La fille sans peau de Mads Peder Nordbo

Par Lettres&caractères

Le Grand prix des lectrices Elle 2020 s’achève avec la lecture de La fille sans peau et heureusement pour moi, la dernière bouchée de cette aventure livresque aura été savoureuse.

La fille sans peau de Mads Peder Nordbo (éditions Actes Sud)

Dans ce jury, nous avons eu à lire 9 polars et ça n’a pas été toujours une partie de plaisir tant l’ennui m’a souvent guettée au détour d’une page souillée d’hémoglobine. Je n’ai quasiment jamais réussi à m’intéresser à une enquête policière, les flics de l’un me semblaient ressembler en tous points aux flics de l’autre. Et puis, au milieu de tout ça, il y a eu de rares mais belles surprises comme La fille sans peau de Mads Peder Nordbo.

L’histoire démarre en 2014 à Nuuk, la capitale du Groenland. Matthew Cave, journaliste est dépêché par son rédacteur en chef sur un scoop susceptible d’intéresser le monde entier : la découverte d’un corps momifié d’un Viking. Une avancée scientifique majeure qui va se transformer en quelques heures seulement en point de départ d’un crime sordide quand la dépouille du Viking aura disparu et que le policier chargé de veiller sur elle aura été retrouvé éviscéré. Dès lors les questions fusent : pourquoi avoir volé ce corps ? Qu’avait-on à cacher ? Et pourquoi ce meurtre ressemble-t-il étrangement à une série d’assassinats perpétrés 40 ans plus tôt ? Pour percer ce mystère, Matthew va remettre le nez dans de vieilles affaires qui ont secoué la communauté inuite : des histoires d’incestes malheureusement très répandues dans certaines familles du coin…

Une fois ce résumé posé, vous vous demandez certainement ce que ce polar pouvait bien avoir de plus que les autres ? Trois choses selon moi.

D’abord, le personnage principal, Matthew Cave, n’est pas flic mais journaliste. Ca n’a l’air de rien dit comme ça mais pour la lectrice que je suis, ce changement d’univers est une vraie bouffée d’air frais. Moins de flingues, plus de scoops, voilà la clé du bonheur ! Ceci dit, et pour être tout à fait honnête, l’auteur n’a malgré tout pas résisté à en faire un énième énergumène cabossé par la vie mais celui-ci tient encore debout sans avoir besoin de s’envoyer des hectolitres d’alcool dans le sang. Il préfère la nicotine pour se détruire à petit feu, à chacun ses plaisirs…

Deuxième point positif : le décor. Avec ce polar je me suis découvert un intérêt totalement insoupçonné jusque-là pour les terres inhospitalières du Groenland (lecteurs de Qaanaaq, je vous vois venir… sauf qu’ici l’auteur est Danois et a vécu au Groenland, c’est un vrai de vrai en somme). Changement de décor mais aussi d’us et coutumes, ce que j’ai adoré. J’ai eu l’impression de partir en exploration et je compte bien placer lors de mon prochain dîner mondain – en 2045 si tout le monde respecte bien le confinement d’ici là – le mot ulu (ou ulo si vous préférez) dans une phrase du genre : « mince, je viens de faire tomber mon ulu, en auriez-vous un autre à me donner ? » Facile, n’est-ce pas ?

L’ulo avait beau être un outil réservé aux femmes, seul un homme était assez fort pour éventrer et éviscérer un corps. Et jamais une Groenlandaise n’aurait osé commettre un tel acte. Il s’agit peut-être d’un règlement de compte entre Groenlandais, avait dit Karlo. Mais ce n’est pas une simple rixe. Autant que je m’en souvienne, jamais un Groenlandais n’a eu l’idée d’ouvrir un être humain comme un animal. Et il avait ajouté une remarque qui avait frappé Jakob : Nous ne tuons jamais gratuitement, il ne faut pas l’oublier. Quand nous tuons un animal, c’est uniquement pour nous nourrir et pour nous servir de sa peau. Nous respectons la nature et nous demandons pardon chaque fois que nous prenons une vie. Même quand il s’agit d’un poisson. Personne n’a demandé pardon pour ce meurtre.

Enfin, troisième élément qui plaide en la faveur de ce roman : l’écriture. Et là je sais pertinemment que je vais à l’encontre de l’avis de pas mal des autres jurées qui se sont désespérées de cet enchaînement de « sujet – verbe – complément » mais de mon côté, ça m’a offert un peu de répit dans ce monde de circonvolutions littéraires. Je n’en pouvais plus de ces auteurs qui se gargarisent de leur style et se regardent écrire comme d’autres s’écoutent parler. J’ai eu un petit trop plein stylistique ces derniers temps avec l’impression de subir l’ego démesuré de certaines plumes magistrales mais oh combien fatigantes à lire à la longue.  Alors oui, l’écriture est simplissime mais je ne la trouve pas pour autant mauvaise. Est-ce dû au style de l’auteur, à sa culture ou à la traduction ? Toujours est-il que je trouve cette écriture rythmée, efficace et factuelle. Surtout, elle est mise au service d’une intrigue sans temps morts, l’auteur ne cherchant pas à se lancer dans des descriptions interminables. Donc pour moi c’est une belle surprise là encore.

Maintenant, il y a quand même un point qui me chagrine dans tout cela : les noms des personnages ! Comment voulez-vous vous y retrouver au milieu de Tupaarnaq, Paneeraq, Ottesen et Leiff ? Ce doublement de lettres dans les prénoms m’a perturbée à plusieurs reprises (si quelqu’un en connait la signification, ça m’intéresse !). J’ai éprouvé bien des difficultés à me rappeler qui était qui mais cette perte de repères fait aussi partie du charme de ce roman.

Voilà donc un polar venu du froid qui m’a fait chaud au cœur.

La fille sans peau est le roman sélectionné par le jury d’avril du Grand prix des lectrices Elle 2020.


L’ESSENTIEL

Couverture de La fille sans peau de Mads Peder Nordbo

La fille sans peau
Mads PEDER NORDBO
Editions Actes Sud
Sorti le 08/01/2020
384 pages 

Genre : polar
Personnages :  Matthew Cave, Tupaarnaq, Paneeraq, Ottesen, Leiff, etc.
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Qaanaaq de Mo Malo, Le couteau de Jo Nesbo, Dans la gueule de l’ours de James A. McLaughlin, Block 46 de Johana Gustawson

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Nuuk, Groenland, 2014. Une découverte sensationnelle fait frémir la petite communauté : le corps d’un Viking est extrait de la glace, en parfait état de conservation. Mais le lendemain, le cadavre a disparu et on retrouve l’agent de police qui montait la garde nu et éviscéré comme un phoque. L’épouvantable procédé résonne funestement avec des affaires de meurtres non élucidées datant de plus de quarante ans.

Le journaliste danois Matthew Cave s’immerge dans ces cold cases, révélant le destin terrible de tant de fillettes de la communauté. Mais sa quête menace clairement les intérêts malsains de certaines personnalités importantes de l’île, et il comprend assez vite que sa curiosité risque de s’avérer fatale. Étrangement, la seule à qui il ose faire confiance est une jeune chasseuse de phoques groenlandaise récemment libérée de prison.

La Fille sans peau nous plonge dans un monde fascinant et hostile recouvert d’une couche de glace vieille de plus de cent mille ans, dont la beauté envoûtante cache une nature imprévisible et souvent meurtrière. Un arctic noir viscéral et addictif qui ne laissera personne indifférent.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire La fille sans peau

  1. Car pour une fois, ça n’est pas un flic qui se retrouve au cœur de l’enquête
  2. Parce que le Groenland a quelque chose de fascinant dans ce roman
  3. Parce que le suspense est au rendez-vous

3 raisons de ne pas lire La fille sans peau

  1. Si vous cherchez une écriture travaillée et un style unique
  2. Parce qu’on s’emmêle vite les pinceaux avec ces noms de personnage loin de nos standards
  3. Parce que c’est assez barbare par moments

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