Outsphere, tome 3 : Religions - Guy-Roger Duvert

Par Marie Kacher
Outsphere3, Guy-Roger Duvert

Religions

 Editeur : Autoédition

Nombre de pages : 342
Résumé : Lorsque Bowman s'était couché dans son caisson cryogénique, c'était dans l'espoir d'en être extirpé quelques mois plus tard, une fois un antidote trouvé au poison circulant dans ses veines. Ce n'était pas pour se réveiller en plein milieu d'un désert de sable, entouré de nomades hommes-lézards ! Le Terrien doit une nouvelle fois redécouvrir la planète Eden, qui sert désormais de nouveau berceau aux derniers représentants de l'espèce humaine. Dans ce nouveau contexte, retrouver ses compagnons d'infortune Nash Olsen et Vanessa Fulton promet d'être compliqué. Rester vivant encore plus.

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Tout en fermant les yeux, le sniper se demanda combien de temps il faudrait aux savants pour leur trouver un antidote. Il espérait quelques mois, mais somme toute, compte tenu de la taille réduite des équipes scientifiques, cela pouvait aussi prendre des années. Bah, cela durerait ce qu’il faudrait. Il ferma les yeux, tandis que la capsule se refermait, et sombra rapidement dans l’inconscience. Le réveil ne fut pas aussi radieux. Son ouïe lui revint avant la vue. Il entendait du bruit, des fracas, des cris. Pendant plusieurs minutes, cela le berçait presque, jusqu’au moment où son conscient se rendit compte de la situation. Il n’avait aucune idée de ce qui se passait, mais un tel boucan signifiait sans hésitation un danger. »
- Mon avis sur le livre -

 Généralement, lorsqu’un nouveau tome d’une saga sort après quelques mois ou années d’attente, j’aime relire le ou les opus précédents, pour ne pas être totalement perdue au moment de me replonger (enfin) dans l’univers et l’histoire : j’estime qu’il n’y a pas pire façon de se gâcher le plaisir que de passer son temps à se demander « mince, mais c’est qui en fait, celui-là ? et il s’était passé quoi avant, déjà ? » pendant au moins tout le premier tiers du récit, le temps que les souvenirs plus ou moins lointains refassent enfin surface pour nous aider à reprendre pied … Mais parfois, l’envie de découvrir la suite est bien plus forte que celle de « préparer le terrain », et alors, la simple perspective d’attendre ne serait-ce que quelques jours de plus est tout simplement insoutenable … Autant vous dire que malgré tout l’amour que je porte aux deux premiers volumes de la saga Outsphere, mon impatience a très amplement eu le dernier mot : le cliffhanger de l’épilogue du deuxième opus était tel que je ne pouvais plus attendre un instant de plus avant d’en savoir plus ! Un peu plus, et j’arrêtais même ma lecture en cours pour m’y mettre sans tarder (mais la petite voix de la raison m’a tout de même poussée à terminer cette-dite lecture en cours, qui était également un service de presse, avant de rejoindre la surface d’Eden) : tant pis si j’étais paumée, tout ce que je souhaitais, c’était savoir ce qui était arrivé !

Empoisonnés par le gaz émis par la mort d’un Ashkanien (ces extraterrestres qui ont colonisés Eden bien longtemps avant l’arrivée des humains et que tout le monde croyait disparus jusqu’au réveil inopiné de l’un d’entre eux), Bowman, Fulton et Olsen ont dû être placés en urgence dans un caisson de cryogénisation : ils seront réveillés lorsque les scientifiques auront trouvé un remède à ce mal encore inconnu. Mais lorsque Bowman sort de son sommeil artificiel et de sa capsule, il comprend immédiatement que les choses ne se sont pas passées comme prévu : en lieu et place de la base extraterrestre camouflée sur une île, dans laquelle avaient été placés les caissons, le soldat se réveille au beau milieu du désert (alors qu’Eden était une planète entièrement recouverte d’une luxuriante forêt tropicale), face à deux hommes-reptiles vêtus comme des pauvres hères du moyen-âge terrien … A son grand effroi, il découvre que plusieurs siècles ont passés depuis le moment où il est entré dans cette capsule, et que la Colonie a subi des heures bien sombres et une régression technologique inouïe, ainsi qu’une cohabitation d’abord tumultueuse puis relativement sereine avec les descendants des fameux Ashkaniens. Tandis que le poison poursuit méthodiquement son œuvre, Bowman se lance alors dans une quête désespérée : retrouver Fulton, quelque part sur cette planète devenue plus étrangère qu’elle ne l’était auparavant …

La fin du deuxième opus nous laissait entrapercevoir un changement d’ambiance pour la suite du récit … mais je ne m’attendais tout de même pas à un tel bouleversement ! C’est vraiment très audacieux, de la part de l’auteur, de faire basculer aussi brutalement sa saga dans un style totalement différent … tellement audacieux que certains lecteurs risquent d’être quelque peu rebutés par cette volte-face inattendue ! Pour ma part, par contre, je suis plutôt conquise : surprise, certes, mais agréablement. Car même s’il était passionnant de suivre ces colons de l’espace tenter de bâtir une civilisation nouvelle sur une planète pas si déserte que cela, le risque était grand de finir par tourner en rond comme un poisson dans son bocal : Rome ne s’est pas construite en un jour, et s’installer sur une exoplanète est autrement plus complexe que de bâtir une « simple » ville ! Alors bien sûr, il y a tout de même cet inévitable petit pincement au cœur lorsque l’on comprend que nous ne reverrons plus certains personnages secondaires auxquels nous avions fini par nous attacher, sans oublier cette petite pointe de frustration à l’idée de rester sur notre faim face à quelques sous-intrigues mineures dont le dénouement restera à jamais en suspense … Mais il y a ensuite cette sorte de fascination au moment de découvrir « l’avenir » de cette graine d’humanité plantée sur cette nouvelle terre, de découvrir ce qu’il est advenue de cette petite colonie naissante.

Et encore une fois, l’auteur prend à contrepieds absolument toutes les « attentes », ou du moins les suppositions, de son lectorat : en bons petits disciples du « culte du progrès technologique » que nous sommes, nous pensions que l’humanité allait poursuivre sa course effrénée vers toujours plus de découvertes et innovations. Parce que nous avons été bien formatés pour croire coute que coute que « rien n’arrête le progrès », pour dire amen à toutes les nouvelles « prouesses techniques » (parce que, comme c’est « high-tech », c’est forcément mieux, même si à notre humble point de vue, ça n’est pas aussi fabuleux que cela, mais surtout il ne faut pas le dire, au risque d’être regardé de travers pour avoir l’impudence de contester le sacro-saint progrès technologique et la divine doctrine du tout numérique) … Quelle n’est donc pas la surprise de Bowman, et donc du lecteur, de découvrir que la Colonie a régressé des armes à feu à l’arbalète, de la médecine par nano-injections à l’herboristerie et du vaisseau spatial à la charrette tirée par une bête de somme ! Le déclin a été si important que le souvenir même de ces technologies « anciennes » s’est peu à peu éteint, jusqu’à ce que ne subsiste plus que quelques bribes qui se sont rapidement transformés en mythes fondateurs plus ou moins fidèles à la réalité historique des événements …

Car ainsi que le laissait présumer le titre, il est énormément question de religions dans cet opus … Et c’est là que je suis personnellement un tantinet mitigée. D’un côté, c’est vraiment passionnant de voir comment les faits historiques lointains ont été relus, réinterprétés, pour donner naissance à des croyances : le plus flagrant est bien évidemment la doctrine des Célestes, qui attendent le retour des Endormis, et qui depuis des générations se tiennent prêts à les servir lorsqu’ils se réveilleront. C’est également plutôt intéressant, et assez juste, d’évoquer les inévitables jeux de pouvoir et d’ambition qui s’immiscent au sein des groupes religieux … Mais d’un autre côté, l’ouvrage est peut-être un peu trop orienté « anti-religieux » (même si je pense et espère que ce n’est pas volontaire de la part de l’auteur), et peut donc être très blessant par moment à l’égard des adeptes des religions « d’ici et aujourd’hui » … Disons que ça manque un tantinet de mesure, de tact, et c’est quelque peu dommage. Heureusement, cela ne gâche en rien l’intérêt et l’attractivité du récit, mais ça reste un détail qui me chagrine car l’auteur m’avait habitué à plus de délicatesse que cela. De même, je ne peux m’empêcher d’être un tantinet déçue par la fin, bien trop abrupte par rapport au reste de l’histoire, dont le rythme était étonnamment « lent » pour la saga : en quelques pages, on survole plusieurs décennies, en une sorte de « compte rendu » expéditif, et c’est une fois encore un petit peu dommage.

En bref, vous l’aurez bien compris, même si j’approuve à cinq-cents pourcent le tournant pris par la saga et que j’ai trouvé l’intrigue de cet opus particulièrement passionnante, quelques menus détails ont empêché ce tome d’être un franc coup de cœur. L’auteur sait comment surprendre agréablement son lecteur, il sait également comment le maintenir en haleine du début à la fin, comment faire progressivement monter la tension (rien de mieux qu’une bonne vieille course contre la montre … ou plutôt contre un poison, pour conserver le dynamisme d’un récit). Il a aussi cette capacité rare à analyser la nature humaine, individuelle comme collective, et à intégrer harmonieusement ce décryptage à la création de son univers : c’est cohérent, c’est réaliste, car ce n’est ni utopique ni alarmiste. Juste lucide. N’oublions pas non plus ce style si cinématographique qui lui est cher, et propre, et qui rend le tout admirablement vivant et poignant : c’est toujours un pur régal que de se laisser entrainer par cette plume vraiment unique ! Pour finir, je dirai que Guy-Roger Duvert a su tirer son épingle du jeu en parvenant à écrire un tome entier pour ce qui n’est finalement qu’une transition : on sent bien que le plus important reste encore à venir, que cet opus n’était là que pour nous préparer en douceur à la suite, qui promet d’être encore plus déconcertante … Il va vraiment être difficile d’attendre trois ans pour savoir ce qu’il nous a concocté !