Klaus barbie la route du rat : le sinistre parcours d'un nazi

Par Universcomics @Josemaniette

 À l'heure où il est possible qu'un candidat à l'élection présidentielle tente de réhabiliter le régime de Vichy et le maréchal Pétain, la sortie d'une œuvre comme Klaus Barbie la route du rat est d'autant plus indispensable. Barbie n'est pas un soldat et un membre éminent du parti nazi comme les autres; c'est un criminel de guerre allemand dont les exactions ont particulièrement marqué l'histoire de notre pays. C'était lui le chef de la Gestapo, dans les services de la police de sûreté allemande basée à Lyon. Un véritable boucher dont le travail consistait à enquêter, torturer et assassiner. Un individu au parcours tristement linéaire qui avait fait ses preuves auparavant, en démontrant un fanatisme et un dévouement total à une cause mortifère. C'est toujours Klaus Barbie qui est le responsable de l'assassinat de Jean Moulin, le plus célèbre des résistants français. Mais comme tous les nazis de son envergure, la fin de la guerre a signifié pour Barbie la possibilité d'une arrestation et d'un jugement sans pitié, d'où la nécessité de la fuite. C'est cet acte de couardise qu'il choisit; il traverse l'Atlantique et part s'installer en Bolivie, où il change d'identité, pour désormais apparaître aux yeux de tous comme un certain Klaus Altmann. Si le nom de famille est différent, la manière de se comporter et les idéaux ne changent guère. Cette fois, c'est dans le trafic d'armes et de drogues que Barbie s'illustre, au point même de favoriser des coups d'État locaux. On pourrait croire qu'avec le temps et dans un contexte pas forcément si défavorable (n'oublions pas que les fugitifs nazis se sont presque tous réfugiés en Amérique du Sud où les gouvernements locaux avait bien d'autres chats à fouetter, voire les accueillait à bras ouverts) Barbie aurait l'occasion poursuivre son existence sinistre sans être inquiété. C'était sans compter le travail qu'ont mené Béate et Serge Klarsfeld, au début des années 70, qui va changer la donne. Le criminel est formellement identifié; il n'y a plus de doute, l'illusion s'est effondrée. Des journalistes français sont dépêchés sur place et obtiennent de nouvelles preuves accablantes, la France demande une extradition, et un procès retentissant se prépare. Tout ceci est important et parfaitement bien raconté dans la première partie de la Route du rat qui vient de sortir chez Urban Graphic. Une trajectoire répugnante et inhumaine, pour un individu qui a semé la mort et la haine dans son sillage, partout. Frédéric Brrémaud et Jean-Claude Bauer signent une œuvre  magnifique et parfaitement documentée, qui éclaire tout ceci. 

Peut alors commencer la seconde partie de l'ouvrage, qui va être consacrée au procès proprement dit, dans les années 80. Dans ce procès ahurissant, c'est la parole qui est la pièce maîtresse, c'est-à-dire tous ces témoignages accablants qui viennent expliciter l'horreur, rappeler le caractère inhumain d'un homme qui peine à mériter ce titre. Barbie ne se démonte pas, ne réponds pas, voire même n'assiste pas aux séances; il est la négation de la réalité, emmuré dans un comportement irritant et hautain, il n'estime pas devoir répondre aux accusations. Jean-Claude Bauer et ses crayons couvrent à l'époque le procès pour Antenne 2; son dessin est donc particulièrement analytique, au plus près de l'événement, et il grave à jamais les visages, les prises de parole, une certaine pesanteur et gravité, sans oublier une vraie dignité, chez ces hommes et femmes qui se relient à la barre. Un tour de force, car forcément de nombreuses pages sont statiques, des documents poignants, où chaque mot peut paraître terrifiant. L'occasion de rappeler aussi le rôle ingrat et décrié de maître Jacques Vergès, chargé de défendre l'indéfendable (toute société civile se doit de le faire, c'est cela, l'avocat du diable) avec une rhétorique qui provoque l'indignation. L'œuvre de Brrémaud est dérangeante car elle n'ignore rien de cette histoire, aussi bien la complaisance d'une partie de la population française (le nombre des dénonciations est clairement évoqué dans cet album) que l'excès de zèle de Klaus Barbie, qui bien qu'appartenant à la Gestapo et aux ordres d'Adolf Hitler, aurait très bien pu ne pas commettre certaines des exactions dont il s'est entaché à jamais, sans pour autant désobéir aux ordres. Barbie, c'est le mal se réjouissant de sa propre malveillance. Sorte de documentaire en bande dessinée publié pour les 35 ans d'un procès retentissant et qui a fait date, Klaus Barbie la route du rat marque les esprits, bouleverse et interroge. On qualifie souvent ce genre d'ouvrage de nécessaire, et cette fois plus que jamais, c'est vraiment ce qui vient à l'esprit, quand on tourne la dernière page de ce volume, publié par Urban dans la collection Urban Graphic.


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