Avec vue sur l’Arno – E. M. Forster

Par Albertebly
Publié en 1908, Avec vue sur l'Arno est un roman estival à souhait et brillant qui plus est. Alors on a décidé de vous en parler, mais un peu seriously.

Amateur.ices de Jane Austen, halte-là ! Voilà un ouvrage qui devrait vous séduire si vous avez été transporté.es par les œuvres de la célèbre autrice anglaise. Avec vue sur l'Arno se déroule entre l'Italie et l'Angleterre et nous raconte l'histoire de Lucy, jeune femme qui va, au fil des pages s'émanciper un peu plus, écoutant ses envies et son cœur. La jeune fille s'ouvre sur un monde nouveau et à la pièce fermée et austère habitée par un de ses prétendants s'oppose la vue sur l'Arno et un avenir radieux que lui propose l'autre (" Il l'emporta par la fenêtre afin qu'elle aussi jouît de la vue ").

Véritable roman d'initiation, Avec vue sur l'Arno est une œuvre bercée d'une douce ironie que Forster manie à merveille : il évoquera ainsi l'Église et les convenances dans une Angleterre encore puritaine sur un ton critique ou encore les hommes pseudo-intellectuels manquant cruellement de talent quand on vient aux échanges humains. Le tout avec beaucoup d'acidité. Se faisant, il montre également le fossé social qui peut exister entre les Honeychurch et le très snob Cecil et nous dépeint une société anglaise divisée mais se noyant dans son hypocrisie, toujours sur le même ton très grinçant justement.

" Ainsi la vie cessa de grincer. C'était généralement le cas à Windy Corner. A la dernière minute, quand les rouages sociaux étaient grippés sans espoir, l'un ou l'autre membre de la famille laissait tomber une goutte d'huile. [Lui] méprisait ces méthodes, avec raison peut-être ; ce n'étaient pas les siennes en tout cas. "

Selon le découpage opéré par Forster dans son roman, ledit Cecil tient d'ailleurs plus de l'homme médiéval que de l'homme du XXe siècle. L'auteur souligne cela avec une pointe d'ironie qui n'est, ma foi, pas désagréable :

" La vieille relation féodale de protecteur à protégé était la seule [qu'il] pût concevoir. L'âme de la jeune fille désirait autre chose : une camaraderie dont il n'avait pas la moindre intuition "

Si le début du roman est un peu abrupt, de par le fait que l'action commence in medias res, la suite est très prenante et Avec vue sur l'Arno se lit avec beaucoup de facilité. L'évolution du personnage de Lucy nous a particulièrement marquée et c'est ce qui est ici bien évidemment au centre de l'ouvrage. Il nous a semblé qu'elle aurait aussi bien pu être une héroïne austinienne, rêvant d'un homme qui lui " est apparu un instant comme un personnage de livre " après avoir été au centre d'une scène romantique au milieu d'un champ de violettes qui nous a, pour notre part, rappelée la rencontre de Marianne et Willoughby dans Raison et Sentiments, la pluie en moins.

Malgré ces rapprochements que nous faisons avec Austen (qui a vécu au siècle précédent), ce roman nous a paru étonnement moderne pour son époque (1908) et Forster semble y montrer son ras-le-bol d'un ancien monde désuet que représente l'Angleterre face à une Italie pleine de découvertes et devenant pour Lucy le lieu de sa " Renaissance ". C'est ainsi la condition des femmes que l'auteur anglais met au centre de son œuvre, pour notre plus grand plaisir.

" Par ici tout de suite, ordonna Cecil, qui se croyait toujours tenu de guider les femmes et de les protéger (mais contre quoi?). "

À l'instar de Mr. Beebe qui a toujours rêvé " d'écrire une histoire de coïncidence " dans ses jeunes années, Forster signe un roman fait de retournements de situation improbables mais qui nous semble totalement volontaire comme pour nous rappeler que la fiction possède ce pouvoir qui fait défaut au réel (une telle histoire aurait-elle pu avoir lieu dans ladite Angleterre puritaine, doutons-en). Clôturant ce roman, et comme pour confirmer cette intuition, Lucy nous rappelle à quel point toute son histoire repose sur une suite de coïncidences : " Quand je suis très heureuse [...] je me souviens à quel fil les choses ont tenu. Si Charlotte avait su, elle m'aurait arrêtée, je serais partie [...] et j'aurais été changée pour toujours. "