Dites-leur que je suis un homme d’Ernest J.Gaines

Par Krolfranca
Dites-leur que je suis un homme

Ernest J. Gaines

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michelle Herpe-Voslinsky

Éditions Liana Levi

1994

300 pages

Je referme ce roman, bouleversée.

Dans les années 40 en Louisiane, Jefferson, un jeune homme noir illettré est accusé d'avoir assassiné un Blanc. L'avocat de la défense commis d'office tente de clamer son innocence mais en désespoir de cause, ose dire, que même s'il était coupable : " Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice, messieurs ? Enfin, autant placé un porc sur la chaise électrique ! " Jefferson est condamné à mort, par électrocution.

Un porc, voilà ce que Jefferson pense être, voilà ce qui le coupe du monde, des autres, il n'est pas un homme, il est un porc. Le narrateur, un instituteur, va avoir pour mission de redonner à cet homme sa dignité, et le chemin ne sera pas droit et rectiligne mais semé d'embûches, parce que la confiance en soi ne peut être rétablie d'un coup de baguette magique.

L'originalité de ce roman réside dans le fait que l'auteur ne centre pas son récit sur le condamné à mort mais bien sur l'instituteur, un homme pétri de complexité et de contradictions, loin du héros traditionnel, il ne se sent pas la force, la capacité d'aider Jefferson, et pourtant il va tenter de mener à bien sa mission. Le révérend Ambrose souhaite que Dieu sauve cet homme. La religion au secours de l'homme humilié. Mourir en se mettant à genoux devant Dieu ou mourir debout comme un homme ? Qui va apprivoiser Jefferson ? L'instituteur athée ou le révérend ? Il faut lire ce roman pour le savoir.

L'auteur dénonce, bien entendu, la ségrégation raciale, l'injustice à travers une écriture d'une simplicité qui pourrait rebuter les puristes, les lecteurs friands de belles phrases, mais c'est aussi cette simplicité qui fait de ce texte un grand roman. Il m'a touchée pour son parti pris de ne jamais entrer dans la tête de Jefferson. On sent et ressent tout ce que pense et vit Grant, l'instituteur, et ce point de vue nous permet de vivre l'injustice de cette situation, sûrement mieux que si l'auteur avait focalisé sa narration sur le condamné à mort.

Parce qu'un homme noir était au mauvais endroit au mauvais moment, il va perdre la vie. Et plus on avance vers l'issue, plus l'émotion affleure au gré des mots pour n'être plus que détresse. Et l'on termine, essoré !

" Tu sais ce que c'est qu'un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les Blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c'est un mythe. La dernière chose qu'ils veulent voir, c'est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n'auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu'aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l'abri. Ils sont à l'abri avec moi. Ils sont à l'abri avec le révérend Ambrose. Je ne veux plus qu'ils se sentent à l'abri avec toi. "