Là-haut vers le nord de Joseph Boyden

Par Krolfranca

Là-haut vers le Nord, Joseph Boyden, Traduit de l’anglais (Canada) par Hugues Leroy, Albin Michel, 2008, 316 pages

« C’est marrant, les transformations du corps quand on se met à boire. On a beau ne rien manger, pour économiser de quoi se payer sa bouteille, le bide pousse et les joues tombent. »

J’ai eu la main heureuse pour ma participation à Mai en nouvelles ! Ce recueil d’un auteur que je viens juste de découvrir m’a complètement séduite.

Joseph Boyden est la voix des Indiens. La plongée au sein des réserves Cree du Canada ne se fait pas sans douleur. Délinquance, drogue, alcoolisme, misère, le quotidien des hommes et des femmes n’est pas joyeux et pourtant l’auteur arrive à nous attendrir, à nous émouvoir, à glisser quelques sourires au milieu de nos larmes de rage.

Bien sûr, ce que les représentants de la religion catholique ont fait dans les pensionnats est abordé, notamment (mais pas seulement) à travers une nouvelle remarquable, Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire, à la fois tragique et comique. Lorsque le narrateur joue de son tambour dans l’église, le lecteur frémit de tout son être et communie avec les Indiens dans une célébration funèbre extraordinaire. L’écriture magique de cet auteur nous immerge totalement dans un monde pourtant très éloigné du nôtre de telle manière que nous avons l’impression de participer, nous sommes au milieu des Indiens, nous sommes Indiens.

Terribles sont certaines phrases qui font écho à celles déjà lues ou à celles entendues dans le documentaire cité plus bas :

« Sam a le même rêve récurrent que moi. Il me l’a dit un jour. Les marches qui grincent dans la nuit quand le père McKinley monte au dortoir, mes yeux écarquillés de peur qu’il ne me choisisse encore cette nuit. »

Parfois les nouvelles se répondent les unes aux autres, d’ailleurs celles de la dernière partie qui évoquent les membres d’une même famille, forment comme un petit roman. D’un même événement, l’auteur nous propose des approches différentes. Le croisement des regards donne de l’ampleur au message.

La Légende de la Fille Sucre montre de quelle manière les indiens ont été pervertis par la colonisation.

« Les Blancs ont apporté bien des choses aux Indiens. Les fusils, les moteurs hors-bord. La télévision. Le café. Le Kentucky Fried Chicken. Le hockey sur glace. Les jeans extra large, les casquettes de base-ball. Le rock’n roll, la cocaïne. Mais il y a un présent dont on ne parle jamais. »

Certaines paroles, comme celles de Sœur Jane sont tellement justes qu’on ne peut que les adopter :

« N’oubliez pas, Père Jimmy, qu’il n’y a pas si longtemps, ce peuple vivait en autosuffisance. Les jeunes d’ici sont écartelés entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore là ; entre tout ce qui fait leur identité de peuple et tout ce que nous leur demandons de devenir. »

Entre la femme qui tombe amoureuse d’un loup et l’homme qui se transforme en ours ou en corneille, entre celle qui tire les boules du bingo et le groupe féminin punk qui se reforme, l’auteur parvient à croiser spiritualité des traditions ancestrales et réalisme d’un quotidien difficile dans les réserves mais où l’espoir est permis.

Et parfois une lumière, une bouffée d’air, un petit garçon rêve de devenir catcheur et son regard innocent illumine tout à coup ce sombre tableau.

Ce recueil de nouvelles fait écho à l’excellent documentaire Tuer l’indien dans le cœur de l’enfant diffusé sur Arte et participe à mettre en lumière ces peuples malmenés.

Un vrai beau coup de cœur.

Une lecture supplémentaire dans le cadre du challenge d’Electra et Marie-Claude