Et toujours les Forêts · Jonny Appleseed · Le bleu au-delà

Par Marie-Claude Rioux

Je tournais en rond comme un poisson dans son bocal. Il me fallait remodeler ma façon de faire pour avoir envie de revenir plus souvent sous la couette. Je pense avoir trouvé. Si j’ai l’impression de te parler, les mots et les idées vont venir plus facilement, plus spontanément. C’est ce dont j’ai besoin. Histoire de remettre la main à la pâte et de me désembourber côté rédaction de billets, je vais à l’essentiel pour te parler de trois bouquins. On verra bien ce que ça donne!

ET TOUJOURS LES FORÊTS · SANDRINE COLLETTEJe me suis décidée à lire Sandrine Collette à un drôle de moment. Le pitch y était pour beaucoup. Les romans post-apocalyptiques, ça m’attire toujours un brin. J’ai entamé la lecture de Et toujours les Forêts avant le confinement, je l’ai achevé pendant. Avoue, ça peut être éprouvant comme contexte de lecture... En fait, y’avait pas meilleur timing!

Ça raconte l’histoire de Corentin, un p’tit gars qui n’a pas de chance. Non seulement il a failli ne pas naître, mais une fois né, il a été abandonné par sa mère. Il grandit auprès d’Augustine, son arrière-grand-mère, aux Forêts, un trou perdu. Il part étudier en ville, découvre les fêtes, les amitiés effervescentes. Jusqu’à ce que tout s’arrête. C’est la fin du monde. Corentin a la vie sauve dans les catacombes. Mais quoi faire, après ça? Quoi faire quand il ne reste rien ni personne? Retourner aux Forêts, évidemment. Et espérer y retrouver Augustine.Et toujours les Forêts est un roman anti-réconfort. C’est un univers de grisaille poussiéreuse; un univers brutal, bestial par moment. L’instinct de survie porte chaque page. Ché pas pour toi, mais moi, je n’arriverai pas à survivre dans un monde qui n’est plus un monde. Je me laisserai mourir, c’est sûr.J’ai été sensible au destin de Corentin, à celui d’Augustine et de Mathilde. J’ai aimé leur aspérité, leur rugosité et leurs élans de tendresse. Sandrine Collette n’explique pas, ne donne pas tout cuit dans le bec. Elle suggère et laisse deviner. Ça me plaît bien, ça. Tu pourras sans doute, comme moi, te poser quelques questions. Du genre: si tout a brûlé, pourquoi y a-t-il encore de la nourriture? Allez, soit bon public, laisse-toi mener. Ne t’enfarge pas dans les fleurs du tapis.Les phrases courtes, sèches, hachées siéent bien à ce genre de roman. Le style tout en concision et en ellipses aussi. Cette façon d’écrire, ça passe ou ça casse. Ça ne plaît pas à tout le monde. Pour ma part, j’ai été happé du début à la fin, tant par cette histoire que par la façon de la mener. Et je n’ai pas été la seule: Virginie et Céline aussi! Y paraît que Sandrine Collette se renouvelle d’un roman à l’autre. J’ai bien envie d’aller voir ça de plus près.Et toujours les Forêts, Sandrine Collette, JC Lattès, 334 pages, 2020.

★★★★
JONNY APPLESEED · JOSHUA WHITEHEADJ’ai souvent tourné autour du roman de Joshua Whitehead. Plusieurs fois, même. Un roman écrit par un jeune oji-cri, ça me tentait. Un roman ancré à Winnipeg, ça me tentait aussi. Mais un queer bispirituel, travailleur du cybersexe, comme personnage principal, ça ne me tentait pas trop. Je craignais la surenchère et le parti pris, comme ça arrive souvent. Mais non, pas pantoute. Le billet et les mots d’Electra m’ont convaincu, faisant tomber mes appréhensions.

Jonny mène sa vie à Winnipeg. Il s’arrange plutôt bien. À la mort de son beau-père, il retourne sur la réserve. Il y va pour sa mère, plus que pour les funérailles. Ce retour donne lieu à tout un enchevêtrement de souvenirs. Jonny se raconte.Ce qui m’a le plus frappé, tout au long de ce roman, c’est l’assurance de Jonny. À quel point, malgré les volées verbales et physiques qu’il mange, il reste debout, d’un seul bloc. J’te l’dis, Jonny est un gars inspirant.

L’amour, avec un grand et un petit A, imprègne le roman. La violence, l’alcool et la drogue, comme dans la majorité des romans autochtones, sont présents, mais ils passent au second niveau. Les liens, tissés serrés entre les personnages, prennent toute la place. Jonny et sa kokum (grand-mère) m’ont ramolli le coeur. Tias, le meilleur ami et amant de Jonny, est un personnage profond et rempli d'aspérités. La maman de Jonny est terriblement attachante. C’est juste beau, tu comprends? Beau et touchant. L’humour est bien présent, par petites touches subtiles. Le sexe, lui, est franc et direct, sans préliminaires. La vie sur la réserve se déploie entre traditions et modernité, amour-haine.

Arianne Des Rochers a traduit les mots de Joshua Whitehead avec un bel aplomb et beaucoup de sensibilité. Pour une belle découverte, c’en est toute une. Un roman apaisant, inspirant, de ceux qui ouvre l’esprit.Jonny Appleseed, Joshua Whitehead, trad. Arianne Des Rochers, Mémoire d’encrier, 263 pages, 2020.

★★★★

LE BLEU AU-DELÀ · DAVID VANN

Si tu aimes quand David Vann te malmène et te bouscule, te met mal à l’aise, tu seras ravie. Si tu ne le connais pas encore, ce recueil est une bonne porte d’entrée. Peu importe: Le bleu au-delà vaut le détour. Si je connais plutôt bien le romancier, je ne connaissais pas le nouvelliste. Je me suis retrouvée en terrain connu tout du long. La colonne vertébrale de l’œuvre de David Vann repose sur le suicide de son père. De suicide, il sera donc question. Tantôt à travers les yeux de Roy enfant, tantôt de Roy adulte. J’y ai retrouvé «Rhoda», la belle-mère de Désolation; j’y ai retrouvé une partie de chasse qui m’a rappelé Goat Mountain. «Sukkwan Island» rappelle… le singulier et unique

Sukkwan Island

Et toujours cet Alaska avec ses déserts de blancheur et ses villes sauvages. Au final, c’est toujours la même histoire qu’il raconte, selon différents points de vue. Et c
’est toujours extrêmement fort, comme à lhabitude.

Le bleu au-delà, David Vann, trad. Laura Derajinski, Gallmeister, 176 pages, 2020.

★★★★