Le blues de La Harpie de Joe Meno

Par Krolfranca
Le blues de La Harpie

Joe Meno

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Morgane Saysana

Agullo

2016

308 pages

Tout d'abord, je me suis dit " encore un livre américain sur un pauvre type à qui il n'arrive que des ennuis, sa vie est noire de chez sombre et peu d'espoir à l'horizon, j'ai déjà lu ça vingt fois ". Et même si j'aime les romans bien noirs américains, j'ai aussi besoin d'autre chose en littérature qui m'ouvre l'horizon. Je commençais donc à bougonner.

Et puis très rapidement, la qualité de l'écriture s'est imposée, forte, puissante, un mélange de violence et de poésie, et j'ai basculé dans le roman, toute entière, pour ne plus vouloir en sortir.

C'est l'histoire d'un type qui sort de prison où il a passé trois ans parce qu'il avait renversé un landau avec sa voiture, alors qu'il s'enfuyait après un braquage. Le bébé était mort sur le coup et l'avenir de Luce Lemay s'était alors obscurci d'un voile épais.

En prison, il a fait la connaissance de Junior Breen, un type qui transporte un bagage bien lourd aussi. Ils se retrouvent, une fois libérés, dans la petite ville de La Harpie, ville natale de Luce.

Et là, les coups vont pleuvoir sous toutes les formes parce qu'on ne pardonne pas, parce que purger sa peine en prison ne veut pas dire que les gens vont accepter de vivre aux côtés d'anciens criminels, parce que la possibilité d'une deuxième chance n'est pas donnée à tout le monde.

Pourtant, il y a Charlene, qui permet à l'auteur de nous offrir des pages magnifiques sur l'amour, loin des niaiseries banales, qui permet au roman de ne pas être que sombre, qui dessine une petite lueur d'espoir au bout du tunnel, mais qui est aussi source de violence.

J'avais déjà été séduite par Prodiges et miracles, mais là, j'ai été plus que conquise. Ce roman m'a touchée en plein cœur. Ses personnages sont aussi complexes que les hommes peuvent l'être. Torturés, profondément meurtris, ils sont bouffés par la culpabilité, tout en espérant une vie meilleure, une rédemption. Ils rêvent d'échapper à leur passé, d'être libérés de leurs cauchemars. Junior est le personnage qui m'a le plus marquée, un colosse poète qui ne se pardonne pas et dont les nuits sont hantées par le fantôme de son crime.

De quelle manière peut-on payer sa dette envers la société ? Est-ce aux hommes de juger leurs semblables ? Peut-on espérer se libérer d'un meurtre ?

Le roman pose des questions, n'y répond pas, mais il suscite en nous des interrogations profondes sur la nature de l'homme, sur notre société remplie de personnes persuadées d'être dans le bon droit parce qu'elles n'ont commis aucun délit, cette bonne conscience que chacun s'octroie dès lors qu'il se croit meilleur que son voisin.

Ce roman est aussi puissant sur la forme que sur le fond. C'est un vrai beau coup de cœur.

" Ils m'ont redonné mon nom tout entier et la vie que j'avais perdue, mais ce landau continuait à rouler, sans chaleur, dans ma tête. Il passa devant moi en vacillant, balançant d'avant en arrière, au moment où je franchissais le portail en métal pour redevenir un homme maître de sa destinée. "

" ... Des fois elle est comme ça, Ullele. Des fois, elle pleure parce que le soleil brille trop fort. Elle peut pleurer en plein jour sous prétexte que la nuit lui manque. "