Love medicine · Ligne brisée · L'épidémie de VHS

Par Marie-Claude Rioux

Sais-tu, j'haïs pas ça pantoute cette façon de faire. Je publie moins souvent et j ' ai cessé de me casser la tête pour tricoter mes billets. Droit au but! Je te glisse deux mots sur les trois romans qui ont occupé mon temps dernièrement. Il y en a eu d'autres depuis, mais j'y reviendrai. Un livre à la fois.

LOVE MEDICINE · LOUISE ERDRICH

J'aime beaucoup Louise Erdrich. J'ai lu ses plus récents romans ( Dans le silence du vent, orphelins et), mais pas ses plus anciens. Je suis remontée à la source et j'ai extrait Love Medicine de ma PAL, son premier roman. C'est le meilleur roman de Louise Erdrich que j'aie lu. C'est pas mêlant, je n'en suis pas encore revenue. Tant de maîtrise, tant de densité et de profondeur font de ce roman (son premier, je te le rappelle) quelque chose de grandiose.

Je ne te raconterai pas l'histoire. D'autant plus que je serais bien en peine de le faire, tant les acrobaties et les subtilités de l ' intrigue abondent. Je ne te parlerai pas non plus des personnages, sinon pour te dire qu'ils sont presque tous flamboyants et mémorables.

Je te dirai seulement qu'il s'agit d'une chronique familiale comme tu en as rarement lue, que ça se passe dans une réserve du Dakota du Nord et qu'ony suit la viede deux familles sur une bonne quarantaine d'années .

Je te glisse juste une petite idée du ton, avec les mots de Lyman:

Pour commencer, ils [les Blancs] vous donnaient des terres qui ne valaient rien et puis ils vous les retiraient de sous les pieds. Ils vous prenaient vos gosses et leur fourraient la langue anglaise dans la bouche. Ils envoyaient votre frère en enfer, et vous le réexpédiaient totalement frit. Ils vous vendaient de la gnôle en échange de fourrures, et puis vous disaient de ne pas picoler. Il était temps, il était plus que grand temps que les Indiens se dégourdissent et commencent à utiliser la seule force qu'ils avaient à leur disposition - la loi fédérale.

Je te préviens, ça décoiffe! Tu risques, comme moi, d'avoir le tournis et de t'y perdre un peu au début. Mais une fois bien en selle, tu ne voudras plus descendre. J'ai rarement lu de roman choral aussi bien maîtrisé. Chaque personnage se tient, solide comme du roc, possède sa voix propre et unique. L'arbre généalogique en début du roman m'a donné un bon coup de main pour m'y retrouver. L'écriture précise, à la fois serrée et sinueuse, est savoureuse. J'ai souvent ris, j'ai serré les dents, j'ai eu une boule au ventre et la larme à l'oeil. Au risque de me répéter, j'en suis pas encore revenue. J'ai été éblouie comme ça m'arrive trop peu souvent. Si ce n'est pas déjà fait, lis-le!

Love Medicine, Louise Erdrich, trad. Isabelle Reinharez , Livre de poche, 512 pages, 2011.

J'ai une drôle d'histoire avec ce roman. J'ai essayé de le lire. Deux fois plutôt qu'une. Faut croire que je n'ai pas essayé assez fort. La première fois, j'ai abandonné après deux chapitres. La deuxième, je me suis rendue à peine plus loin. Jamais deux sans trois. Je me suis dit que la troisième tentative serait la bonne. Et ça l'a été.

Une fois la dernière page tournée, je me suis demandée ce qui clochait. Pourquoi l 'enthousiasme d''était-il pas contagieux? Electra n La prémisse était excellente, pourtant, et les romans choraux, j'adore ça. Mais ici, j'ai eu l'impression que toutes les voix étaient identiques (contrairement au roman de Louise Erdrich, où chacune est unique). Forcément, parmi ces voix, certaines résonnent plus que d 'autres ; plusieurs font tellement pâles figures (beaucoup moins développées, plus stéréotypées)... Un meilleur équilibre aurait été souhaitable. Mais là où le bât m'a blessée, c'est au niveau du style. J'ignore si c'est dû à une traduction boiteuse, mais j'ai trouvé l ' ensemble inconsistant, sans aucune finesse. Les dialogues sont surabondants, les tournures de phrases sans éclat, les répétitions agaçantes (ça se tient la main à tour de bras, là-dedans). Reste qu 'au final, j'en suis venue à bout!

Ligne brisée, Katherena Vermette, trad. Mélissa Verreault, Québec Amérique, 456 pages, 2017.

Un premier roman. Un tout petit roman. J'ai lu la première page et les mots m'ont grandement séduite.

[...] Cette histoire s'est passée à une époque où j'étais blême et à bout de souffle à force de m'étouffer avec l'air du temps. Tout sentait trop l'eau de Javel, le gaz, le varech, la glaise et le feu : c'était le printemps à Colombier. J'attendais que quelque chose arrive pour me délivrer. C'était une situation sans issue. J'ouvrais grand mes yeux, ahurie, je voulais m'entailler les paupières. J'avais quinze ans.

Plus je tournais les pages et plus je déchantais. Non pas que les mots aient eu moins d'audace ni de fraîcheur, mais l'intrigue, elle, m'est apparu de plus en plus inconsistante, ne tenant pas à grand-chose.

Dans un petit village de la Haute-Côte-Nord, Häxan (de que cé?) traine son lourd désoeuvrement et son ennui, rêve de partir s'épanouir à Montréal. Léo-Lune (qué cé ça, encore?), un gars plus vieux qu'elle, s'installe au village avec sa caméra VHS. Il lui fait tourner la tête pendant un temps. Jusqu'aux désillusions.

Ça me parlait bien, cette histoire. Ma propre adolescence ennuyante a pris une autre tournure à seize ans, quand je suis partie vivre à Montréal. L'ennui de Häxan, je la connais. L'adolescente qui se pense différente, originale (ah, l'adolescence prétentieuse!), je connais bien aussi. Mais tout ça pour ça? Je n'ai pas compris l'intérêt des revirements dans la narration (du "je", du "tu", puis du Léo-Lune) ni ce que venait faire "la sorcière de Colombier" dans tout ça. Pis je t'épargne ce que je pense des prénoms à coucher dehors, pour le moins invraisemblable dans ce coin de pays. Une chance que les mots sont venus donner du poids à cette histoire plutôt convenue d'ado désoeuvrée.