Special strange : le grand retour avec organic comics & original watts

Par Universcomics @Josemaniette

 Si comme moi vous avez déjà atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, il est probable que vos premières lectures super-héroïques en langue française remontent à l'époque de Lug, c'est-à-dire des revues mensuelles comme Strange ou Nova, chaque mois en kiosque. Je mets volontairement Special Strange de côté; c'est là-dedans que nous avons découvert les X-Men par exemple, ceux de la grande époque Claremont et Byrne. Nous y trouvions aussi Spider-Man, ou plus tard les New Warriors. Et même si un beau jour nous avons eu la surprise et le désespoir de lire une simple page laconique nous annonçant l'arrêt de ces publications, il n'empêche que ces fondations restent encore aujourd'hui très solides et que c'est grâce à l'éditeur lyonnais que les super-héros Marvel ont pris racine en France. Aussi, lorsque le projet d'exhumer Special Strange a été présenté sur Internet (vive le financement participatif), inutile de vous dire que de nombreux nostalgiques ont tout de suite commencé à s'impatienter frénétiquement. Nous devons cette nouvelle mouture à Organic Comix et à Original Watts, associés ici pour ce qui est un véritable retour aux sources. Dès la couverture (une des couvertures, la classic B edition) qui évoque sans détour une des plus célèbres créations de Bob Layton, le logo, le format, nous comprenons que nous avons entre les mains un hommage aussi appuyé qu'élégant et réussi. Le sommaire permet d'ailleurs de remonter directement à cette époque bénie ou internet n'existait pas, et où il fallait hanter les environs de la Maison de la presse locale pour connaître les derniers exploits de Mikros et de sa bande de copain super-héroïques (c'était dans Titans, autre magazine légendaire). Bonne nouvelle, la série de Jean-Yves Mitton est inséré au programme des réjouissances que nous abordons aujourd'hui. Mais pas que, ou plutôt, pas qu'eux. On va jeter un œil sur le sommaire, en commençant par ce shoot de nostalgie, avant de reprendre le fil chronologique des pages.

Ceux que la société considère en réalité comme des freaks sont emprisonnés à San Francisco, mais ils vont vite devoir reprendre du service (et donc s'évader) pour contrer la menace de Maelström, un scientifique malheureux et frustré qui décide de se venger en créant de terribles catastrophes naturelles. C'est un vrai retour aux sources, dans un épisode spécial qui reprend les codes de l'époque, aussi bien dans la mise en couleur que dans la narration. Mitton n'est pas au dessin mais Oliver Hudson capture parfaitement l'esprit des temps d'alors. Les planches sont très classiques et fouillées, et le dessinateur parvient à nous convaincre amplement. Si vous aimiez les french comics dans les années 80, nul doute que vous allez passer un excellent moment. La première série publiée s'appelle de son côté Phantasmic Force; il s'agit d'une des créations tardives de Jack Kirby, qui n'a jamais connu les honneurs d'une version française digne de ce nom. Une histoire d'extraterrestres qui infiltrent notre planète dans l'espoir de répliquer les formes de vie qu'ils y rencontrent, pour asseoir leur domination et rétablir la communication avec un avant-poste installé depuis des temps immémoriaux. Même s'il s'agit d'épisode désormais très datés, on retrouve ce dynamisme et ce sens du merveilleux qui sera par la suite digéré et reproduit à sa manière par Rob Liefeld (et tout un pan des années 90). Il y a certes de la naïveté mais aussi beaucoup d'enthousiasme, et c'est une découverte à faire, réellement. Elle est d'ailleurs parfaitement documentée, avec un reportage très pertinent au sein d'un rédactionnel riche et pertinent. The mighty Titan de Joe Martino et Luca Cicchiti nous présente une histoire assez classique, celle d'un super-héros dont tout le monde ignore l'identité, y compris apparemment sa propre famille, et aux prises avec sa Némésis, un inventeur qui utilise ses prouesses technologiques et des hommes de main qu'il manipule, pour entretenir le sempiternel combat de l'homme de bien contre le mal incarné. C'est agréable à lire et plutôt intelligent, on ne s'ennuie pas. Pour terminer, Thierry Lancelot, qui fait partie des architectes du projet Special Strange, est lui-même le scénariste de la série The Orb, illustrée par Chris Orpiano. Le détenteur des pouvoirs de l'Orbe est en fait une sorte d'incarnation de la conscience collective des anciens représentants de la civilisation des Aleph. Un peu comme si les Gardiens de Oa (Green Lantern) fusionnait avec l'Intelligence Suprême des Kree, pour donner naissance à un Super Captain Marvel Quasar. Beaucoup d'influences qui font de ce titre ce qui se rapproche le plus d'une série "codifiée comic book américain de super-héros", et qui ne perd pas de temps en palabres, appuyant sur la pédale de l'accélérateur dès ce premier numéro, qui se termine par un de ces cliffhangers qu'aiment tant les lecteurs de revues sérielles (vous vous souvenez de Byrne sur Alpha Flight, dès le premier épisode, hein?). Une digne conclusion, très efficace, pour un Special Strange qui s'affranchit donc totalement des titres qui ont fait sa gloire, tout en conservant l'âme de ces productions, ici vivantes sous des formes subtilement différentes, mais absolument méritoires de votre intérêt et de votre curiosité. Vous trouverez aussi une longue interview/portrait de Bob Layton et le premier chapitre de ce qui sera la présentation des hommes et des femmes qui ont marqué les années Lug. Ne manque à l'appel qu'une bonne page du courrier des lecteurs (et pour ça il va falloir écrire, logique…) et l'opération fontaine de jouvence aura fait son effet. L'ensemble nous parait suffisamment structuré, crédible, et d'une qualité telle, que Special Strange a toutes les cartes en main pour aborder une seconde carrière prolifique. Welcome back !