Unité de lieu, Pointz Hall, un manoir dans la campagne anglaise, unité de temps, un jour de juin 1939. Tout le village s’active car on donne dans la soirée une représentation théâtrale dans la grange du manoir. La pièce est écrite et mise en scène par Miss La Trobe, une vieille fille locale, les acteurs ont été recrutés parmi les villageois, les lieux et le buffet sont fournis par les châtelains ; le spectacle servira à collecter des fonds pour installer l’électricité dans l’église.
Les personnages du roman : le propriétaire de la demeure, le vieux Bartholomew Oliver, sa sœur, Lucy Swithin, son fils Giles, agent de change à Londres avec sa femme Isa et leurs enfants. Viendront se greffer à eux, Mme Manresa, femme libérée, « une heureuse nature », accompagnée de William Dodge, peut-être artiste peintre.
Le plus difficile avec Virginia Woolf, c’est d’entrer dans son texte. Passée cette épreuve initiatique, on se laisse porter par son style – particulier et très personnel il est vrai – fait d’un charme mélancolique particulièrement addictif. Quand on aime la belle écriture, on ne peut qu’être séduit.
Le roman est en deux parties mêlées, la pièce et le texte dit par les acteurs, et les paroles échangées par les habitants du manoir, bribes de conversations, mots attrapés dans l’air, pensées fugaces ; le lecteur est comme le convive d’une réception où il ne connait personne, passant de groupe en groupe, chopant de-ci de-là des bouts de conversations. Dit ainsi ça vous effraie et c’est assez normal, mais quand on accepte la situation c’est terriblement envoûtant. J’emploie ce terme dans chacun de mes billets concernant Virginia Woolf car réellement, c’est celui qui pour moi me paraît le plus adapté, correspondant à l’effet que je ressens, un attrait irrésistible.
Complexe de lire entre les lignes mais je me lance. Il est question de l’Angleterre, celle d’une époque révolue en opposition avec celle qui s’ouvre et d’un monde entre deux guerres mais pour peu de temps encore, « l’Europe bardée de canons, survolée d’avions » ; la dualité se retrouve dans les personnages, leurs caractères sont opposés (Bart Oliver et sa sœur), leurs désirs divergent (Giles trouve séduisante Mme Manresa, Isa a tiqué sur un « homme en gris » aperçu dans la foule), Mme Manresa tranche par son caractère et ses manières très libres avec le type british coincé de la noblesse locale. Entre ces situations ou ces actes, Virginia Woolf trace son sillon.
La journée s’achève, et le roman itou, par une promesse d’engueulade entre Giles et Isa avant une réconciliation prévue sur l’oreiller, peut-être source d’un rejeton supplémentaire pour une Angleterre future…
C’est très beau, c’est du Virginia Woolf… mais c’est aussi une lecture qui se mérite.