Rivage de la colère de Caroline Laurent

Par Krolfranca

Rivage de la colère

Caroline Laurent

Les escales

Janvier 2020

412 pages

« C’est une histoire que me racontait ma mère. Pas un conte pour enfants, ni une fable, non, une histoire vraie, qu’elle grattait de temps en temps comme une vilaine plaie. Une tragédie insulaire. Les mères connaissent les berceuses et les sortilèges. Parfois aussi, d’une lumière dans le regard, d’une fêlure dans la voix, elles se trahissent. L’enfant devine un secret. Perçoit la colère. En grandissant, les contours se précisent, les traits s’affirment jusqu’à devenir parfaitement nets : ce secret, c’est celui d’une souffrance. D’un arrachement. Une fille ne laisse pas sa mère souffrir. Alors elle écrit. »

Il y a peu, je ne connaissais pas l’archipel des Chagos. Aujourd’hui, je peux le situer sur la carte et surtout je peux raconter la terrible histoire des Chagossiens, expulsés de leur île par les soldats anglais, sans aucune considération, dans le mépris le plus total. 1968. Date de l’indépendance de Maurice et signature en secret de l’évacuation de l’archipel des Chagos. Vendu aux anglais qui vont eux-mêmes louer l’île de Diego Garcia aux Américains pour qu’ils puissent y établir une base militaire  (là où habitaient la plupart des Chagossiens).

Il y a longtemps que je n’ai plus foi en l’homme. Même si tout cela s’est passé il y a une cinquantaine d’années, il n’en reste pas moins que les faibles seront toujours exploités et méprisés et les forts seront toujours injustes et assoiffés de pouvoir. On en apprend tous les jours sur l’ignominie des hommes, sur les petits accords passés entre États dans le plus grand secret et donc le plus grand silence. C’est révoltant. Que peuvent les peuples contre ça ?

Cette histoire illustre le fait qu’en gardant un peuple dans l’ignorance, on peut en faire ce qu’on veut. On n’explique rien, on fait signer n’importe quoi, on bride l’esprit critique.

Caroline Laurent a réussi le tour de force d’allier la fiction à l’Histoire avec un art maîtrisé. C’est parfaitement documenté, et je me demande si la fiction n’est pas l’arme la plus habile pour dénoncer. On s’attache aux personnages, à leur histoire aussi tragique soit-elle, et on ne peut que s’indigner de ce qui leur arrive.

Les personnages créés par l’auteure ne sont pas que des êtres de papier, ils sont des êtres de sang et de chair parce qu’ils sont les représentants d’un peuple chassé de son territoire. On y croit à fond et on compatit, on est horrifié, on a envie de crier notre impuissance.

Et cerise sur le gâteau, l’écriture est sensible, la construction est subtile, les mots reflètent parfaitement la tragédie, une belle réussite.

La lutte est toujours d’actualité. En janvier 2020, Maurice annonce la possibilité de porter plainte contre les responsables britanniques pour crime contre l’humanité, et le 25 mai 2020, une nouvelle carte publiée par l’ONU fait apparaître l’archipel comme territoire Mauricien. Affaire à suivre.