Par-delà l'horizon

Par Mana_


De quoi la science-fiction française est-elle le nom ? Rassemblant dix-neuf auteurs et autrices, Par-delà l’horizon est une anthologie ambitionnant de faire un point d’étape sur la SF hexagonale contemporaine. Le futur, lointain ou très proche, les réseaux, l’hyper connexion, la technologie, les désastres écologiques, politiques, sociétaux... et surtout l’humain, sont au cœur de leurs histoires, de leur fables en permanence reliées à notre monde. Dix-neuf textes de science-fiction pour parler d’avenirs mais surtout de notre présent.

Un grand merci aux éditions ActuSF pour ce partenariat !
Pourquoi ce livre ? Je connais surtout les recueils de nouvelles liés aux Utopiales, édités par cette même maison d’édition, et en règle générale j’aime beaucoup les auteurs qui se réunissent pour évoquer un même thème. Ici plus vague, balayer l’horizon de la science-fiction française me tentait bien alors j’ai sauté sur l’occasion.
La préface, étonnement courte, m’a déjà mis l’eau à la bouche. Évoquant les deux premiers recueils publiés chez ActuSF toujours, il interpelle sur l’évolution du genre, de son contenu, mais aussi sur l’évolution des auteurs, preuve d’une plus grande parité. C’est bien peu, mais c’est bien de le souligner. Et maintenant, comme Sébastien Guillot le conclut si bien, “Place aux nouvelles, donc.”
Je ne connais pas du tout la première autrice, Émilie Querbalec, mais j’admets que sa nouvelle La parfaite équation du bonheur me donne envie de me plonger plus avant dans sa bibliographie. Outre une plume fluide et agréable par sa simplicité, les idées qu’elle traite ne sont pas sans rappeler Black Mirror, mêlant sentiments et algorithme. Quand on fait le choix de s’en remettre à Meetiel, peut-on encore dire que le coup de foudre est dû au destin ? A-t-on encore prise sur nos choix ? Le développement est parfait, épousant le bon tempo pour traiter de toute la question sans trop rentrer dans les détails du quotidien. Seule la fin m’a un peu déçue, j’ai eu l’impression que le narrateur s’est transformé en voix de l’autrice pour étudier la morale, comme pouvait le faire Jean de La Fontaine avec ses fables. (17/20)
Cette année, j’ai enfin découvert le génialissime Le Déchronologue de Stéphane Beauverger et je me suis fait une joie de constater la présence de cet auteur dans le recueil ! J’ai retrouvé avec plaisir le mélange des genres qui compose son style, rehaussé de mots savants et présentant quelques tons familiers. Pourtant, Deimocratos n’est pas un texte évident. La douleur de la perte se confond et s’oublie dans ce pêle-mêle d’émotions créées, synthétisées par l’environnement. Et la conclusion sur la politique est perturbante, me laissant sur un goût d’incertitudes. Je pense que cette nouvelle mérite une relecture pour bien comprendre son essence. (15/20)
J’ai déjà rencontré des écrits de Luvan par le passé, assez récemment même, mais je ne peux pas dire que j’apprécie énormément. C’est très décousu, métaphorique, en résumé ça échappe totalement à ma compréhension et sa nouvelle pa ön n’échappe pas à la règle : je suis passée à côté… (09/20)
Avant Le Pack, je ne connaissais pas du tout L. L. Kloetzer (à ne pas confondre avec Laurent Kloetzer). Là encore, j’ai le sentiment d’être passée totalement à côté de la nouvelle, même si j’ai apprécié l’environnement et la petite touche technique qui permet de s’imprégner de l’ambiance. L’action m’a fait ni chaud ni froid et j’avoue clairement ne pas avoir compris le but de cette nouvelle. En revanche j’ai bien aimé le style, rendu très vivant par des phrases courtes et des dialogues très vifs. (11/20)
Je n’en suis pas à mon premier coup d’essai avec Silène Edgar mais je reconnais que je me suis davantage tournée vers ses romans jeunesse. Espoir fut une fois de plus une bonne découverte dans un contenu plus mature, dans une science-fiction digne d’un planet opera. Espoir est l’aboutissement d’un projet scientifique expliqué synthétiquement en début de nouvelle : une capsule autonome envoyée sur une nouvelle planète dans le but d’y développer une nouvelle humanité. Ce que j’ai assimilé à une nouvelle genèse est crédible, entre les faits scientifiques, la production de la faune et la flore et l’évolution de deux humains, Martha et Deacon. Les caractères opposés de ces derniers soulèvent de bonnes notions, traitées avec parcimonie, sans jamais prendre position. Je ne peux pas dire que je sois fan de l’idée de “coloniser” et polluer d’autres planètes, cependant cette nouvelle m’a enchantée. (18/20)
Jusqu’à maintenant, j’ai lu deux romans de Pierre Bordage, qui sont loin de m’avoir emballée. Comme on m’a annoncé que j’étais loin d’avoir attaqué le monstre de la science-fiction française par ses meilleures productions, j’étais très curieuse - et j’appréhendais également un petit peu - de découvrir sa nouvelle Et le verbe se fit cher. Et je me suis régalée : coup de cœur pour ce coup de gueule (assez soft) entre le statut toujours plus ridiculisé des auteurs/artistes et le capitalisme toujours plus prononcé. Ce fut une lecture prenante, horripilante et dérangeante. Quelques sourires jaunes au tournant de quelques tournures de phrases et des mines effarées devant les décisions et les révérences des “grandes institutions protectrices de la langue”. J’ai été déstabilisée par la dernière page, je ne m’attendais pas à ça… mais je suis certaine que cette nouvelle, son horreur, me suivra longtemps ! (20/20)
Lauriane Dufant est inconnue au bataillon pour moi mais je ne peux pas dire que sa nouvelle m’ait donné envie de la découvrir plus avant. Carne mélange deux choses qui, séparées, m’emballent totalement. Or, mélangées, j’ai trouvé le style d’une lourdeur sans nom et je n’ai jamais réussi à rentrer dedans. Le premier est l’emploi de la seconde personne du singulier : le “tu”. Ça avait très bien matché dans Les Livres de la terre fracturée de N. K Jemisin, toutefois ici j’ai très vite décroché à cause de la seconde raison. Le lexique est vraiment trop soutenu. Entre le tu et le vocabulaire à la limite du pompeux, le récit ne paraît pas du tout naturel et mon cerveau s’est concentré sur les artifices, non pas sur le contenu. Ainsi, je suis bien incapable de résumer le propos. (08/20)
J’aime beaucoup les romans en fantasy de Christian Léourier, un peu moins Helstrid en science-fiction, j’étais très curieuse de le découvrir ici. Je ne pense pas que sa nouvelle Le Juge, le Bot et l'Écureuil me restera longtemps en tête, pourtant j’ai beaucoup aimé le traitement des notions comme le vieillissement, la maladie, l’évolution de la technologie qui bouscule toujours plus le statut et le rôle de l’humain. En tout cas, ce n’est pas souvent que je note des citations, mais j’ai été interpellée par une d’elles ici : “ Au fond, c’est une erreur d’envisager les machines comme le simple produit d’une société. C’est, à l’inverse, la technologie qui façonne celle-ci. Contrairement à l’adage que l’on répète sans réfléchir, les civilisations ne meurent pas. Elles évoluent pour s’adapter à leur environnement technique”. Voilà de quoi préparer une table ronde aux prochaines Utopiales ! (13/20)
Si j’apprécie la légèreté du ton de Floriane Soulas, je suis souvent déçue par ses univers et ses intrigues qui manquent de profondeur, rendant la lecture peu mémorable. Ce fut encore le cas ici avec Projet Cérébrus. Si l’enjeu est excellent, la mise en scène est assez convenue et ne présente aucune surprise. En revanche j’ai bien aimé la fin qui, je trouve, est ouverte à interprétation. (13/20)
Même si je vois son nom partout sur les réseaux, avec pas mal d'éloges sur son dernier roman paru, je n'ai jamais lu Romain Lucazeau. Je pense sincèrement qu'il va falloir remédier à la chose ! Autant le titre, Variation sur un poème de Borges, m'a paru nébuleux, n'ayant pas la référence, autant le contenu m'a emporté dès les premiers mots. La plume est magnifique. Relevée et soutenue, avec un petit quelque chose qui la rend fluide, ça coule tout seul. Là encore, on retrouve une narration entre deuxième et troisième personne du singulier, sans que ce soit déstabilisant. Ici la mise en scène est parfaite et va de pair avec ce choix narratif - et même le style ne parvient pas à rendre l'ambiance lourde. C'est impeccable. Le contenu est d'abord flou, le narrateur place les pions, élabore sa stratégie, avant que le tableau final apparaisse clairement. Joli coup de maître, je ne m'attendais pas à ça et ça me convient très bien ! (17/20)
Là encore, je ne connais pas du tout Audrey Pleynet, et pourtant La Solitude des fantômes fut une superbe lecture. En reprenant parfaitement les codes de la nouvelle, l’autrice insuffle parfaitement cette ambiance suffocante de la non-interaction avant d’embrayer sur un message digne de la série Black Mirror. L’artifice est efficacement simple et horriblement glaçant. J’ai bien aimé la fin, on perçoit la révolte des fantômes derrière ces mots. (17/20)
Je connais Michael Roch pour avoir déjà lu et apprécié une nouvelle dans l’anthologie des Utopiales 2019. Une fois de plus, j’ai adoré sa nouvelle dans un cadre post-apo-dystopique où la langue prend aussi cher que l’humain. En moins de quinze pages, je suis passée par divers sentiments, de la stupéfaction à la crainte en passant par l’horreur. Un père ferait n’importe quoi pour sauver son fils, mais à ce point-là ! L’auteur malmène ses personnages autant que la langue, qui a subi le choc de la chute de la civilisation telle qu’on la connaît. C’est aride, dérangeant, j’ai adoré. (16/20)
Comme je le signalais ci-dessus, je n’aime pas trop les œuvres de Luvan et In der Höhle n’échappe pas à cette appréciation. Je ne sais pas trop ce qui ne colle pas entre ses textes et moi. Je n’ai pas encore compris quel était le but de cette nouvelle. Ca peut être bien écrit, je reste complètement dubitative sur l’ensemble… (09/20)
Comme Michael Roch, je ne connais Léo Henry par le biais de quelques nouvelles mais je n'ai jamais lu un de ses romans. J'ai adoré l'ambiance à la fois feutrée et hostile de J'ai senti venir l'avalanche dès les premiers flocons. C'est à la fois doux et sauvage. Le narrateur nous présente son univers, ce nouvel espace après l'homme, quand le froid et la neige se sont emparés de nos paysages, de ce qui façonne notre civilisation. C'est très bien raconté, avec de jolies métaphores et un lexique étonnant. J'ai beaucoup aimé l'ensemble ! (15/20)
Encore une fois, mon libraire a vanté beaucoup de bien à propos de Ketty Steward mais je n'ai encore jamais sauté le pas. Sa nouvelle, Quantique pour la liberté, est en bijou dans ce récit de science-fiction très léger, où seules la date et la technologie utilisée nous placent dans le futur. C'est un récit de vie, mêlant travail - quand on a la "chance" d'en avoir un - et intimité. Cette nouvelle soulève énormément de questions et fait réfléchir sur toute cette pression sociale, qui peut retomber en cercle vicieux sur la vie privée. C'est très intelligent et pertinent. (16/20)
Je commence à bien connaître Jean-Laurent Del Socorro, ayant lu quasiment toutes ses parutions. Quel plaisir de le retrouver Ne vous inquiétez pas, on va s’y mettre ! Avec un style bien à lui, il nous entraîne dans une relation père-fille touchante. J'ai beaucoup aimé le fait qu'il ne décrite pas plus que ça les extraterrestres, même si l'insinuation au fait qu'ils nous ressemblaient m'a un peu gênée (j'aime bien quand les extraterrestres ne nous ressemblent pas, c'est moins égocentrique). En tout cas, le passage final était parfait, avec une chouette conclusion ! (15/20)
Cela fait un moment que je lis les romans de Jeanne A. Débats, que ce soit par ses romans jeunesse ou par sa série Testament. En général, j'aime beaucoup ce qu'elle publie et ce fut encore le cas avec Chéloides. La touche de science-fiction est vraiment très discrète, reposant sur la technologie liée aux soins apportés aux patients. Cela laisse toute la place pour le récit, cette Romancière attaquée dans le corps, maudite, incapable d'écrire. Nouveau médecin à son chevet, Martin va tenter de l'aider à combattre le mal qui la ronge. C'est un récit touchant qui m'a emportée. Je sentais venir la fin donc je n'ai eu aucune surprise de ce côté-là, mais la psychologie des personnages est tellement bien menée que ce mauvais point n'entache pas ma lecture. (17/20)
Une fois encore, dans Golden Age Blues de Frédéric Jaccaud, la part de science-fiction est très édulcorée dans une narration très intimiste. On suit une amitié dans ses aléas, ses moments de plaisir comme dans sa souffrance. Je ne peux pas dire que j’ai grandement apprécié, ce n’est pas un genre de lecture fait pour moi. Pourtant je reconnais que l’ambiance presque malsaine, chaotique - avec l’absence de code typo pour les dialogues par exemple - qui se dégage de ce texte est très retranscrite. (12/20)
Je n’ai jamais eu la chance de le lire, pourtant je sais que Chris Vuklisevic a fait une entrée fracassante avec son premier roman paru début 2021. Je dois dire que sa nouvelle Ce qui se tapit dans la tour me donne envie de la découvrir plus avant ! Par l’intermédiaire d’une plume agréable, je me suis attachée à cette Hannah, d’abord jeune fille rebelle, loin du conformisme de l’endoctrinement, finalement matée. J’ai aussi bien aimé le rôle du narrateur voyeur, qui renforce cet attachement pour cette femme. Le développement de la nouvelle est parfait, seule la fin m’a un peu déçue : elle manque d’efficacité pour que cette lecture soit à 100 % marquante. (15/20)
Le recueil se dote également d’une postface par Ariel Kyrou, journaliste et chroniqueur de SF. Ce fut très intéressant. Par exemple, sans trop spoiler son contenu, il m’a entièrement éclairée sur les personnages de Le Juge, le Bot et l'Écureuil de Christian Léourier et avec le recul j’ai pu mieux apprécier celle-ci. En croisant les thèmes et les contenus de ce recueil, le journaliste passe en revue ce qu’est la SF d’hier, d’aujourd’hui et de demain. C’était tellement intéressant que j’envisage de lire Dans les imaginaires du futur, son essai paru récemment aux mêmes éditions. (17/20)

Entre la couverture et la présence de certains auteurs, je m’attendais à être emportée... mais pas autant ! La diversité des sujets - par la justesse de cette science-fiction parfois intimiste, souvent discrète, par la justesse de ces personnages - a renouvelé ma curiosité et mon intérêt pour chaque nouvelle. Bien sûr, certaines d’entre elles m’ont moins plu que d’autres, mais j’ai vraiment un ressenti extrêmement positif sur ce recueil, avec un aspect science-fiction sociale très marqué. Je le recommande vivement aux passionnés du genre !

15/20