Que sur toi se lamente le Tigre d’Emilienne Malfatto

Par Lettres&caractères

Encore en vie et pourtant déjà morte. Celle par qui le déshonneur est arrivé n’en a plus que pour quelques jours. Dès les premières lignes on connait les détails du crime commis et la sentence prononcée. Il n’y aucune surprise, aucune fin heureuse à espérer, elle va mourir, elle le sait et l’accepte.

Que sur toi se lamente le Tigre d’Emilienne Malfatto (éditions Elyzad)

Elle sait même par la main de qui elle passera de vie à trépas. Son frère, son propre frère a été désigné pour rétablir l’honneur des siens. Mieux vaut une fille morte qu’une fille-mère a-t-on coutume de dire. C’est ainsi que l’on voit les choses au fin fond de l’Irak. Aucune place pour les sentiments, pas plus que pour les souvenirs, cette fille n’a jamais existé, à peine enterrée tout le monde aura oublié jusqu’à son nom.

Je pourrais tout vous dire de ce livre que je n’en supprimerais pas l’intérêt de le lire. Parce qu’il y a le fond, l’inéluctable que l’on connaît déjà et parce qu’il y a la forme qui alterne points de vue des protagonistes et passages de l’épopée de Gilgamesh. Tout ceci est douloureusement beau.

Même si les membres de la famille affichent une unité de façade, chacun vit différemment la situation. De leurs rapports à la famille, de leurs croyances et convictions profondes, de l’amour ou du dégoût que leur inspire la jeune femme va naître l’envie de la voir vivre ou mourir. Mais qu’importe au fond puisque même les plus tolérants et les plus progressistes ne s’élèveront pas contre ces traditions archaïques. L’honneur et l’intérêt supérieur de la famille avant tout.

Comment voulez-vous sortir de ce livre sans être bouffi de colère ? Le fanatisme religieux suinte de chaque mot et de chaque ligne de ce si court roman. Il aurait été bien inutile de chercher à en dire plus, cela va déjà bien au-delà de ce qu’il est possible de supporter alors même que le voyeurisme est laissé sur le pas de la porte puisque de l’exécution en elle-même on ne saura rien.

Je suis le frère, celui par qui la mort arrive. […]
Je suis l’assassin. Je vais tuer tout à l’heure et je l’ignore encore. Que ferais-je si je le savais ? Ferais-je demi-tour dans l’allée poussiéreuse ? Je vais tuer tout à l’heure et je penserai que je n’ai pas le choix. Sa vie ou notre honneur à tous. Ce n’est pas moi qui tuerai, mais la rue, le quartier, la ville. Le pays.

En réalité, Emilienne Malfatto nous invite à partager les derniers jours d’une condamnée comme Victor Hugo l’avait fait avant elle. Chez Hugo on ignorait également le nom du condamné ainsi que le crime qui l’avait mené dans le couloir de la mort. Ici on sait pourquoi cette jeune femme va mourir demain. Pour la chose la plus belle et la plus naturelle au monde : aimer. Alors forcément c’est avec rage que le lecteur va l’accompagner jusqu’à la potence.

Ce roman fait écho à une nouvelle de Karine Giebel que j’ai découvert récemment en audio. Si vous le pouvez, lisez Sentence du recueil de nouvelles Chambres noires. C’est également un très beau texte sur ce sujet si douloureux.


L’ESSENTIEL

Couverture de Que sur toi se lamente le Tigre d’Emilienne Malfatto

Que sur toi se lamente le Tigre
Emilienne Malfatto
Editions Elyzad
Sorti en GF le 03/09/2020
80 pages

Genre : roman de société
Personnages : elle, Mohammed son amant, sa mère, ses frères Amir; Ali et Hassan, sa belle-soeur Baneen,  sa soeur Layla
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : la nouvelle Sentence du recueil Chambres noires de Karine Giebel, Antonia de Gabriella Zalapi, 19 femmes de Samar Yazbek,

RESUME DE L’EDITEUR

Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connaît bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Que sur toi se lamente le Tigre

  1. Parce que la force d’un roman ne se mesure pas à son nombre de pages
  2. Parce que le sujet n’est pas sans rappeler les tragédies grecques
  3. Parce que c’est à ça aussi que sert la littérature : dénoncer et faire avancer la société

3 raisons de ne pas lire  Que sur toi se lamente le Tigre

Je ne vois aucune raison qui puisse vous éloigner de ce texte. Lisez-le. Vraiment.

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