Le fabuleux destin de Michel Magne

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Les amants d’Hérouville (Yann Le Quellec – Romain Ronzeau – Editions Delcourt)

Juin 1970. Marie-Claude, une jeune fille de 16 ans, fait du stop sur une route de campagne. Le conducteur d’une rutilante Porsche blanche s’arrête à sa hauteur. « Vous allez où? », lui demande-t-il. « A Katmandou », lui répond-elle. A ce moment-là, elle ne sait pas encore qu’elle vient de rencontrer l’homme de sa vie. Un être hors normes, avec qui elle va partager des moments inoubliables faits d’euphorie et de joie absolue, mais aussi des véritables tragédies. Cet homme, c’est Michel Magne. Musicien touche-à-tout, il vient alors de perdre la totalité des bandes originales de ses œuvres, parmi lesquelles des concertos pour piano, pour violon, des suites d’orchestre, toutes les compositions de sa jeunesse… Elles ont été détruites de manière irrécupérable quelques mois plus tôt dans l’incendie criminel d’une aile de son château à Hérouville. Son mariage aussi est parti en fumée. Deux ans plus tôt, sa femme Monique en a eu assez des frasques de son mari et elle l’a abandonné dans son château avec ses deux enfants, Magali et Marin, respectivement huit et cinq ans. Mais Michel Magne n’est pas du genre à se laisser abattre. Au lieu de s’apitoyer sur les cendres de ses bandes son, il décide de repartir de zéro et de profiter de ce contretemps pour transformer le château d’Hérouville en un studio d’enregistrement dernier cri. Il a le projet un peu fou de faire de ce petit village dans le Val d’Oise une capitale internationale de la production musicale, grâce à du matériel haut de gamme et une acoustique parfaite. Et pour attirer les artistes dans son studio, il sort en permanence le grand jeu, en multipliant les fêtes et en accueillant ses invités avec des bons plats et des grands vins. Du coup, la fête est permanente à Hérouville. Et tout le monde en profite, que ce soient les stars de passage ou les gens du coin. Marie-Claude, engagée par Michel Magne comme baby-sitter de ses enfants, s’en rend compte dès le premier soir. Alors que la fête bat son plein, Michel montre ses talents d’équilibriste en grimpant sur une montagne de chaises, puis se jette tout habillé dans la piscine. Au fil des jours, Michel et Marie-Claude se rapprochent de plus en plus. Malgré leur différence d’âge, ils finissent par devenir mari et femme. Pendant quelques années, leur château devient la maison du bonheur pour les plus grands artistes de l’époque, de David Bowie à Elton John en passant par Pink Floyd ou Johnny Hallyday. Hélas, si Michel Magne est le roi de la fête, ce n’est pas le roi de la gestion. Et les déboires financiers ne tardent pas à s’accumuler…

Il faut bien l’avouer: le compositeur Michel Magne est un peu tombé dans l’oubli depuis sa disparition en 1984. Il a pourtant mené une vie riche et flamboyante pendant trois décennies, en touchant à plein de domaines musicaux différents et en collaborant avec les plus grands noms de l’époque. Précurseur de la musique électronique au début des années 50, complice de Françoise Sagan et Juliette Gréco dans les années suivantes, compositeur de la musique de dizaines de films dans les années 60, parmi lesquels la série des « Angélique » et des « Fantômas » mais aussi « Un singe en hiver » et « Les tontons flingueurs », Michel Magne a certainement été l’un des musiciens français les plus inventifs de la seconde moitié du vingtième siècle. C’est en tout cas ce qu’on (re)découvre dans la BD « Les amants d’Hérouville », qui s’appuie sur un énorme travail de recherche et de documentation effectué par Yann Le Quellec et Romain Ronzeau. Après être tombés sur un vieil article du magazine Rock & Folk relatant un incroyable concert improvisé par les Grateful Dead au château d’Hérouville, durant lequel même les pompiers, les gendarmes et les habitants du village se sont retrouvés tout habillés dans la piscine après avoir dansé et chanté toute la nuit, le scénariste et le dessinateur décident de s’intéresser de plus près à la vie de ce Michel Magne. Ils rencontrent notamment sa veuve Marie-Claude, ainsi que son cuisinier poète Serge Moreau, qui l’aident à mieux cerner la personnalité de ce drôle de lascar. Au final, cela donne un livre extrêmement dense de plus de 260 pages, qui est innovant au niveau de sa forme puisqu’il mélange la bande dessinée classique avec des photos d’époque et des parties plus documentaires sur les années ayant précédé la rencontre entre Michel et Marie-Claude. Pour le reste, la BD se focalise surtout sur les années 70, en redonnant vie à cette époque de folie douce où les fêtes gigantesques s’enchaînaient sans trop se soucier du lendemain. Parmi les albums mythiques qui ont été enregistrés à Hérouville, citons notamment « Honky Château » d’Elton John, « Obscured by clouds » de Pink Floyd ou « Saturday night fever » des Bee Gees. Excusez du peu! Un parcours aussi impressionnant méritait bien une biographie dessinée. Seul bémol: Yann Le Quellec et Romain Ronzeau ont sans doute voulu mettre un peu trop d’ingrédients dans leur livre. Mais il est évident que cette BD plaira à coup sûr aux amateurs de musique des « seventies ». Détail émouvant: l’album se clôture sur des photos actuelles du château d’Hérouville. L’endroit est délabré et envahi par les mauvaises herbes. Seul le piano de Michel Magne a survécu au temps qui passe et trône toujours fièrement dans le studio. Tout un symbole!