Emmanuelle Bayamack-Tam : Arcadie

Par Lebouquineur @LBouquineur

Emmanuelle Bayamack-Tam, née en 1966 à Marseille, est une écrivaine française. Agrégée de lettres modernes elle publie aussi sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri. Arcadie, son dernier roman (2018) vient d’être réédité en collection de poche.

Dans le Sud-est de la France, Liberty House, une grande demeure sur un vaste domaine abrite une communauté d’inadaptés sociaux sous la houlette d’Arcady, leur gourou. La narratrice, Farah, quatorze ans vit ici avec sa famille, son père et sa mère qui souffre d’électro-hypersensibilité, la grand-mère naturiste et lesbienne et une trentaine d’autres pensionnaires du même acabit. Une seule consigne, « aimer et jouir sans entraves. » Une sorte de paradis libertaire, une zone blanche sans réseaux sociaux ni nouvelles technologies. Tout irait pour le mieux pour Farah si elle n’était pas amoureuse d’Arcady qui repousse ses avances dans un premier temps, prétextant son jeune âge. Mais pire encore pour elle, l’éveil de sa sexualité va se révéler plus que complexe quand son corps va dévier des normes communément admises…

Autant vous prévenir tout de suite, si parler sexe vous indispose, vous risquez de rechigner à la lecture de ce très bon roman. Car si le livre aborde de multiples problèmes de notre époque, le nœud (sic !) de l’affaire tourne autour de l'intersexuation (ou intersexualité), ce terme biologique décrivant des personnes « nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle » dixit l'ONU. Farah va se livrer à une quête du genre éperdue pour découvrir qui elle est, femme, homme, voire les deux à la fois ? Il y aura du sexe avec Arcady, le grand amour de sa vie ou avec Maureen, femme pour l’un, mec pour l’autre ; son seul confident, Daniel, le pendant sexuel de Farah, homme féminisé…. Tout cela ressemble à une histoire de tuyaux de poêle, mais c’est rudement bien mené.

Qu’on aime ou pas ce roman - mon premier de cette écrivaine - on se doit de saluer haut et fort l’écriture et le style. Une imagination galopante qui sied parfaitement à la fluidité de sa plume et la volubilité de son propos. Les détails pointus abondent, le vocabulaire est d’une grande richesse et précision. Tout comme un des personnages du roman, le lecteur « est vite noyé sous un flot d’informations et d’anecdotes aventureuses. » Un pur régal d’autant que le ton général est à l’ironie permanente.

Il y a trop de choses dans ce bouquin pour tout recenser, outre le sexe et l’interrogation sur la notion de genre, il est aussi question d’immigrés, l’un d’eux arrivé en cachette sur la propriété va enflammer les sens de Farah et de Daniel ! Et qui plus est, mettre à mal ce qu’ils pensaient des valeurs prônées par leur phalanstère. Mais vous croiserez aussi des réflexions sur la presse et les chaines d’infos en continu, sur internet et les nouvelles technologies, sur la chirurgie esthétiques, vous vous débrouillerez avec le parler « branché » d’aujourd’hui etc. Bref, un bouquin très moderne.

Tous ces compliments ne prendront de valeur que si j’évoque aussi, les défauts du bouquin – du moins pour moi. Parfois Farah pousse le bouchon un peu loin et le lecteur ne sait pas vraiment faire la part entre l’ironie ou le sérieux quand elle déclare « la plupart des gens haïssent les enfants et leur souhaitent le pire, mutilations et abus sexuels compris : la pédocriminalité ne fait que répondre à leurs vœux inavouables » ou encore, « je crois pouvoir dire que le troisième sexe est l’avenir de l’homme. » Enfin, l’épilogue du roman nous offre quelques pages s’apparentant à un manifeste écologiste d’un simplet affligeant qui ternissent un peu mon enthousiasme général… Mais je le répète, c’est un bon bouquin.