Dans l’œil du démon, un roman inédit de l’écrivain datant de 1918, vient de paraître récemment.
Takahashi le narrateur, écrivain à la bourre dans la rédaction d’un article, est instamment prié par son ami Sonomura de tout laisser tomber pour venir l’accompagner à assister, en direct, à un meurtre ! Trop occupé il refuse mais devant l’insistance pressante de son ami, il accepte, convaincu qu’il s’agit d’une méprise ou d’une pure invention, Sonomura souffrant de troubles mentaux d’origine familiale. Pourtant, meurtre il y a bien, et à partir de là s’ensuit une bien étrange histoire…
Si tous les ingrédients de ce minuscule roman en font un magnifique thriller teinté d’érotisme, le lecteur peu averti devra, avant de s’y lancer, considérer que le bouquin date de 1918 et l’écrivain japonais : époque et culture différentes. Ou, pour le dire autrement, jamais je n’ai tremblé en lisant le livre, Tanizaki s’adressant plus à notre intellect qu’à nos sens, avec lui le trivial devient esthétisme.
Si Takahashi est le narrateur, Sonomura est l’acteur. Un riche oisif, amateur de polars et films noirs, « ces derniers temps, j’ai perdu tout intérêt pour la vie, je me sens encombré de mon corps » avoue-t-il. Ce spleen, cet état d’âme propre aux décadents dont la littérature sait nous régaler (Barbey d’Aurevilly, Huysmans…) va entrainer Sonomura dans un cercle infernal – et même fatal – mais librement consenti.
Je ne révèlerai rien en vous disant que la meurtrière (récidiviste) est une très jolie femme dont Sonomura va tomber follement amoureux, au point d’accepter sans broncher le sort connu d’avance qu’elle lui réserve… Le romancier ne joue pas sur le « qui a fait quoi ? », ni même le « comment il l’a fait ? », le terrain de prédilection de Tanizaki c’est l’esthétisme, la beauté du geste. Voyeurisme, jeu de miroirs, mise en abyme sont au cœur de ce délicat roman sulfureux.