Sur les balcons du ciel de Sophie Henrionnet

Par Lettres&caractères

Après avoir dévoilé son humour caustique dans Vous prendrez bien un dessert ? Sophie Henrionnet nous revient avec un roman mélancolique sur la douleur et le manque.

Sur les balcons du ciel de Sophie Henrionnet (éditions du Rocher)

Vadim est un adolescent à l’esprit vif et acéré, d’une intelligence indéniable et d’une sensibilité à fleur de peau. Certainement que les drames traversés dans sa jeune vie l’ont fait mûrir un peu trop vite. Alma, jolie trentenaire enchaîne les conquêtes masculines sans jamais s’attacher. Elle en connait la raison mais ne parvient pas à la combattre pas plus qu’à la dépasser. Vadim et Alma n’ont rien en commun si ce n’est une même adresse puisqu’ils habitent le même immeuble. Ils ne se connaissent pas, se croisent parfois dans une indifférence polie, leurs vies sont tellement éloignées l’une de l’autre qu’il faudra une chute mémorable, un atterrissage en catastrophe sur la verrière d’Alma pour que Vadim fasse une entrée fracassante dans la vie de sa voisine. Et si le hasard avait bien fait les choses ? Et si ces êtres que tout oppose avaient finalement bien plus en commun qu’on ne le pense ?

Après l’humour grinçant de Vous prendrez bien un dessert ? je découvre Sophie Henrionnet dans le registre de l’émotion et de la mélancolie. Son roman est construit sur le principe de l’alternance : alternance des personnages et des points de vue. Vadim nous raconte sa propre histoire, ses drames et ses failles. Le langage utilisé n’est pas vraiment celui d’un ado d’aujourd’hui mais bien celui d’un être à part, plus doué que la moyenne mais plus seul aussi. En adoptant un point de vue interne pour ce personnage, Sophie Henrionnet cherche, je présume, à nous le rendre plus sympathique, plus touchant et plus proche de nous alors que s’il y a bien un moment de la vie qui échappe aux adultes c’est l’adolescence. Hélas pour moi, ça fait plusieurs lectures que j’enchaîne avec un narrateur-personnage et à chaque fois je me fais la même réflexion : je n’arrive pas à m’attacher aux personnages présentés de cette manière. Ce procédé narratif me rend totalement hermétique à tout sentiment, je m’ennuie en étant dans la tête des personnages comme si mon esprit devenait paresseux parce qu’on m’avait trop mâché le travail. Avec un point de vue interne il n’y a plus rien à imaginer, on sait tout, on nous dit tout.  C’est ainsi, c’est comme ça, c’est certainement propre à moi et n’engage que moi mais maintenant je le sais, c’est confirmé, ça n’est pas ma tasse de thé.

Alma danse, elle pense moins, l’alcool tient ses promesses. Grise et vaporeuse, la soirée devient floue. Ses amis imaginent que jalonner son parcours de célibataires la réparera. Alma fait de la peine, elle inquiète, elle préoccupe. Quand même une fille comme toi, belle, drôle, intelligente.  Alma est un poney de concours. Un incompréhensible et dérangeant mystère. Tout à la fois Graal et anomalie.

En revanche qu’est-ce que j’ai aimé le personnage d’Alma. Qu’est-ce que j’ai aimé la manière dont son histoire nous est contée, extérieure à sa douleur et pourtant si proche. Les descriptions de sa dépendance et de son manque sont d’une justesse absolue. Les mots mis sur ses sentiments, son attente, ses espoirs, sa colère et sa déception nous font vivre toutes ces sensations par procuration. Ce qui arrive à Alma n’est finalement pas si grave diraient les autres. Pour elle c’est un drame absolu, une douleur dont elle se sent incapable de s’extirper. Celles et ceux qui auront vécu une situation similaire à la sienne ne pourront qu’y retrouver l’abîme dans lequel on se sent sombrer à ce moment-là. J’ai attendu avec impatience chaque chapitre consacré à Alma, j’aurais aimé des dizaines, des centaines de pages en plus sur elle. Et plus je me suis identifiée à elle et plus Vadim m’indifférait. Pauvre Vadim…

J’ai deux envies à l’issue de cette lecture : que Sophie Henrionnet nous écrive d’autres comédies douces amères car son esprit vif et taquin et son style si imagé me font rire et qu’en ces temps difficiles il est bon de rire. Or peu d’auteurs sont parvenus à me faire rire autant qu’elle. Les bonnes comédies caustiques, grinçantes et pince-sans-rire se font tellement rares en littérature, pourquoi ?! Et deuxième chose : qu’elle nous écrive un roman entier dédié à Alma, à ces douleurs-là, à ces peines-là qui ne sont pas les plus graves de l’univers, on est bien d’accord, mais qui sont les seules à nous faire nous sentir aussi mort que vivant quand on les ressent.

Merci Sophie pour ce livre, pour cette plume et pour ces émotions. Je sais que votre livre est sorti au plus mauvais moment et que vous craignez pour sa survie post-épidémie mais je pense que nous serons nombreux à faire une petite piqûre de rappel le moment venu, histoire que Vadim et Alma aient la destinée qu’ils méritent. Et pour ceux qui n’ont pas encore lu Vous prendrez bien un dessert ? , il sort en poche le 13 mai (si tout va bien d’ici là), lisez-le, vous m’en direz des nouvelles.


L’ESSENTIEL

Couverture de Sur les balcons du ciel de Sophie Henrionnet

Sur les balcons du ciel
Sophie HENRIONNET
Editions du Rocher
Sorti le 18/03/2020
208 pages 

Genre : feel-good
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires :  Vous prendrez bien un dessert ? de la même auteure, Les silences d’Amélie Antoine, Juste un peu de temps de Caroline Boudet, Fendre l’armure d’Anna Gavalda

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Vadim, adolescent intuitif et caustique, cherche encore à faire le deuil de son père lorsqu’il perd son amie Valentine. Jour après jour, sous les regards impuissants de ses proches, il s’isole. Incapable de retourner au collège, cloîtré chez lui, Vadim s’échappe sur les toits de son immeuble pour trouver une issue à sa mélancolie. Une rencontre va le sauver : par le hasard d’une chute, Vadim tombe sur Alma… Le roman poignant de deux solitudes, qui vont s’amadouer, s’épauler, se heurter parfois. Une très belle histoire d’amitié.

TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire  Sur les balcons du ciel

  1. Parce que la plume de Sophie Henrionnet mérite d’être lue
  2. Parce qu’il y a Alma (mais peut-être serez-vous de votre côté plus sensible au personnage de Vadim ?)
  3. Parce que le manque est un thème qui nous a tous touchés à un moment ou à un autre de notre vie

3 raisons de ne pas lire  Sur les balcons du ciel

  1. Si vous ne supportez pas les romans qui flirtent avec le feel-good
  2. S’il ne faut pas vous parler d’un roman qui se déroule dans un immeuble, en pleine période de confinement
  3. Si vous êtes en plein deuil, vous risquez de pleurer à chaudes larmes

L’article Sur les balcons du ciel de Sophie Henrionnet est apparu en premier sur Lettres & caractères.