Infidel : racisme et paranormal pour un album superbe

Par Universcomics @Josemaniette

Il est difficile de se faire une idée précise sur l'origine de la peur. Elle peut-être infondée et basée sur des croyances erronées, sur la méconnaissance de ce que l'on observe, mais elle peut aussi être de la terreur pure, face à des phénomènes inexpliqués et terriblement angoissants. Cette peur à tous les étages (sans jeu de mots) c'est ce qui infuse dans ce nouvel album remarquable, publié chez Urban Comics. Je dis sans jeu de mots, car l'action se situe dans un immeuble qui vient d'être le théâtre d'un attentat. En réalité ce dernier a été perpétré plus par accident, par une espèce de paumé qui tramait des idées folles dans son coin, mais vous le savez, aux États-Unis comme en Europe occidental, la matrice islamiste est régulièrement pointée du doigt, et l'héroïne de notre ouvrage qui s'appelle Aïcha risque bien entendu de faire partie de celles et ceux qui feront les frais de l'amalgame. La jeune femme est pourtant particulièrement bien insérée dans la société américaine d'aujourd'hui; elle est d'ailleurs en couple avec un américain "fort moyen", s'entend très bien avec sa petite fille, mais beaucoup moins par contre avec sa belle-mère, qui elle semble toujours avoir des réticences face aux us et coutumes qui lui sont étrangers. Inutile de botter en touche, une des raisons pour lesquelles l'histoire est aussi intéressante, c'est qu'elle met en scène un quotidien et des personnages de confession musulmane sans sombrer dans la caricature larmoyante ou dans la dénonciation stigmatisante. Tout ici semble très naturel, couler de source, y comprit au niveau des dialogues qui sonnent particulièrement justes. Au passage applaudissons donc la traduction. Mais là où l'histoire bifurque vers autre chose, là où l'inattendu surgit, c'est quand Aïcha est victime de visions cauchemardesques. Impossible de savoir au départ s'il s'agit de délires personnels ou bien vraiment de créatures infernales. Des apparitions maléfiques dans un immeuble... est-elle donc en proie à une forme de psychose, ou bien le drame récent a-t-il alimenté un tel ressentiment, de telles peurs, qu'il y a des présences qui errent sans repos dans l'édifice? La question est importante car elle vient parasiter davantage les relations entre Aïcha et la belle-mère, au point que les choses dérapent et qu'un accident se produit, à partir duquel le retour en arrière n'est plus possible.

Je ne suis pas raciste mais c'est vrai que... Ce genre de phrase, ce genre d'accroche, pour prévenir qu'on va justement dire le contraire de ce qu'on ne voudrait pas exprimer, c'est aussi une des angoisses structurantes de cet Infidel. Qui je le répète, est admirablement bien structuré, et éminemment intelligent. Une bd cauchemardesque, avec un Aaron Campbell qui met son talent au service d'un récit qui suinte de la purulence du racisme, de la peur, du ressentiment, de la vengeance. La force de l'artiste, ce sont ces plans presque photoréalistes, où des créatures horribles viennent saisir le lecteur et le faire trembler sans crier garde, apparitions soudaines et terrifiantes, parfaitement insérées et représentées, qui déchirent le réel et la monotonie d'un quotidien fait de conversations entre amis locataires, par exemple. Avant un dernier épisode en forme de fuite dans l'urgence, qui est traversé par de l'adrénaline à l'état pur. Ici pas de petite musique angoissante ou d'effets sonores en effet, Infidel se joue entre la concentration de celui qui va lire et la manière dont Pichetshote et Campbell précipitent la réalité dans l'épouvante la plus totale. Dans ces situations-là, la foi, la croyance, ne sont pas forcément des illusions ou des tares, mais ça ne suffit plus pour échapper au pire. Urban Comics propose le tout dans un très bel écrin soigné, où le récit est fort bien recontextualisé. Un comicbook horrifique et au discours social crédible et actuel, qui mérite largement de figurer parmi votre liste d'achats impérieux en cet automne-hiver bien chargé en lectures.