Jimmy, un gendarme qui vous veut du bien

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Quatorze juillet (Bastien Vivès – Martin Quenehen – Editions Casterman)

Jimmy Girard est un jeune gendarme affecté à la gendarmerie de Roissan-en-Isère. C’est un village particulièrement tranquille, qui semble a priori très éloigné de la menace terroriste. Ce qui occupe surtout les gendarmes locaux, parmi lesquels Jimmy et sa collègue Stéphanie, ce sont les infractions routières, les plantations sauvages de cannabis, ou la sécurisation de la kermesse du 14 juillet. Mais Jimmy est constamment sur ses gardes. Dans une France traumatisée par les attentats contre Charlie Hebdo et contre le Bataclan, ce gendarme consciencieux est persuadé que le mal peut frapper partout, y compris dans ce coin perdu de l’Hexagone. Jimmy est atteint du syndrome du sauveur: il rêve de donner un sens à sa mission et, si possible, de devenir un héros national en déjouant un attentat. Le jeune homme ne peut donc être que fasciné par Vincent Louyot et sa fille Lisa, deux nouveaux habitants qui viennent de s’installer dans le village. Lorsqu’il découvre que la femme de Vincent est morte dans un attentat quelques mois plus tôt, Jimmy est attiré vers eux comme un aimant. Même s’il n’est pas du genre expansif, le jeune gendarme va prendre sous son aile cet homme meurtri et sa fille mutique, qui sont venus en Isère pour y faire leur deuil et retrouver goût à la vie. Mais progressivement, l’intérêt de Jimmy pour Vincent et Lisa vire carrément à l’obsession. Jusqu’où ira le gendarme pour aider Vincent à assouvir son désir de vengeance contre les terroristes? Dans une société déboussolée, la frontière entre le bien et le mal se révèle parfois très floue…

La sortie d’un nouveau livre de Bastien Vivès est toujours un événement. C’est particulièrement le cas pour ce « Quatorze juillet », qui marque à la fois la première collaboration de l’auteur français avec le scénariste Martin Quenehen et sa première incursion sur le terrain du polar. Et on peut dire qu’il s’agit d’une réussite! Après avoir déçu certains de ses lecteurs avec « Le chemisier » puis suscité la polémique avec sa BD pornographique « Petit Paul », Bastien Vivès est parvenu à prendre du recul et à se réinventer. « Quatorze juillet » est certes un récit de fiction, mais c’est un roman graphique qui capte parfaitement l’air du temps, presque comme s’il s’agissait d’un documentaire. Le personnage ambigu de Jimmy Girard illustre à merveille le climat de paranoïa sécuritaire et de radicalisation qui s’est emparé de la France et des autres pays occidentaux depuis les attentats de Paris. Le jeune gendarme imaginé par Bastien Vivès et Martin Quenehen s’inspire d’ailleurs clairement des héros qui ont marqué l’actualité de ces dernières années, que ce soit le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame qui s’est sacrifié lors de la prise d’otages d’un magasin Super U en 2018 ou bien les passagers qui ont évité un massacre dans un train Thalys en 2015. Mais ce qui est surtout fascinant dans « Quatorze juillet », c’est que Vivès et Quenehen ajoutent une dimension psychologique et sociale à leur récit, en se demandant notamment s’il est forcément juste de vouloir jouer les justiciers. Au final, cela donne un polar contemporain et haletant, magnifiquement servi par le dessin tout en justesse et en sensibilité de Bastien Vivès.