Le lambeau de Philippe Lançon

Par Krolfranca

Le lambeau

Philippe Lançon

Gallimard

Avril 2018

512 pages

On sait ce qui est arrivé à Philippe Lançon, ce n’est pas un mystère. Pour ceux qui ne suivraient pas les actualités littéraires, ni les actualités tout court, il était à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Le jour de la sortie du livre de Houellebecq, Soumission. J’y fais allusion parce que Philippe Lançon en parle au début de son témoignage. Il a été défiguré, un trou béant à la place de sa mâchoire. Il a subi un grand nombre d’interventions et est resté plusieurs mois hospitalisé.

Philippe Lançon est né la même année que moi et donc, tout ce qu’il raconte sur sa jeunesse, ça me parle. Il a lu Panaït Istrati grâce à une prof de littérature, moi aussi. Il a une solide culture littéraire, moi pas mais j’ai suivi des études littéraires. J’avoue que toutes ses digressions sur les grands auteurs ou sur Bach ont résonné en moi. C’est un érudit, il apprécie la musique classique, le jazz , Proust, Kafka, et puis, et puis, surtout, il sait écrire.

Son texte est foisonnant. Stylistiquement, il est remarquable. C’est un bel objet littéraire dont on se plaît à relire des phrases. Il y a de vraies trouvailles. Je me suis extasiée à plusieurs reprises.

Evidemment, le contenu est largement à la hauteur du style ou inversement. Ce n’est pas seulement la narration des événements ou de ses multiples opérations, mais plutôt la façon de le faire. Il ne s’épargne guère, ose divulguer ses terreurs, ses obsessions, même les moins avouables. Il se met à nu, sans mentir, mais toujours en entremêlant sa vie à celle des personnages fictifs ou des auteurs, l’un éclairant l’autre, l’autre épaulant l’un.

Moi qui ne lis jamais d’autobiographies. Moi qui déteste les autofictions. Moi qui n’aime pas lorsqu’un écrivain ne parle que de lui et de sa petite personne. Je me suis délectée de ce roman. Délecter, me direz-vous ? Alors que l’auteur parle des tissus de son visage qui ne se referment pas, évoque ses écoulements de bave ou ses lavements, ne nous épargne pas sur ses moindres maux… Et bien oui, parce que ses mots dansent tellement bien entre eux, parce qu’entrer dans ce texte c’est comme entrer dans un bain d’intelligence, de réflexion, parce que c’est un bouillon de culture.

J’ai pris beaucoup de temps pour le lire et j’y retournais avec un réel plaisir. D’ailleurs, aujourd’hui, je me sens seule, démunie, j’ai l’impression d’avoir quitté un ami très cher.

Ingannmic en a parlé, je l’avais dans ma liseuse, j’ai voulu tester les premières pages et je ne l’ai plus lâché.