L'affaire Pavel Stein

Par Sebulon

L’affaire Pavel Stein – Gérald Tenenbaum

Cohen&Cohen (2021)
 

Quelques mois avant le passage à l’an 2000.
Paula Goldmann, jeune journaliste responsable de la rubrique cinéma-théâtre sur J-Médias, une chaîne thématique diffusée sur le web et sur les ondes hertziennes, se rend à la projection du dernier film de Pavel Stein,
Les Cent Vingt jours de Sodome. L’homme est écrivain, auteur de pièces de théâtre, cinéaste. Ses films parlent de la mémoire, de l’absence de ceux qui ont été exterminés pendant la deuxième guerre mondiale et il a construit son œuvre autour du vide, du manque.
Même si Paula est touchée par le film de Stein, elle est agacée par le comportement de l’homme et ne peut s’empêcher de l’attaquer verbalement par une question provocatrice. Énervée par la réplique du cinéaste, elle quitte les lieux puis ne le ménage pas dans son article. Quelques mois plus tard, elle reprend contact avec lui pour une interview. De façon inattendue, une relation amoureuse commence entre ces deux solitaires. Lorsque Pavel part au Tibet dans un monastère pour ce que Paula imagine être une retraite temporaire, un séjour pour se ressourcer, et qu’elle le rejoint pour quelques jours à son invitation, elle n’imagine pas qu’il s’agit de leur dernière rencontre. Vingt ans plus tard, elle se souvient et déroule le fil de la mémoire pour tenter de comprendre ce qui s’est passé à Lhassa.

 
Avec ce résumé, je présente une vision très partielle de ce roman.
Oui, c’est une histoire d’amour, tragique puisqu’interrompue, mais toujours présente dans l’esprit de Paula et on comprend pourquoi dans les dernières pages. Pavel Stein est malade, il s’est trouvé à Lhassa au moment où la Chine a envahi le Tibet. Il a écrit des messages à Paula pour lui raconter l’évolution de la situation mais ne les a pas envoyés. C’est un ami commun qui les ramène à Paula, alors que Pavel a disparu et que personne ne sait où il est.
Mais ce n'est pas que cela, le roman développe aussi les thèmes favoris de son personnage masculin : l’absence, le vide. Dans leurs vies personnelles, aussi bien Paula que Pavel en ont été les victimes et leur rencontre va aussi s’appuyer, de façon paradoxale, sur le vide et l’absence.
Finalement, en lisant ce livre, j’ai eu l’impression d’un tourbillon qui ramènerait sans cesse les mêmes évènements, sous des formes différentes. Ainsi, les deux héros trouvent dans le cours de leur existence l’occasion de réfléchir à ce qu’ont vécu ceux qui les ont précédés et qui ont été emportés dans la tourmente de la Shoah, même si Pavel refuse absolument ce terme pour évoquer l’extermination des Juifs. C’est par exemple ce qui se produit lorsque Pavel assiste dans son monastère à l’invasion de l’armée chinoise. Le dilemme des tibétains de Lhassa face aux assaillants et leurs choix lui évoquent la destinée des juifs du ghetto de Varsovie. C’est un passage très poignant du livre. 


 J’ai été surprise au début de ma lecture par la narration à la première personne. En effet, c’est Paula qui s’exprime, une jeune femme qui évoque des sujets très intimes. Comment un auteur masculin allait-il s’en sortir ? Mais finalement, très vite, j’ai oublié mes premières réticences et je me suis laissée porter par la narration et ses allées et venues dans le temps, au fil des souvenirs de Paula.


Je n’oublie pas que Gérald Tenenbaum est un mathématicien reconnu, il joue avec la présence des nombres au cours de son récit. Dans un premier temps, je me suis agacée de certaines phrases et puis j’ai finalement compris que l’histoire s’appuyait sur la succession des nombres premiers, en ordre décroissant à partir de 101. Je me suis alors amusée à les retrouver dans le texte, en savourant l’habileté de l’auteur à les placer dans le déroulement de l’intrigue, sans nuire à sa cohérence et à son sérieux. 


Bref, un roman que l’on doit lire et relire pour percevoir la richesse des niveaux de l’intrigue, au fil des différents récits qui s’entremêlent.


Merci aux éditions Cohen&Cohen et à Gérald Tenenbaum qui m’ont donné l’occasion de découvrir ce roman avant sa sortie en librairie prévue le 26 août.