Je sais pourquoi l’oiseau chante en cage, de Maya Angelou

Par Deslivresetlesmots @delivrezlesmots

I Know Why the Caged Bird Sings, de Maya Angelou, Ballantine Books, 2015 (publication originale : 1969), 289 pages.

L’histoire

Dans ce récit, considéré aujourd’hui comme un classique de la littérature américaine, Maya Angelou relate son parcours hors du commun, ses débuts d’écrivaine et de militante dans l’Amérique des années 1960 marquée par le racisme anti-Noir, ses combats, ses amours. Son témoignage, dénué de la moindre complaisance, révèle une personnalité exemplaire. À la lire, on mesure – mieux encore – le chemin parcouru par la société américaine en moins d’un demi-siècle…

Note : 5 sur 5.

Mon humble avis

TW : viol, mention de lynchage et meurtres racistes, racisme, pédocriminalité, sexe, maltraitance d’enfants.

Cela faisait longtemps que je voulais découvrir les écrits de Maya Angelou, qu’il s’agisse de sa poésie ou de ses autobiographies. Et Je sais pourquoi l’oiseau chante en cage, le premier de ses récits autobiographiques, semblait être une très bonne porte d’entrée.

Whitefolks couldn’t be people because their feet were too small, their skin too white and see-throughy, and they didn’t walk on the balls of their feet the way people did – they walked on their heels like horses.
p. 26

On y suit la vie et l’évolution de Maya de ses trois ans à ses dix-sept ans, mais le présenter ainsi ne présume en rien de toutes les aventures, positives et négatives, qu’elle a pu connaître et vivre en si peu d’années. Comme on peut le supposer, la grande majorité du récit tourne autour des relations familiales de Maya : des personnes qui l’entourent, l’éduquent ou l’accompagnent (pour le meilleur comme pour le pire) et là encore tout n’est pas simple. Tout commence dans l’Arkansas, dans le Sud des États-Unis dans les années 30, et la vie pour une petite fille noire à l’époque est loin d’être un long fleuve tranquille. Heureusement, sa famille a une position plutôt stable et confortable financièrement puisque sa grand-mère tient un magasin. Cela ne signifie pas pour autant que les Johnson vivent dans l’opulence, et le fait que la grand-mère soit très religieuse et pieuse a une place importante dans l’éducation qu’elle donne aux enfants : il s’agit de rester respectueux et humble devant Dieu à chaque instant, peu importe leur jeune âge.

Although there was always great generosity in the Negro neighborhood, it was indulged on pain and sacrifice. Whatever was given by Black people to other Blacks was most probably needed as desperately by the donor as by the receiver. A fact which made the giving or receiving a rich exchange.
p. 49

Maya est très proche de son frère Bailey et ça fait chaud au cœur de lire à quel point iels se protègent l’un l’autre, ce qu’iels partagent ensemble et la rapidité avec laquelle iels peuvent remarquer que quelque chose ne va pas. Tous deux partagent un grand amour pour la littérature, et cette dernière a une place particulièrement importante dans le récit. À travers les livres que lit Maya bien sûr, mais aussi dans les échos qu’elle trouve et les comparaisons qu’elle fait entre sa vie et celles d’héroïnes ou de héros des romans qu’elle dévore.

Malheureusement, on voit aussi à quel point le racisme est ancré dans la société et à quel point les personnes noires l’intègrent : alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, Maya se considère laide à cause de sa couleur de peau et de ses cheveux nappy ou crépus. Elle pense même que cela n’est qu’un mauvais rêve et qu’un jour elle se réveillera blanche aux yeux bleus et longs cheveux blonds et alors tout le monde sera en admiration devant sa beauté. Ce qui n’est pas sans rappeler L’œil le plus bleu de Toni Morrison, écrit une année après Je sais pourquoi l’oiseau chante en cage.

Wouldn’t they be surprised, when one day I woke out of my black ugly dream, and my real hair, which was long and blond, would take the place of the kinky mass that Momma wouldn’t let me straighten? My light-blue eyes were going to hypnotyze them, after all the things they said about “my daddy must of been Chinaman” (I thought they meant made out of china, like a cup) because my eyes were so small and squinty. Then they would understand why I had never picked up a Southern accent, or spoke the common slang, and why I had to be forced to eat pigs’ tails and snouts. Because I was really white and because a cruel fairy stepmother, who was understandably jealous of my beauty, had turned me into a too-big Negro girl, with nappy black hair, broad feet and a space between her teeth that would hold a number-two pencil.”
pp. 2-3

On voit aussi tout le long du roman la différence de comportement et de traitement des personnes selon leur classe, et les différences entre le Nord et le Sud des États-Unis notamment. Maya et son frère découvrent ainsi un tout autre monde quand iels partent vivre chez leur père ou leur mère qui vivent séparément mais tou⋅te⋅s deux dans le Nord.

Malgré les nombreux traumatismes et dangers auxquels Maya est amenée à faire face, elle devient une adolescente endurcie qui refuse d’abandonner tant qu’elle n’a pas fait de son mieux pour obtenir ce qu’elle veut. Elle parvient ainsi à devenir la première femme noire (tandis qu’elle n’a que quinze ans) conductrice de cable cars à San Francisco.

Elle est une adolescente curieuse de tout qui adore apprendre de nouvelles choses, et pourtant on découvre à quel point elle ignore tout ce qui touche à la puberté et à la sexualité : tandis que son corps change et grandit, elle est persuadée que quelque chose de terrible est en train de lui arriver ou qu’elle a fait quelque chose de mal. Jusqu’à ce qu’elle se confie à sa mère et que cette dernière lui explique que c’est tout à fait normal. Mais cette ignorance persiste dans d’autres domaines comme l’existence de maladies sexuellement transmissible, comment on tombe enceinte ou encore à quoi correspond le fait d’être lesbienne.

The Well of Loneliness was my introduction to lesbianism and what I thought of as pornography. For months the book was both a treat and a threat. It allowed me to see a little of the mysterious world of the pervert. It stimulated my libido and I told myself that it was educational because it informed me of the difficulties in the secret world of the pervert. I was certain that I didn’t know any perverts. Of course I ruled out the jolly sissies who sometimes stayed at our house and cooked whopping eight-course dinners while the perspiration made paths down their made-up faces. Since everyone accepted them, and more particularly since they accepted themselves, I knew that their laughter was real and that their lives were cheerful comedies, interrupted only by costume changes and freshening of make-up.
p. 273

Le tout est écrit avec une très belle plume, parfois utilisée pour décrire les choses crûment telle qu’elles sont sans tergiverser, et parfois pour expliquer avec beaucoup de poésie ce qui se passe dans la tête de Maya et autour d’elle.

[Alors qu’iels écoutent le commentaire d’un match de box en live à la radio, entre un homme blanc et un homme noir et que ce dernier semble perdre le match] My race groaned. It was our people falling. It was another lynching, yet another Black man hanging on a tree. One more woman ambushed and raped. A Black boy whipped and maimed. It was hounds on the trail of a man running through slimy swamps. It was a white woman slapping her maid for being forgetful.
p. 135