De l'autre côté du pont. Padma VENKATRAMAN – 2020 (Dès 12 ans)

Par Vivrelivre @blandinelanza

De l'autre côté du pont

Padma VENKATRAMAN

Traduit de l'anglais (Inde) par Amadine CHAMBARON-MAILLARD
Illustration de couverture par Jennifer BRICKING

Ecole des Loisirs, juin 2020
240 pages

Dès 12 ans

Thèmes : Inde, Pauvreté, Handicap, Amitié, Entraide, Résilience

Lecture Commune avec Hilde, Agathocroustie, Inde en livres, Bidib

Appa s'en est pris une fois de plus à Amma. Une fois de trop.
Il l'a battue, mais il a aussi frappé Viji et Rukku.
Et Viji ne compte pas lui pardonner comme le fait toujours Amma, ce qu'elle ne comprend pas.

Pour sa sauvegarde et plus encore celle de sa petite sœur, elle décide de fuir.
A la nuit tombée, elles partent toutes deux. Direction Chennai (auparavant nommée Madras).
Dès leur arrivée, Viji comprend qu'il leur faudra se méfier des hommes et du monde qui les invisibilise sans les protéger.
Elle sait aussi qu'il leur faut gagner de l'argent et trouver où dormir.

Elles font la rencontre de Aunty Chaï, en l'aidant en cuisine et qui leur donne des vadai et des perles. Elles recueillent un petit chien Kutti. En se dirigeant vers un pont déserté, elles font la connaissance de Muthu et Arul, deux gamins des rues avec qui elles se lient d'amitié et qui l'appellent Akka (" Grande Sœur ").

Avec eux, pendant que Rukku fait des colliers, Viji gravit l'Himalaya, une des nombreuses montagnes d'ordures en périphérie de ville. Ils y piochent verres, métaux et chiffons. La concurrence est rude entre les bandes d'enfants qui s'invectivent, encouragée par des collecteurs sans scrupules

Le campement, de fortune, s'améliore de bric et de broc au fil des jours.
Chaque soir, Viji raconte une histoire, celle de deux sœurs qui vivent dans un palais. Une nuit, elle y intègre deux garçons.
Arul récite ses prières et tous parlent de religion sans bien en saisir le sens. Elle a un côté rassurant.
Peu à peu, chacun s'ouvre et révèle en quelques mots son histoire, son passé, triste, terrible.

Mais les vêtements s'alourdissent de crasse, les odeurs se font plus prégnantes, des défiances apparaissent, la nourriture se trouve ici ou là, l'argent se fait rare. Arul et Viji s'opposent sur sa gestion. Le premier vit au jour le jour, quand la deuxième essaie de se projeter. Elle n'oublie pas son rêve de devenir enseignante.

J'ai déjà bien assez de quoi m'inquiéter chaque jour. Pourquoi me soucier de demain ?

Extérieure à cela, Rukku s'épanouit.
Encouragée par les garçons, Viji la laisse davantage s'exprimer, dans ses mots, plus nombreux, dans ses gestes, plus affinés. Son corps se redresse. Elle est plus joyeuse, déterminée. Son innocence permet au groupe de tenir et d'être soudé.

Même lorsqu'ils sont obligés de fuir le camp par une nuit sombre, même lorsque la mousson s'abat et que les moustiques les assaillent, surtout Rukku et Muthu. Même lorsque Viji décide d'aller voir la femme vue à l'église tant la situation est devenue critique.

Tu étais un peu comme une magicienne, à pouvoir prolonger les minutes chaque fois qu'on le désirait, de sorte qu'un moment dure encore et encore, et que la saveur d'une moitié d'orange nous reste en bouche indéfiniment.

De l'autre côté du pont est un roman aussi poignant que lumineux servi par un titre polysémique et une magnifique couverture.
Il est une longue lettre que Viji écrit à Rukku pour revenir sur ce qu'elles ont vécu et les différents questionnements et choix qu'elle a eus et dû prendre.
Ainsi rédigé à la première personne, nous sommes au plus près de ce qu'elle ressent, décrit et vit, entre innocence et responsabilité, peurs, joies et doutes.

Ses thèmes sont aussi nombreux que forts pour nous offrir une leçon de vie et d'humanité, un récit poignant de résilience.
Résolument positif, il n'édulcore pas les difficultés rencontrées par ces enfants, leurs passés douloureux (violences familiales, maisons dites d'éducation), la pauvreté et ce qu'elle entraîne (indifférence, défiance, dignité, maladies), mais aussi les différentes religions existant en Inde et le multiculturalisme.
Le récit est plein de couleurs, d'odeurs et de saveurs.
D'une simple orange à différents plats typiques (vadai, pakoras, thé chaï, murrukus, gulab jamum, laddu), de tissus et motifs (kurtas, pavadais et kolams)

J'ai été très émue par les épreuves rencontrées par ces enfants et le cheminement personnel et introspectif de Viji.

Voilà pourquoi j'emploie toute mon âme à vivre, Rukku. Pour aller de l'avant, ton rire en mémoire. Pour t'aimer sans vivre au passé, mais au présent. Parce que se tourner vers l'avenir ne signifie pas t'abandonner. Ça, je l'ai enfin compris.

Je ne peux que vous encourager à découvrir ce roman à votre tour, que j'ai découvert grâce à Jojo en Herbe.
Il se referme sur une postface de l'autrice qui nous dévoile quelques éléments de sa vie, la genèse de ce roman et le sort des enfants des rues en Inde, une réalité terrible et cruelle encore si actuelle. ( CLIC)

Le travail des enfants dans les décharges m'a renvoyée au même qu'effectuent ceux issus des favelas en Amérique Latine, et dont je vous ai parlé dans: