Les enfants perdus de St-Margaret – Emily Gunnis

Par Lison Carpentier @loeilnoir1

Les enfants perdus de St-Margaret – Emily Gunnis – Editions Préludes, Mars 2020.

Emily Gunnis s’inspire de faits réels révoltants ayant entaché la communauté catholique irlandaise et anglaise dans les années 50-60 et signe un premier roman à la fois touchant et dérangeant susceptible de marquer intensément les esprits.

Une lettre datant de 1959 découverte par hasard dans les affaires de son défunt grand-père brocanteur sème le trouble chez Sam, une jeune journaliste ambitieuse : une certaine Ivy internée dans la pension pour mères célibataires de St-Margaret, dans le Sussex, annonce à son amant qu’elle est enceinte et le supplie de venir la libérer. Fait étrange, le corps d’un prêtre mentionné dans ce courrier a été retrouvé dans les décombres du couvent abandonné quelques semaines plus tôt… Sam est d’autant plus intriguée que Kitty Canon, la présentatrice vedette d’un talk-show sur la BBC semble fort intéressée à titre personnel par cette affaire… En quête d’un scoop lui permettant d’intégrer enfin un journal national, Sam décide de s’intéresser à ce mystère mais elle devra faire vite : il ne reste plus que deux jours avant le démantèlement de la pension Saint-Margaret… Ce qu’elle va découvrir va l’impliquer bien plus qu’elle ne le pense…

Mon ressenti sur ce livre est très positif. J’en viens tout de suite à mon seul petit bémol : j’ai failli me perdre à plusieurs reprises entre ces nombreux personnages et surtout ces incessants allers-et-retours entre passé et présent, je regrette que cette angoisse de perdre le fil m’ait quelque peu ôté mon plaisir de lecture… car au final, l’ensemble s’est avéré parfaitement maîtrisé: le moindre détail est utilisé à bon escient pour le déroulement de l’intrigue, tout s’imbrique et donne un résultat vertigineux! Le style est agréable et étoffé, certains passages sont riches de réflexions poignantes tandis que d’autres glacent le sang jusqu’à la moelle… Sous couvert d’abriter des « mères-filles« , délaissées par leurs familles qui les jugent déshonorantes, le couvent Saint-Margaret, manoir gothique lugubre, se révèle être une véritable prison, un bagne où rien ne sera épargné aux jeunes pensionnaires, obligées de trimer pour payer leur séjour, privées de leurs nouveaux-nés qui seront revendus à de riches couples sans scrupules… Tirées de véritables témoignages, certaines scènes sont bouleversantes de monstruosité. L’histoire frôle parfois le fantastique avec, au moment de la mort de certains personnages, l’apparition de spectres mais ceux-ci symbolisent surtout la mauvaise conscience des protagonistes.

J’ai songé en imaginant le calvaire d’Ivy, recluse dans ce couvent infernal, à d’autres personnages féminins très forts lus ou vus récemment, Rose (Né d’aucune femme de Franck Bouysse), June (La Servante écarlate de Margaret Artwood) ou encore Eugénie (Le Bal des Folles de Victoria Mas) toutes confrontées à une inhumanité désolante. Entre autres personnages féminins remarquables, Sam ancre ce récit dans notre époque : audacieuse et maligne, elle se bat seule pour élever sa fille et mener de front sa carrière professionnelle envers et contre tous. Comment imaginer qu’à peine soixante ans séparent ces deux femmes et qu’à une époque pas si lointaines d’autres décidaient de l’avenir de nos enfants? Je remercie Net Galley et les éditions Préludes pour la lecture de ce roman passionnant et bouleversant, que je conseille vivement.