Laisse folie courir, de Gerda Cadostin

Par Deslivresetlesmots @delivrezlesmots

Laisse folie courir, de Gerda Cadostin, Mémoire d’encrier, 2020, 230 pages.

L’histoire

Écriture du corps. Humour corrosif. Narration nouvelle. Mémoire ancrée dans l’imaginaire créole. Gerda Cadostin campe avec brio une galerie de personnages hauts en couleur : la vieille Sang Cochon, le clan des Estimé, les Esprits du vaudou, les pères invisibles, et les sœurs jumelles, Joséphine et Aline, qui prennent pour époux le même homme. Laisse folie courir fait entendre les crépitements et odeurs du pays d’enfance. Ces visages et univers singuliers sont servis par une langue belle et audacieuse.

Note : 5 sur 5.

Mon humble avis

Merci à Babelio et Mémoire d’encrier pour l’envoi de cet ouvrage en échange d’une chronique honnête.

Laisse folie courir est un roman particulier comme j’en lis très rarement et je suis ravie de l’avoir eu entre mes mains. La plume de l’autrice n’a rien de banale, c’est très surprenant quand on commence la lecture mais c’est d’autant plus intéressant que ça m’a forcé à prendre le temps de lire et de comprendre ce que nous conte l’autrice. De plus, l’écriture est imprégnée de créole, dont je ne suis pas du tout familière, mais aussi d’imagerie et de poésie, ce qui demande à être apprécié. On a envie de prendre le temps de rentrer dans cette langue et dans ces histoires de femmes.

Ce roman reprend le topos de l’aïeule qui conte l’histoire de sa famille à la nouvelle génération, ici Gerda, et en particulier celle des femmes de la famille. En effet ces dernières ont eu une importance non négligeable dans la vie du village, et des aventures presque invraisemblables : des sœurs jumelles qui prennent le même homme pour époux, une femme qui revient d’entre les morts, des naissances surprenantes. Une des forces du roman est de transmettre la voix des femmes justement, l’entraide dont elles font preuve et la communauté qu’elles créaient et entretiennent.

N’empêche que ces intellectuels jettent des coups d’œil débridés sur nos jeunes paysannes bien fournies. Ils ne voient qu’un trou dans leur chair. Ils tenteraient bien un bonjour-collé-fourré-adieu pour grossir la plus grande confrérie haïtienne, celle des pères invisibles.
– Qu’ils aillent foutre leurs graines dans une niche de fourmis hein. Par bonheur hein, toutes nos filles ne se laissent pas avoir, conclut ma tante Da.
p. 56

La narration imbrique les histoires les unes dans les autres jusqu’à ce qu’on ait une vue globale sur la famille étendue et l’arbre généalogique de Gerda. Cette dernière n’est pas en reste d’ailleurs, et a non seulement des questions pour Sang Cochon, mais aussi des récits à elle qu’elle transmet en retour. Tous ces récits sont emprunts de ces fameux pères invisibles et des Esprits du vaudou qui font partie intégrante de la vie de ces personnages.

Bien loin de Haïti, les diasporas ont encore besoin de protection. Tout événement mal vécu ressuscite une panique intérieure. Leur vie entre diasporas amène convivialité, mais aussi méfiance. Doute après une parole, un mot, une phrase, un geste. Les diasporas cherchent des sens aux mots, à se brouiller les méninges. Parole rapportée, analysée, réinventée. Enfin, cette parole démantibulée est revenue aux oreilles du premier émetteur. Le voici en colère, parti s’expliquer avec son interlocuteur. Sans compter les mécontentements des émetteurs et interlocuteurs intermédiaires.
Rumeurs
Accrochage
Carambolage
Ravage
p. 216

Laisse folie courir était une superbe découverte et un premier roman pour Gerda Cadostin. Je serai très curieuse de voir les autres œuvres de l’autrice dans le futur !