Nickel Boys. Colson WHITEHEAD - 2020

Par Vivrelivre @blandinelanza

Nickel Boys

Colson WHITEHEAD

Editions Albin Michel, août 2020
272 pages

Thèmes : Etats-Unis, Ségrégation, Histoire, Racisme, Justice

En 2014, Colson Whitehead apprend l'atroce découverte autour de la Dozier School for Boys, à Marianna, en Floride. Dans cette maison de correction fondée en 1900 étaient envoyés des garçons Blancs et Noirs suite à des crimes graves, des délits mineurs ou " simplement " par manque de famille.
Fermée en 2011, de terribles révélations et trouvailles ont surgi : maltraitances diverses, tortures en tout genre, affluence de nombreux témoignages d'anciens pensionnaires et mise à jour de dépouilles non déclarées.

Explorant dans son œuvre littéraire la condition passée et actuelle des Noirs aux Etats-Unis dans une société toujours en quête de vérité, justice et réparation, Colson Whitehead s'est servi de cette terrible découverte pour construire son récit.

Tallahassee, Floride, au cœur des années 1960.

Elwood Curtis est un jeune garçon Noir maigre et portant des lunettes qu'il craint toujours de casser.
Abandonné par ses mère et père, il est élevé rigoureusement par sa grand-mère maternelle Harriet, qui lui a offert un disque du Révérend King, dont les paroles guident le jeune homme.
Honnête, intelligent, travailleur, et accepté à l'université, il est envoyé à la Nickel Academy suite à un terrible malentendu. Le roman ne s'attarde pas sur le procès, bâclé, mais s'attache à nous décrire ce qui, désormais, fait la vie d'Elwood.
Où, comment, et avec qui.

Dirigée par le Directeur général Hardee, secondé par Maynard Spencer, un homme d'une soixantaine d'années aux cheveux noirs coupés en brosse, la Nickel Academy jouit d'un vaste terrain arboré et agricole sur lequel les Blancs et Noirs cohabitent ensemble mais séparés.
Avec un côté Noir plus dégradé.
Comme toujours.
Comme dans le monde " libre ".
Entre les deux campus, un petit bâtiment rectangulaire qui semble montrer les limites de chacun. Les Blancs l'appellent le Marchand de Glaces, les Noirs, la Maison-Blanche.

Nous sont ainsi décrits la répartition des garçons selon quatre niveaux (Asticots - Explorateurs - Pionniers et As), et les quatre façons de pouvoir sortir de Nickel ; les différents travaux réalisés par les pensionnaires sur le campus (il s'y trouve une imprimerie grâce à laquelle Nickel gagne beaucoup d'argent) mais aussi les travaux en-dehors pour le compte de particuliers Blancs attachés à Nickel par toutes sortes de liens ; les privations alimentaires, d'hygiène, d'instruction (Nickel se revendique comme étant une école et reçoit des subventions pour cela!); les attitudes à adopter en présence des différents surveillants aux comportements cruels; les corrections, humiliations et supplices en cas de manquements au Règlement que personne n'a jamais vu mais que tous se doivent de connaître et qui tiennent les garçons par la peur, les délations possibles et l'imagination (l'Allée des Amoureux, les cellules, le Fond, l'horrible bruit...) ; les différents moments qui rythment la vie de l'école et l'année (les Festivités de Noël illuminées et qui engrangent de généreuses donations; le match de boxe annuel, Blanc contre Noir); les trafics et détournements dont l'administration profite pleinement; les multiples rapports entre les garçons eux-mêmes faits d'amitié, de rivalités, de pouvoirs, de manipulations, reproduisant ce qu'ils ont vécu et vivent...

Elwood se lie très vite d'amitié avec Turner (un garçon récidiviste, dans sa bulle), Desmond (une voix rauque et très basse qui dénote avec son visage poupin) et Jaimie, un garçon mexicain, trop Noir ou trop Blanc (ou pas assez l'un, pas assez l'autre) et qui change sans cesse de campus.

Epris de justice, loyal, observateur et solide, Elwood va vite se trouver confronté à de nombreux dilemmes, qui lui vaudront de cruelles désillusions et souffrances.

Colson Whitehead a construit son roman en trois temps, de longueur inégale.
Il débute à notre époque avec la découverte d'un cimetière illégal sur le terrain de l'Ecole, fermée trois auparavant. Des questions se bousculent, des témoignages uniquement de Blancs émergent (et ceux des Noirs ?), des rencontres entre anciens "pensionnaires" avec pèlerinages s'organisent... A New-York, un homme s'interroge sur ce besoin de remuer le passé, de revenir en ces lieux honnis, à cette emprise du passé sur le présent...
Nous le retrouvons dans la dernière partie, en 2014, qui répond à ses (propres) questions, pour faire lien et œuvre de résilience. Ce sont des passage très forts et percutants.

Lors de ma première lecture, en septembre, à la sortie du roman, j'avais été déçue. Je ne retrouvais pas le souffle, l'envolée littéraire et visuelle ressentis avec Underground Railroad (et que je retrouve en écrivant ces quelques mots).
Peut-être avais-je trop attendu de ce roman-ci, et cette déception me faisait culpabiliser, car Nickel Boys décrit des choses atroces qui se sont réellement passées, qui perdurent et résonnent toujours dans les individus, familles et société actuelles, de manière tangible ou plus subtile, voire inconsciente.
Et Colson Whitehead nous le décrit très bien dans sa dernière partie. Ainsi fait-il œuvre de réhabilitation et acte de mémoire.
Au-delà, il écrit sur tous ces traumatismes de l'enfance et de la jeunesse qui conditionnent la vie adulte, l'enfermant dans des impossibles.

Je n'étais pas la seule à ressentir cela. Je me souviens que ce roman avait beaucoup fait parler de lui, non pas à cause de son sujet (qualifié de redondant suite à Underground Railroad - mais n'y a-t-il pas encore tant à dire? Je doute qu'un tel sujet puisse être clos), ni pour la qualité de son écriture, mais parce que son auteur avait reçu, à nouveau et coup sur coup, le Prix Pulitzer...

Je savais que je relirai ce roman (d'autant que j'aime relire les livres qui m'ont marquée ou pour lesquels j'ai le sentiment d'être passée à côté, souvent car ce n'était pas le bon moment). Dans le premier tiers de ma relecture, j'ai retrouvé cette distance qui m'avait tant décontenancée alors même que ce que les mots décrivaient me touchaient. C'est certainement dû au choix des mots de l'auteur, tout en tension latente mais surtout en retenue.
Cette deuxième fois, j'ai le sentiment d'avoir lu le roman moins vite, et d'avoir été plus attentive aux détails et subtilités. Je savais ce qui allait advenir, cela y contribue sûrement.
Et pourtant, j'ai relu des passages entiers que j'avais totalement oubliés.
La fin est particulièrement bien construite, amenant une révélation qui apporte beaucoup au récit, l'éclairant même d'une autre manière.

Pour conclure, j'ai aimé ce roman grâce à cette relecture qui m'a permis d'être touchée (et plus j'y pense et plus je le suis), sans (et je le regrette) être bouleversée.
Parce qu'il s'inspire de faits et de souffrances réels et toujours actuels, je pense qu'il faut le lire.

Ce roman participe à l'African American History Monthd'Enna ainsi qu'à son "Petit Bac 2021 " d'Enna, pour ma 2e ligne, catégorie Être humain.

Découvrez aussi l'avis d'Enna qui l'a lu en audio - CLIC - qui a eu les mêmes ressentis que moi.

Pour aller plus loin:

Belles lectures et découvertes !

Blandine.