mais pas encore un adulte, ce moment où l’on essaye finalement de savoir qui on est au plus profond de nous-mêmes et surtout qui nous aimerions être. Il y a quelque chose d’assez dramatique dans l’adolescence : c’est en quelque sorte mourir un petit peu. Pour renaitre, plus grand et plus fort, certes, mais au début, on a juste le sentiment d’avoir perdu une partie de notre être, avec l’intime certitude qu’on ne la retrouvera plus jamais. L’adolescence, c’est l’âge où on perd notre innocence, notre insouciance, définitivement : même si on essaye de les retrouver par la suite, elles n’auront plus jamais la même pureté, la même force. L’adolescence, c’est une déchirure. Une rupture. Une meurtrissure. Une blessure, donc. Qui ne cicatrise jamais complétement, je pense : on garde au fond de nous une trace de cette plaie béante, de cet immense gouffre qui s’est un jour ouvert devant nous pour nous mettre au défi. Parviendras-tu à me franchir ? Du premier coup, ou bien après plusieurs chutes ? Avec acharnement, ou avec hésitation ? Pas le choix : il faut sauver vers l’inconnu, il faut grandir, qu’on soit prêt ou non. Qu’on soit seul ou non …

Ce premier été du jean, c’est celui de la déchirure pour les quatre filles : jusqu’à présent, elles ont tout vécu main dans la main. Elles affrontaient les épreuves ensembles, se soutenant mutuellement, se réconfortant mutuellement, s’encourageant mutuellement. Mais cet été, elles vont devoir se débrouiller seules. Sans pouvoir compter sur les trois autres. Elles vont devoir prendre leurs décisions seules, et en assumer les conséquences seules. D’un côté, c’est excitant, et de l’autre, terrifiant. Jusqu’à présent, elles étaient « les quatre filles » : on ne voyait jamais l’une sans les autres, et tout le monde a fini par les considérer comme une sorte d’entité propre et unique. Durant cet été, elles vont d’une certaine façon apprendre à exister individuellement, à être elles-mêmes, non pas comparées et associées aux autres, mais vraiment seulement et uniquement par et pour elles-seules. La séparation est difficile, et c’est là qu’intervient le jean : sorte d’objet transitionnel collectif, comme un doudou partagé, il va servir de trait d’union entre les quatre filles tout au long de l’été. Il va passer de l’une à l’autre, représentant la présence réconfortante des amies éloignées, mais transportant également la responsabilité de lui faire vivre quelque chose d’extraordinaire, pour qu’à travers lui les trois autres le vivent aussi. Au premier abord, encore une fois, ce « pacte du jean » peut sembler très enfantin, très anodin, très niais même, mais je trouve vraiment la symbolique du jean particulièrement puissante. On peut n’y voir qu’un serment entre gamines … mais pour moi, c’est bien plus que cela. Et plus important encore : pour les filles, c’est bien plus que cela ...

Pour Carmen, Tibby, Bridget et Lena, le jean est une force. Elles vont toutes avoir quelque chose de douloureux à affronter, cet été. Carmen découvre que son père va se remarier, elle a le sentiment qu’il veut et va les remplacer, sa mère et elle, par une femme et des enfants « bien comme il faut ». Elle se sent trahie, est dévorée par la jalousie et par la haine : de quel droit cette pimbêche ose-t-elle lui piquer son père ? et pourquoi son père l’a-t-il mis devant le fait accompli sans la prévenir ? Bridget, la tête brulée, qui ne recule jamais devant rien pour parvenir à ses fins, « coûte que coûte, au mépris du danger » comme l’écrit son psychiatre, va apprendre que parfois, obtenir ce qu’on désire est plus douloureux que le désir brulant lui-même. Pour la première fois de sa vie, elle comprend pourquoi ses amies s’inquiète tant pour elle lorsqu’elle fonce tête baissée, sans réfléchir aux conséquences de ses actes. Lena, qui a toujours été convaincue qu’il lui suffirait de fermer bien hermétiquement la porte de son cœur pour ne jamais souffrir, découvre que ça ne marche pas comme ça, et que c’est peut-être en se refermant sur elle-même qu’elle se fera le plus de mal, et aux autres aussi. Et enfin Tibby, dont les piercings et les airs bravaches ne suffisent pas entièrement à cacher la sensibilité, va faire une rencontre inoubliable. Amitié éphémère, mais bouleversante dans le sens le plus fort du mot : sa vie ne sera plus jamais la même. Son regard sur le monde et les autres ne pourra plus jamais être le même, maintenant que Bailey est passée dans sa vie comme une éblouissante étoile filante. Tibby broyait du noir, elle comprend désormais qu’elle peut et doit chercher le bonheur dans les petites choses, pour tous ceux qui n’en ont pas ou plus la possibilité …

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : lorsque la quatrième de couverture nous promet « un roman drôle, sensible, intelligent, où se mêlent subtilement les voix de quatre adolescentes qui rient, souffrent parfois, grandissent et nous séduisent », elle a parfaitement raison ! L’autrice nous offre vraiment un récit d’une profondeur incroyable, particulièrement émouvant, qui évoque avec beaucoup de délicatesse des thématiques particulièrement difficiles. Il y a dans ce roman toutes les petites joies et les grandes peines de l’adolescence, de la vie plus généralement, il y a les espoirs et les doutes, il y a les rêves qui se brisent et les autres qui se réalisent, il y a les embûches et il y a les mains tendues, il y a le soleil qui flamboie et la lune qui murmure. Et il y a, bien évidemment, ces quatre filles, ces quatre jeunes femmes en devenir, liées par une amitié des plus sincères et solides en dépit des différences et des différends. Elles sont tellement attachantes, chacune à leur manière, et à chaque fois que je relis ce roman, j’ai vraiment le sentiment de retrouver de vieilles amies d’enfance, perdues de vue, et pourtant toujours fidèles à elles-mêmes. Eté après été, elles m’ont aidé à grandir, elles m’ont fait vivre des expériences que je n’avais (et n’ai pas encore) jamais vécu, elles m’ont enseignées des leçons qui ne s’apprennent pas dans les manuels scolaires, elles m’ont fait rire et pleurer, littéralement. Vraiment, ne vous laissez pas prendre au piège des apparences et des aprioris : ce roman est bien plus profond qu’on ne peut le croire au premier abord, et ce n’est pas parce que c’est un roman « pour ados » qu’il n’a rien à apporter aux plus grands. C’est même tout le contraire …